J’ai vu MIRE à Paris

Voir MIRE et MourIRE… je blague à peine, l’expérience est unique. Voir MIRE à Paris mérite bien une chronique dans suississimo.com. D’abord vous êtes conviés au septième ciel du Théâtre de la Ville (TDV Sarah Bern dans l’espace nommé La Coupole). Jasmine Morand a ses douze danseurs et danseuses dans le plus simple appareil prêt.e.s à s’ébrouer dans un élan graphique et chorégraphique qui chatouille les mirettes avant de subjuguer, choquer, détonner. Mais je vais vous en reparler dans quelques instants. MIRE est une pièce importante mais MIRE est une pièce déroutante, je vous explique pourquoi.

D’abord revenons aux fondamentaux, la naissance d’un spectacle. Il y a dans la construction d’une pièce des étapes qui construisent une aventure humaine, des gestes qui mêlent efforts de la chorégraphe, des différentes personnes qui vont traduire les désirs de la créatrice en décors, musiques, lumières et éléments de communication… entre autres. Cet effort collectif se ressent encore plus pour MIRE je trouve que pour LUMEN cette fois car il y a une couche d’abstraction supplémentaire à mon avis, un territoire créatif qui ne se traduit pas en une multitude de questions assorties de réponses détaillées. Comme si Jasmine Morand avait laissé libre les spectateurs à leur interprétation.  

Qu’a voulu dire la chorégraphe quand elle fait se superposer des corps selon des schémas particuliers dans un des magnifiques tableaux qui se succèdent à vitesse grand V ? Je ne sais pas encore y répondre mais je dois avouer que ce qui m’a surpris est l’après-spectacle, le fait que je suis sorti du Théâtre de la Ville avec sans doute plus de questions encore, ça dure quelques heures, quelques jours après la performance, ça prend un peu la tête mais ça doit être ça l’art qui interroge me dis-je.

MIRE à Paris, une chance

Et puis MIRE dans un temple mondialement connu de la danse contemporaine, en tant que Suisses, on signe plutôt deux fois qu’une. D’abord, il y a ce Paris du centre, des quartiers lumineux, à deux pas de Beaubourg et de son centre d’art contemporain mondialement connu, son IRCAM, l’Institut de recherche et coordination acoustique et musique de Pierre Boulez, puis en face du célèbre Théâtre du Châtelet. On est entouré de lieux mythiques pour la culture et l’expérimentation, le théâtre, l’opéra et la danse. On est au meilleur endroit pour la création.

On pénètre dans un espace rénové, propre. L’attente est longue, l’espace de la Coupole n’est visiblement pas prêt pour accueillir à l’heure ronde les spectateurs, les spectateurs patientent et reçoivent les consignes, il faudra se déchausser, puis une fois cette tâche effectuée attendre dans un espace circulaire au-dessus duquel est fixé un miroir géant permettant à tout un public de regarder les tableaux de la chorégraphe indirectement avec une réflexion, avec une distance. L’œuvre du décor est signé de Neda Loncarevic, artiste fidèle à la translation scénographique des rêves de Jasmine Morand. 

Un sens bien précis

La lumière, la musique, la place du spectateur, tout a un sens bien précis dans cette allégorie du monde numérique dans le lequel nous nous trouvons plongés depuis les années 90 et l’avènement du web. Je dirais que le voyeurisme et le désir primaire de placer les spectateurs dans un rôle d’observateur émoustillé sont deux données de base. Seulement de voyeur, le spectateur va peu à peu devenir un observateur débranché où ce qui peut représenter une charge érotique par le ballet des corps nues et synchronisés en mouvement va s’atténuer.

Il y a dans MIRE plusieurs références au cinéma avec cette structure circulaire en forme de zootrope agrandi, au cinéma érotique et à l’érotisme en général, à l’utilisation de l’interdit, au mécanisme des corps qu’on utilise comme matière mais pas forcément comme entité dotée d’une âme, à l’esthétisme des corps travaillé en mouvement perpétuel. Il y a un côté déconcertant à voir le ballet de ces corps mécaniques huilé à la quasi-perfection (l’huile pas sur le corps, mais dans le ballet). Les enchevêtrements millimétrés nous renvoient une image industrielle du mouvement, comme un mouvement d’horloger dans une vallée reculée de Suisse, une complication techniquement incarnée, l’horloge interne d’une vie qui passe trop vite, le métro boulot dodo dodoitagain, il y a cet effet féérique à la Fantasia de Disney des corps, des formes, des lumières qui subliment ces formes en des rosaces désaxées puis reformées en une fraction de seconde. Il y sans doute aussi une volonté de montrer la beauté des êtres dans leur nudité, sans gommer le côté fade de ces mêmes corps quand ils se frottent mécaniquement quand ils s’aspirent dans leurs mouvements respectifs comme une formation de cyclistes en plein contre-la-montre par équipe en train d’assurer des relais, les jambes seraient les roues, des roues lenticulaires, des roues pleines, des roues qui ne rayonnent pas, des roues d’exception… Je suis dans la métaphore sportive et collective. L’œuvre collective de Jasmine Morand pour LUMEN avait été particulièrement réussie, celle de MIRE pousse encore un peu plus loin le bouchon, la géométrie des figures en est sans doute la cause.   

Les corps éblouissent

Le pouvoir érotique des corps, parlons-en. Quand ils sont cachés, les corps éblouissent, ces formes suggérées, laissées à l’interprétation donnent le maximum d’elles-mêmes mais quand ils deviennent pièces d’un jeu de domino parfaitement alignés puis couchés par la force de la vague qui s’abat, il y a une toute autre vision de ce magnifique MIRE qui naît, une vision apocalyptique du monde, répétitive, conformiste, presque totalitaire où le corps de l’homme et de la femme ne fait qu’un au service de la puissance, de l’industrieuse ambition de conquérir et/ou occuper. L’érotisation des corps cherchée par la mise en scène ne tient donc pas sur la longueur, la structure circulaire de MIRE en zootrope, avec les corps collés au début du spectacle contre les parois desquelles les artistes posent leur dos possèdent des interstices permettant le regard discret, avec pour résultat une image partielle à la manière d’un peep-show, on entre dans le détail d’une pièce que le spectateur couché tout du long ne peut saisir.

Ce fut mon cas, je suis resté allongé tout du long, ma voisine et camarade de sortie Isabelle aussi. Nous nous sommes amusés du confort puis du côté inédit de cette posture. Rien que de contempler MIRE sur le dos change la perception des choses, on entre un peu plus dans le rêve, dans la féérie, on ne détourne pas aussi facilement le regard, au contraire ce regard se fait peut-être plus précis, plus analytique. MIRE est une belle trouvaille, une ode à la mécanique des corps, à leur flexible sens de l’embranchement dans des positions prénatales et des postures à la « chien tête en bas », je recommande ce spectacle aux adultes de la terre entière. Et comme Jasmine et son équipe n’ont voulu exclure personne, il existe aussi une version de ce spectacle pour les enfants, MIRKIDS.

David Glaser  

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