Déjà l’avant-dernier tome de notre série sur Maxximum avant de fêter comme il se doit un anniversaire important. Maxximum est cette station française née un 23 octobre 1989. Elle aurait eu trente ans cette années. On ne lui en a même pas laissé trois, dommage. Cette radio unique au monde car nationale et ouverte aux nouvelles musiques a fait un très gros trou dans la FM, par l’inventivité de sa playlist, ses jingles insensés, ses animateurs et journalistes originaux ainsi que des programmes musicaux audacieux en phase avec la culture rave, dance, house et newbeat qui était en train de se former en Europe et aux Etats-Unis. En France, sous le régime Mitterrand, ce fut clairement une heureuse anomalie car tout convergeait pour composer un paysage FM produisant des radios de plus en plus mainstream, des robinets fades à tubes avec des programmations musicales convenues et des dirigeants parvenus. On ne citera aucun nom, ils se reconnaîtront peut-être. Mais au moins avaient-ils l’honnêteté pour la plupart d’avouer qu’ils étaient là pour l’argent de la régie publicitaire, surtout pour ça, car une radio programmée sur le modèle des formats TOP 40 américains avait de fortes chances d’engranger des audiences monstrueuses. Et c’est toujours le cas. La rencontre entre Maxximum et tout un peuple de jeunes français à Paris comme en province sur des critères de qualité et de nouveautés s’est faite! La radio qui scandait « tous les tempos dans la peau » a permis à toute une génération de professionnels du micro de se dire « c’est aussi possible dans mon pays ». Car en effet ce genre de format n’existait que chez des voisins anglo-saxons, belges et allemands. Et encore pas sur tout le territoire (monopole nationale de la BBC, restrictions aux seuls marchés locaux pour les radios privées au Royaume-Uni, radios musicales allemandes émettant régionalement, les stations belges étant limitées comme les stations suisses par des territoires linguistiques distinctifs). Même les Américains qui ont créé les radios de format ne connaissaient pas les réseaux nationaux, leur « sainte » syndication d’émissions pouvait permettre à des animateurs sur les deux côtes et même entre les deux pour les plus populaires. Mais pas de Maxximum chez eux. Exception culturelle française? Parlons aujourd’hui avec une personnalité rare de la radio française, un homme doué pour la prise de micro pleine d’humour, un patron de radio dans sa ville d’origine Dreux. Eric Madelon a commencé réellement son long parcours radiophonique national à Maxximum. Eric Madelon, forcément un nom familier pour les auditeurs d’Europe 2 ou de RTL2, cette dernière aura pris indirectement la succession de Maxximum au sein de RTL Group après l’accident industriel que fut M40. Interview d’un passionné de Maxximum et d’un animateur qui ne mâche pas ses mots et c’est pour ça qu’on l’aime.
SUISSISSIMO: Salut Eric. D’abord, j’aimerais que tu me dises un mot sur ce qui vous liait toi et Fred Rister (le producteur de musique electro et ancien animateur de Maxximum est mort le 20 août dernier). On a lu un très bel hommage de ta part et de plusieurs autres employés de Maxximum, un lien plus qu’amical on dirait?
ERIC MADELON: Bonsoir David. Le lien qui m’unit à Fred est un lien tissé avec les années. Je lui dois beaucoup car il m’a ouvert les oreilles sur des sons qui m’étaient inconnus à l’époque, puis des années plus tard, j’ai géré sa communication pour la sortie de son titre “I Want A Miracle” et de son livre “Faire Danser Les Gens”.
Cocto de son côté s’occupait de sa promo radio/tv.
Fred avait comme moi le souci du détail et surtout, il avait confiance en moi. Cela n’a pas de prix et on se doit d’être à la hauteur de cette confiance. Parallèlement, cette proximité permet des échanges très personnels qui renforcent ces liens. Nous sommes deux ultra-sensibles… Donc on se comprend sans avoir besoin de se parler. L’évolution de sa maladie nous a encore plus rapprochés. Je n’étais pas à ses côtés pendant son explosion avec David Guetta, mais de temps en temps, sans que tu t’y attendes, le téléphone sonne…
Maxximum a été une aventure incroyable pour toi, pourquoi?
Parce que j’y ai appris mon métier, grâce à Eric Hauville, Mickaël Bourgeois et Michel Brillié. Entre les créateurs de RVS, une radio mythique de Rouen et l’un des fondateurs des émissions qui ont fait les plus grandes heures d’Europe 1, tu te tais et tu écoutes… Et puis les animateurs de la radio, tous différents.

Fred Rister aux commandes des dernières heures de Maxximum. Eric était chargé de la com’ de “I Want A Miracle” et du livre “Faire Danser Les Gens” de Fred.
Certaines choses apprises à Maxximum me servent encore aujourd’hui. C’était un format américain avec de la musique “dance” européenne. On faisait en français ce que j’entendais sur les radios de New York ou Los Angeles ! Quand tu veux faire de la radio, quoi de mieux à l’époque ? Rien…
C’était aussi un état d’esprit. Il n’y avait pas de vedettes. Que des gens qui bossaient pour ce qui est le plus important dans une radio : l’antenne. Les animateurs ne sont que la pierre angulaire de tout le travail qui a été fait avant, à savoir la musique, la promo (Erick Peleau & Xavier Bise), et la technique pour que tout soit diffusé avec un bon son.
Je me souviens d’Olivier Devriese me montrant un domino sortant de la console du BOY, pour une soirée en direct. Je venais d’avoir Cocto au téléphone qui rageait de ne pas être là. Il écoutait dans la campagne à côté de Bordeaux. Il me racontait ce qu’il ressentait en écoutant Pat puis moi, faisant la promo de cette soirée. J’arrive donc ensuite dans la cabine du BOY, après avoir écouté en voiture cette soirée retransmise dans toute la France “par satellite” et Olivier de me dire : “Tu vois, Maxximum passe par ce truc. Un pauvre domino en plastique à 10 centimes…” Il rigolait en voyant ma tête défaite. Une soirée tient à peu de choses !!
J’ai découvert Paris la nuit avec son lot d’aventures incroyables et d’errements sans intérêts, le BOY et d’autres clubs plus underground. J’y ai donc surtout rencontré ceux qui deviendront des amis à vie, une sorte de Fraternité fondée sur une expérience commune, avec des liens plus ou moins denses, mais il y a ce truc en plus, pour ceux qui ont fait partie de cette aventure. Cela dit, je ne suis pas le ravi de la crèche, j’ai aussi une bonne mémoire concernant l’attitude de certains une fois Maxximum éteinte…

As-tu vécu dans ton travail d’animateur quelque chose qui s’y rapproche?Non. Par exemple, quand je suis arrivé à Europe 2 après Maxximum, j’avais l’impression que tout était au ralenti ! Passer de KLF à Laurent Voulzy – “Le Cœur Grenadine”, le choc culturel est violent… Aujourd’hui, Rire & Chansons où j’ai la chance de faire des remplacements me permet de dire quelques bêtises à la radio. C’est salutaire et c’est surtout la seule radio où le Directeur me paie pour en dire et m’encourage à en dire plus ! Bon, musicalement, c’est pas avec Tracy Chapman ou Hozier – “Take Me To Church” que je vais me retrouver en caleçon sur les enceintes de la radio, c’est sûr… Mais au moins, on rigole avec les potes.
Pour toi Maxximum, était-elle une radio de l’innovation et donc trop en avance sur son temps?
Eric Hauville disait : “Il n’est jamais bon d’avoir raison trop tôt”. On a bien vu…
La musique, la façon d’enchaîner les titres, le son (d’Olivier Devriese), la programmation, la façon de parler, les liners créés par Joachim Garraud, tout était novateur. On a rendu fous les concurrents. Les dirigeants de Maxximum n’ont jamais voulu faire comme eux. C’était ça, le truc ! Aujourd’hui, les radios ont peur de celles qui sont derrière elles. Nous, on voulait faire de la radio du mieux possible et c’est ce que nous avons fait. La suite appartient à l’histoire et à l’incompétence des dirigeants d’RTL de l’époque, puisque nous appartenions à ce groupe.
Tu es assez fan de cette passion pour cette radio avec les maxximaniaques, on te sent plutôt proche des fans de la radio, pourquoi?
Par respect ! C’est quand même la moindre des choses… Quand 30 ans après, tu as des auditeurs qui te parlent de ce que tu as fait/dit à l’époque, qui t’expliquent qu’un micro, que la musique, que ce que nous faisions passer à l’antenne les a touché, c’est incroyable ! Tu connais beaucoup de métier où ça arrive, toi ? Moi non… En politique on te flingue de ton vivant puis on t’adule quand tu es mort et quand tu bosses dans un bureau, est-ce que tu changes la vie des gens ? Evidemment, nous n’avons pas inventé un vaccin contre le cancer, mais nous avons été présents durant un bout d’adolescence de certains. C’est incroyable… Les gens sont gentils avec nous, pourquoi les envoyer balader ou pourquoi ne pas répondre ?
Es-tu surpris que la radio suscite encore beaucoup d’engouement?
Oui, bien sûr. C’est la suite logique de ta question précédente à savoir “pourquoi toujours autant de “fans”” ? Nous n’avons jamais pris les gens pour des idiots et ceux qui nous écoutaient étaient eux aussi en avance sur leur temps. Ils étaient curieux et avaient un cerveau.
« Thierry Mugler, Jean-Paul Gaultier nous écoutaient… c’était incroyable ! », Eric Madelon
Qu’est-ce qui te plaisait dans le son et la programmation, le genre d’animation et la vie autour de Maxximum?
L’émotion créée par ce type de musique, le côté “je viens d’avoir mon permis et ma première voiture de fonction, c’est une Porsche !! ”. La radio n’était pas un robinet d’eau tiède. On vivait cette musique à l’antenne, et on la voyait agir sur les gens la nuit dans les clubs. Forcément, le lendemain à la radio, tu en parles différemment ! C’était avant-gardiste, les gens de la mode nous écoutaient, Thierry Mugler, Jean-Paul Gaultier et d’autres, c’était incroyable !
Et puis voir ton boss le jour en costume et la nuit le croiser torse nu avec un gilet sans manche en peau de mouton et un short en jeans moule-burnes et Rangers, ça détend l’atmosphère !! On a aussi vu deux autres Boss, l’un endormi sur un canapé et l’autre près d’une enceinte du BOY !!! C’est des trucs que tu n’oublies pas… Et ça ne nous empêchait pas de les respecter.On attendait les nouveautés comme un oisillon attend la becquée. On écoutait des trucs qui nous donnaient le sourire, on rigolait c’était top ! Bon, on a aussi passé quelques “bouses”, soyons honnêtes… Mais la fin était compliquée, alors c’est explicable.
Une anecdote de tes années d’animateur à Maxximum?
Une que je n’ai jamais racontée, alors… En 1990, les caméras de surveillance n’étaient pas aussi répandues et banales qu’aujourd’hui. Il y avait une caméra dans le studio pour que les gens qui passaient dans le forum des halles puissent voir le studio en direct (encore un truc que l’on a fait avant tout le monde…). Quand je faisais le 21:oo – 01:oo, la télé de l’accueil était toujours éteinte, ceux qui partaient le soir l’éteignaient. Un soir, une amie proche est venue me voir dans le studio. Le lendemain soir en arrivant à la radio pour prendre mon petit déjeuner devant le 20h de PPDA dans le bureau de la Rédactrice en Chef, je ne comprenais pas pourquoi les vigiles me regardaient en souriant et pourquoi les Directeurs de la radio & les animateurs me demandaient : “alors, ça s’est bien passé ton émission, hier soir ?” Je répondais invariablement “Ben oui, qu’est-ce que vous avez tous à me demander ça aujourd’hui ??” J’avais juste oublié que la télé était restée allumée…
Je ne fais pas partie de ce projet, je n’en pense pas grand chose… Vouloir refaire Maxximum sans les gens de Maxximum m’étonnera toujours et puis je n’avance pas en regardant dans le rétroviseur. L’expérience est une lumière qui éclaire le chemin parcouru. Il faut parfois savoir avancer dans le noir et trouver son propre chemin sans utiliser une image, certes très belle, mais vieille de 30 ans.
Y a-t-il de la place pour un projet comme Maxximum en 2019 – tel qu’il avait été défini à l’époque – d’après toi?
Il y a de la place pour une vraie radio de musiques électroniques. Il suffit juste d’écouter ce qui se fait en Europe via le net. Mais cela fait des années qu’on lobotomise le cerveau des gens avec de la musique que l’on vend comme étant de la “danse music”. Entre “l’électro d’auto-tamponneuse” et les boucles de 7 minutes où rien ne se passe, je crois qu’il y a une troisième voie… Encore faudrait-il la programmer pour que le grand public se rende compte qu’elle existe.
Réécoutes-tu des enregistrements de Maxximum encore aujourd’hui?
Quand des fans diffusent des fichiers son, oui. Sinon, non… J’aime les nouveautés. À l’origine, j’ai voulu faire de la radio pour faire découvrir les nouveautés aux gens.
Me réécouter dans des extraits, ça me fait plaisir, même si j’entends tous mes défauts… Mais ce qui est vraiment incroyable, c’est que je me souviens parfaitement du micro en question, comme si je l’avais fait hier et je me vois le faire.
Quelle est ta vision de la radio en général aujourd’hui?
Houlà, vaste sujet… Tout dépend de l’objectif de la radio dont on parle… Si l’objectif est de faire de l’audience, il faut comprendre et admettre certaines règles. Il faut admettre aujourd’hui qu’il y ait des animateurs plus mis en avant que d’autres.

À Maxximum, la vedette c’était la radio. Aujourd’hui, on laisse faire certaines choses aux “animateurs vedettes” parce qu’ils représentent chez certains 40% de l’audience, alors que ce qu’ils font/disent à l’antenne ou en interne – pour certains – relèvent des tribunaux. Je ne serai jamais d’accord avec ça. Où est l’humain ? Où est l’âme de la radio ? Où est la bande de potes qui obéit à certaines règles tout en s’éclatant ? Où est l’équité ? Où est l’unité qui se ressent à l’antenne ?
Mais on ne pourra jamais reprocher aux radios commerciales de programmer des Hits pour faire de l’argent puisque c’est l’ADN de ces radios là. Et puis c’est très difficile de faire de l’audience ! C’est beaucoup plus facile de critiquer la programmation…
On parle d’absence de prise de risques des programmateurs et chefs d’antenne dans la FM, es-tu d’accord avec ça?
Oui, totalement. En politique on est dans le “pas de vague” et en radio, on est dans le “tant que ça marche, on touche à rien”… Sauf qu’on va toucher le fond dans peu de temps si on ne s’adapte pas aux nouveaux modes de consommation de la musique.
Tout comme pour l’arrivée du MP3 que les maisons de disque n’avaient pas vu venir, aujourd’hui tout est une question de support ET de contenu. J’échangeais récemment avec Gaël Sanquer, le boss d’NRJ : Spotify et Deezer ne rognent pas tant que ça l’audience des radios. C’est juste une histoire de “où et comment” j’écoute de la musique. Pour un ado, la radio c’est le truc que sa mère écoute en voiture ! Lui, il est sur YouTube, Spotify et Deezer et il écoute de l’urbain ou du rap… Comme ce qui est diffusé sur les radios commerciales !!
« Quand tu regardes les playlists Spotify des gens, c’est à pleurer », Eric Madelon
Le coup de “je découvre des trucs grâce à Deezer et Spotify”, c’est comme les impôts, c’est du déclaratif… Quand tu regardes les playlists des gens sur leur smartphones, c’est à pleurer. Seule une minorité écoute plein de trucs différents… Spotify et Deezer font des concerts privés comme le font les radios ! Aux radios de créer du contenu propre qui fait venir les gens car ils ne pourront pas le trouver ailleurs.
Mais on reste dans des faux “non-stop music”, concept déjà obsolète à l’époque de leur mise en place, mais vendu à Lagardère, RTL et NRJ par le Christophe Roquencourt de la FM qui aujourd’hui cherche du boulot après avoir passé sa carrière à virer ses potes. Les premiers qui sortiront de ça en dehors des talks gagneront…
Comment diriges-tu RTV 95.7 à Dreux? Es-tu en charge de la politique musicale de la station?
J’essaie de ne pas reproduire ce que j’ai subi dans les radios nationales. Les gens qui m’entourent et moi-même respectons les lois et les gens. J’explique, j’argumente. Au final, le talent des gens qui produisent l’antenne au quotidien, des bureaux jusqu’aux micros, c’est grâce à eux que la radio tourne. J’ai su les choisir. Prendre quelqu’un de pas très bon dans son groupe pour qu’il ne vous fasse pas d’ombre, on en crève aujourd’hui… Je préfère prendre des gens qui ont du talent et qui demain pourraient prendre ma place. Au moins, la radio tourne, elle sonne et ce n’est pas un robinet d’eau tiède.
Je suis le Président de RTV 95.7 depuis 2009 et depuis 2009 je gère la programmation. J’ai proposé au conseil d’administration de l’époque une stratégie musicale adaptée au marché local et à notre statut de radio locale associative. Nous avons aujourd’hui une programmation Electro-Pop qui évolue en fonction des heures de la journée, pour au final taper un peu plus le soir. Mais nous restons une généraliste gérée “à l’oreille”, à l’émotion et sans panel. Ça me fait d’autant plus plaisir quand j’entends des titres que je joue depuis des semaines rentrer sur Virgin ou NRJ. On cherche à élever les gens, à leur proposer de belles choses. Pas de rap, pas de “slows” : #Happy Music [Only]. La programmation est large. Elle serait évidemment resserrée si RTV 95.7 était une radio commerciale.

Aimes-tu les radios de format musicaux spécialisés ou passes-tu plus de temps sur le web, les applications type Spotify pour écouter de la musique?
Comme beaucoup, j’écoute principalement la radio en voiture. J’écoute France Culture ou France Inter le matin. J’ai besoin de radios qui parlent avec du contenu intelligent. Et j’écoute mes potes sur la FM (qui eux disent souvent n’importe quoi !!!).
Je suis sur Spotify et Deezer, puisque c’est le seul endroit où l’on peut écouter des nouveautés au moment où elles sortent et j’ai ma playlist officielle “Eric MADELON” sur Spotify & Deezer. Cocto me donne aussi les nouveautés de Music Media Consulting.
Celui qui en tout cas me vient à l’esprit est Digital Vamp – “You Can Take My Body”. Il incarne pour moi le BOY en 89/90. Quand j’entends ce titre, je me revois rentrer du BOY au petit matin, prendre une douche puis repartir à l’université, en marchant vers le Métro “La Muette”, en ayant toujours cette chanson en tête.
J’étais dans une sorte de décalage avec mes collègues étudiants prof d’EPS !
