La 5e dimension de Johann Le Guillerm

Observateur, chercheur, créateur, manipulateur de concepts transformant de la matière première organique et plastique en machinerie reflexive, Johann Le Guillerm mêle un peu tout ça dans son art depuis qu’il a commencé à créer. Dans sa nouvelle pièce Terces, à l’affiche de Vidy jusqu’au 14 avril, il nous emmène dans une cinquième dimension artistique attirant notre regard sur l’espace circulaire et provoquant la stimulation de nos neurones en faisant défiler ses créations d’objets-mutants et ses propositions de mouvements poétiques, mécaniques et lents.

L’objectif est d’émouvoir visuellement, de surprendre aussi le spectateur dans un enchaînement de tableaux où l’homme se met au niveau de l’invention, où l’artiste s’insère dans un décor mécanique et lent à ériger. Dès le début, on perçoit un dénuement, une petite allégorie de l’oiseau miniature qui prend son envol, poussé par le souffle d’une force supérieure. Johann Le Guillerm vient du Mans, ma ville, il a fait la fierté de ses parents Rémy et Régine et la fierté de plusieurs créateurs du coin comme Thomas Belhom (Le Portail et la Clé, Amor Belhom, Tindersticks…) entre autres artistes. Il donne à la culture mancelle un rayonnement international très enthousiasmant quand on sait où se situe Le Mans sur la carte des villes moyennes créatives en Europe.

Photos de « Terces » de Johann Le Guillerm, par Philippe Laurençon

L’art de Le Guillerm est circulaire, complexe, pluriel, il s’exprime sous chapiteau. Le propos est profond, les édifices en hauteur à base de matière végétale transformée sont épatants d’ingéniosité. Les assemblages de ces barres de bois nous font réfléchir à ce que pourrait être une vie, des forces contraires qui s’équilibrent, des accidents heureux, des temps suspendus et d’autres séquences en accélération constante. Quand on porte le regard sur un objet du « miracle » artisanal, poétique et technologique de l’artiste, il y a toute une partie qu’on ne voit pas. Du moins qu’on ne voit pas bien… Car comme il le dit lui-même, Le Guillerm cible le point, ou plutôt les points, les plus petits possibles. C’est cette partie invisible qui met l’artiste au défi. Un défi permanent, tant son spectacle donne à flirter avec la chute, la tension, le fragile.

« Terces » propose au spectateur, aux enfants et aux aîné-e-s de s’inventer en observateurs du monde. Une observation omnisciente, un pouvoir de perception sous différents angles. Une même création, plusieurs interprétations et autant d’équations pour percer les secrets de sa fabrication. « Terces » est une balade autour de tous ces mondes cachés, de ces lettres ou chiffres que l’on révèle dans une sélection de formes, de « broglios » imbriqués dans une graphie qui paraît guidée par une mélodie.

Des motifs façon « arabesques minimales » que le cerveau compose tel un alphabet d’une langue inconnue, des graphies évoluants tout au long du chapitre de ce spectacle plein de ruptures, au point in fine de livrer une série de chiffres bien ordonnée. Je ne parlerai pas de spiritualité, en vous décrivant le spectacle de Johann Le Guillerm mais il y a un rapport avec la mécanique quantique, avec cette forme d’organisation numérique qui semble vouloir mettre du sens dans un magma créatif abstrait. On ne parle pas de codage binaire là. C’est plus complexe que ça, moins terre à terre, jonglant entre deux univers, le terrestre et l’extraterrestre.

Le jeu de Johann Le Guillerm est fait de dosages au millimètre, de réglages au cordeau, d’expressions généreuses en recto et verso de l’artiste et de ses pièces, de décollages de machines roulantes, motorisées pour transvaser de la matière aquatique, ainsi que des émotions, des fulgurances, des illuminations et des questionnements… La féérie du show dans une ambiance nocturne, éclairée avec délicatesse, caressée de sons végétaux et electro renforçant l’aspect magique, sublimant cette douce « dinguerie copernicienne », cette « loufoquerie de-vincienne » aiguë plongent les corps de spectateurs dans un chaudron arty en ébullition. L’allure du maestro, tête partiellement rasée, queue de rat et sourire narquois, costume futuriste, tronc imberbe et regard perçant en imposent, notamment auprès d’enfants de l’assistance qui ne savent que penser quand le chef du chantier les toise… moment délicieux de fausse improvisation qui nous fait replonger dans nos années d’apprentissage de la lecture et des jeux de mécano. Johann Le Guillerm travaille son personnage avec inspiration, émettant un râle de satisfaction dès qu’une de ses inventions se met en branle. On en redemande!

Allez voir ce spectacle et parlez-en autour de vous, vous n’avez sans doute jamais croisé le chemin d’un tel inventeur. Si vous êtes à Lausanne, ne le laissez pas s’échapper par une porte secrète.

David Glaser

 

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