REBELLE YELLE

Yelle avait faim de scène. Les Docks ont permis au trio breton de renouer avec ce terrain de jeu essentiel. Avec plus de 15 ans d’existence au compteur, Yelle continue de parler à de plus en plus de monde, en France et partout ailleurs. Et le trio (duo en studio) se bonifie comme un grand cru. Le son du set de ce samedi est magistral, les productions puissantes trouvent leur chemin vers les esgourdes sans google map, les rythmes sont mathématiques, cascadeurs, les chants de Julie inspirés… Ce chant yellien, haut, émouvant, sucré, pénétrant, il porte des saillies verbales qui font mouche (la voix claire est en avant malgré le magma de percus), il débite des mots crus, du cul qui mord, des lyrics sans queue ni tête, juste pour le plaisir de les entendre claquer dans l’air. Entre références à la légèreté d’une jeunesse éternelle et le poids des années, entre la joie de faire rond avec son bassin et celle de s’habiller en noir. Simple et funky, les mots de Yelle s’incrustent. Au rayon prods, la musique est exigeante et dansante, Grand Marnier, le beatmaker est un homme qui refuse la facilité: Yelle entre en rébellion – en douceur -contre le conformisme pop. On est dans le savant, pas dans le servant. J’aime beaucoup Angèle, elle manie le verbe et jongle sur des sons trap, modernes. Mais Yelle est une rebelle de marque, elle ne rentre pas dans un genre référencé ou à la mode, le son des Briochins est distinctif, instinctif, animal. Lausanne a réservé un accueil amoureux au groupe de Saint-Julien. Lausanne-sur-mer, une cité trop heureuse de retrouver des artistes de renommée mondiale – venus du Grand Ouest français – à un rythme plus soutenu et en toute sérénité, là où les Grand-Bretons (Stranglers pour ne pas les nommer) ont plus de difficultés à sortir d’Albion. Ce samedi 16 octobre fut une date importante d’automne. Elle restera gravée dans le livre d’or de la salle du quartier de Sévelin-Sébeillon, du moins pour ma part. Une soirée intense qu’on gardera au chaud dans sa mémoire, rien que pour l’ambiance et la transformation de la salle en dancefloor en fusion. Merci à la chouette équipe des Docks de nous offrir un tel moment.

Yelle aux Docks le samedi 16 octobre 2021 (DG)

La pandémie a mis un coup d’arrêt à la promo live de « L’Ère du Verseau », quatrième opus de Yelle après « Pop Up », « Safari Disco Club », « Complètement Fou ». Mais hier samedi 16 octobre, l’histoire a réparé les frustrations de plus de 600 Lausannois en transe. De mémoire de spectateur, on n’avait rarement autant entendu vibrer les murs. Même avec les groupes charriant le plus grand nombre de fans, les voix des spectateurs poussées au max ont souvent respecté les 100 dB. Mais vers 22 heures 30, j’ai senti l’oreille interne vaciller. Le duo sondier/éclaireur de la régie aussi, ça m’a fait hurler de rire (mais on n’a rien entendu). Les gars habitués aux beats martiaux de Grand Marnier et Franck Richard, ont placé leurs doigts bien enfoncés dans les feuilles, pendant facilement deux ou trois minutes… l’envie de protéger leur instrument de travail sans doute. Bref ce fut un enthousiasme libérateur. Fusion des corps et des cordes, les Docks sont devenus un grand bain de jouvence-jouissance-puissance auditive le temps d’un soir. Hallelujah! Pardon HALLELUJAH!!!

Flashback, quelque minutes avant, Yelle débarque, habillée d’un imperméable sur mesure, la tête recouverte de noir. « Emanciopense » retentit dans les baffles des Docks et les premiers émois aux premiers rangs se font sentir. On a des fans de Yelle de la première heure, la trentaine bien tassée qui se sont reconnus dans la production énergique du groupe et qui suit le groupe dans sa transformation au long cours. Le calage faussement naïf des textes de Julie est parfait, la voix prend tout l’espace. On fantasme, on retombe en enfance. On entend des références à cette adolescence de France post ORTF dans les conversations des premiers rangs. Je comprends que le territoire culturel foulé ici prend sa source dans la pop-culture des années 80/90 (Lio, Daho, Récré A2 et son Jacky Show, Rapido, Les Enfants du Rock, la radio Maxximum). Yelle est restée une proposition française aux références identifiables mais elle a bien grandi, s’est etoffée au contact de DJ et producteurs (Tepr, Dr. Luke…). Le questionnement autour de l’amour, du temps qui passe, tout est sous la loupe de l’observatrice Julie, tout mijote dans le chaudron electrique de Grand Marnier, on a une production léchée, épicée, qui surprend, et ce beat lancinant, doublé, plongé dans un chambre d’écho froide alors qu’il est brûlant ce beat…

Yelle, fin de concert avec écoulement d’émotions dans le public lausannois et des fans extatiques (DG)

Yelle joue de ses charmes, provoquant le plaisir des spectateurs en parlant de sexe, en bouscoulant la bienséance avec deux déhanchements midtempo, on n’est pas dans le défoulement hyper sexualisé à la Beyoncé mais pas loin. Il y a connexion aux shows des divas US, j’opterai pour Lady Gaga et sa manière de mélanger la pop new wave des années 80 dans son electro de la fin des années 2000, Stefani Germanotta est une cousine d’Amérique. « Je veux un chien », et son emprunte animal, fait lever le poil de l’épiderme, une claque sur la peau, une caresse sur le tympan. Vient vite « Karaté », une immense bombe à dancefloor, dégoupillée il y a quelques mois par mes soins sur une rooftop-party new-yorkaise (dans le Lower East-Side). Les danseuses et danseurs sont devenus fous. Magique. Quoi de plus plaisant de sentir des Américains nés dans la capitale mondiale du hip-hop et du disco, s’ébrouer, sans vraiment connaître, sur un hymne où l’alliterration est reine. Le challenge fut de mélanger No-Wave, Noise, Old-school hip-hop, Soul, Freestyle et post-punk dansant… Donc quand je lance « Comment t’es sur le tatami quand t’es pas caché, quand t’as pas d’amis, ton kimono est un pyjama, ton kimono est un pyjama… » et que ça réagit à fond. Quelle joie, quelle intensité. La raffale de beats accompagnant le concert des Docks est une sinécure. On en redemanderait jusqu’à l’asphyxie!

« On est ravi d’être de retour en Suisse, le but est que vous repartiez d’ici heureux et trempé ». Avec ses mots, Julie place l’enjeu et enchaîne les moments de grâce pour ne pas transformer le dancefloor en kodokan de yogi-zombi de zumba. Il faut varier les atmosphères. « Je t’aime encore » est jouée. La salle est en lévitation. Sublime déclaration se référant à l’usure des sensations (lire plus haut), un titre qui émeut mes voisins et mes voisines. Yelle manie les émotions avec savoir-faire, surfe sur les contrastes. Surgit dans la setlist, le tube mondial « Complètement Fou », production signée – et soignée – du producteur historique de Katy Perry, Lukasz Gottwald aka « Dr Luke ». On a pu entendre ce titre sur les ondes US et porter l’album du même nom dans le Top 10 des albums dance dans le Billboard. « Pop Up » et « Safari Disco Club » ont aussi eu une exposition importante aux Etats-Unis. Le groupe breton a enchaîné les tournées à travers le monde, de Tokyo à Mexico en passant par Atlanta, Miami, San Diego comme le dit la chanson. Comme Daft Punk, Air, Phoenix, M83, Yelle est une valeur sûre reconnue à Indio pour le festival « Coachella » comme sur les ondes des radios alternatives comme KEXP.

Avec « BA$$INS », Yelle chauffe le public, « Que Veux-Tu? » en rappel montre à quel point Jean-François « Grand Marnier » Perrier et Julie Budet ont un talent d’écriture pop parfait. Tournerie solide et gimmick/hook désarmant de facilité. Une machine à pop-songs qui a fait ses preuves. On en comprend pas pourquoi les programmateurs français de NRJ ou FUN regardent ces chansons avec toujours autant de distance. Le seul numéro un du groupe est un « Parle à ma main » assez lointain de l’univers de Yelle. Ce qu’on aime chez Yelle, c’est cette culture de la complexité rythmique simplifiée pour le bien des chansons, cette facilité de casser, monter, espacer et saisir avec des sons de deep house des claps, des voix déformées pour les ralentir, les plonger dans des effets d’écho. La suite sera belle, le groupe a des fondations et une envie de ne jamais se répéter sur disque. Bilan : une magnifique soirée commencée de la plus belle des façons avec Joanna, une vraie révélation. La chanteuse a des textes ciselés, un jeu de scène aérien, lumineux, des productions electro étherées et des jeux de lumière en conséquence. Des chansons sur l’amour, la maternité, le travail du sexe. Une nuit très juste, qu’on aimerait multiplier par trois par semaine.

La chanteuse française a sorti un clip nommé « Sérotonine » à voir ici.

David Glaser

Liens vers les autres artistes programmés aux Docks :

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