LA DEFLAGRATION GRRIF

La radio privée FM et numérique GRRIF (Groupe BNJ FM) est un joyau. Un cadeau des ondes (une vingtaine de fréquences FM et une présence DAB+ sur le multiplex romand) et du web. GRRIF est l’offre programmatique exceptionnelle que le paysage médiatique romand qui dort attendait depuis la crise de la trentaine de Couleur 3. La station FM, DAB+ et internet qui compte moins de dix personnes dans son staff antenne a aujourd’hui trois ans et fait de l’ombre aux plus grandes stations alternatives du monde francophone. Elle file un sacré coup de vieux à la géniale Nova pour une programmation bien plus novatrice, elle est musicalement plus pertinente que Classic 21 en Belgique et elle esquinte la légendaire Couleur 3… Jusque-là Couleur 3 n’avait pas de concurrents à sa taille, pas de stations publiques alémaniques assez folles pour aller se positionner sur le même créneau (découverte et nouveauté musicale), pas d’opérateurs privés régionaux assez audacieux pour aller la chercher sur son terrain de l’humour décalé et de la recherche musicale. Les Franck “Roger” Matter, Valérie Paccaud, Vincent Veillon et autre Jonas Schneiter ont leurs cousins germains en Suisse du nord et s’ils sont bien élevés musicalement, leur humour a quelque-chose de bien plus corrosif que les stars lausannoises, plus libre, plus jouissif… Pourquoi? Parce que GRRIF est tribal, « trippal », addictif et vous tord les boyaux de rire ou de plaisir dans les plus beaux moments de vidange verbale de Marie-Luce en fin de journée ou lors du GRRand DébaRRquement le matin. Des personnalités non-formatées (Noémie, Stève, Aurélie, Mike, Régis et les autres…), un ton inimitable, une émission érotique qui surprend et une programmation qui fait beaucoup de place à la musique noire, rock n’roll, soul, reggae, hip-hop, indie-pop et electro, construite avec génie par Fabrice Aeby. La radio implantée au cœur du Jura suisse a en trois saisons réussi là où des médias novateurs mais trop singuliers ont échoué par le passé sur de trop gros marchés (et ce malgré leur succès d’audience): Maxximum en France fin des années 80, Mars FM ou Indie 103.1 à Los Angeles, capitale des radios d’offre dans les années 90… tous morts alors qu’ils étaient distinctifs, rebelles, crédibles et ambitieux. Seul exemple de station de radio novatrice et originale à avoir survécu à la tentation de ses patrons de la tuer, c’est BBC Radio 6 Music, sur le DAB en Grande-Bretagne, qui grâce à l’appui de ses auditeurs et de personnalités comme David Bowie a gardé ses fréquences et son staff. On souhaite à GRRIF un succès à la BBC Radio 6 Music sur du très long terme, la Suisse a besoin d’une radio comme GRRIF qui rappelle que ce pays est pionnier dans les médias radiophoniques de qualité. Interview avec Cédric Adrover, le rédacteur en chef et chef d’antenne de GRRIF.

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Léonie, une journaliste pas comme les autres. Son ton est décalé, son information vérifiée.

Suississimo: GRRIF a beaucoup fait parler d’elle depuis sa campagne de pub mystérieuse d’avant lancement. On parle de station novatrice au service d’une région (l’Arc jurassien puis toute la Romandie) qui ne demande qu’ à être un peu bousculée culturellement. C’est votre sentiment?

Cédric Adrover : Effectivement, il y a toujours eu cette volonté de communiquer en étant créatif. Aussi pour des raisons budgétaires : quand on croule pas sous les dollars, on doit avoir des idées. C’est le même moteur pour l’antenne : on est une petite équipe. Nous allons là où on n’attend pas une radio, soyons créatifs. Et visiblement il y a une attente des auditeurs pour ça.

GRRIF doit-elle pour prospérer se débarrasser de son génome jurassien? Ou avez-vous la conviction qu’il fait partie de la marque de fabrique?

GRRIF a clairement une volonté de répondre à une demande romande. On veut, et on peut, être une radio qui parle à des auditeurs quel que soit leur canton d’origine. La musique n’a pas de frontières. On a déjà eu des collaborations avec des clubs lausannois et valaisans. Mais on n’a pas du tout honte de nos origines, on les assume bien. On vient du nord! Sérieusement, avec une offre radiophonique romande déjà très lémano-centrée, on se démarque aussi comme ça. Récemment, un auditeur genevois nous a dit apprécier ça, parce que c’était, je cite : «dépaysant».

Justement, qui écoute GRRIF et qu’est-ce qui plaît dans le concept? En Suisse romande et en Suisse alémanique?

D’abord des amoureux de musique. GRRIF, c’est 90% de son, et pas du son qu’on retrouve ailleurs. A une époque où les labels imposent leurs propres choix et artistes, on se fait un point d’honneur à fouiller le web, de déceler des talents, de connaître la scène indépendante. Ca prend du temps. Ensuite je pense ceux qui nous écoutent ne trouvent pas leur compte dans les radios habituelles très formatées, qui évitent de prendre trop de risques. GRRIF a ce côté un peu laboratoire : on essaie des choses, en assumant que ça peut marcher, mais aussi pas du tout.

Neuchâtel est bien servie par la programme GRRIF mais Lausanne/Genève/Fribourg/Sion (DAB+) et Bienne (FM) semblent être un peu moins représentées à l’antenne. Est-ce par choix ou par contraintes économiques?

Ce n’est pas tout à fait vrai. En terme d’employés, Stève et Fabrice viennent de Bienne, et ramènent régulièrement des sujets (surtout Stève). Après c’est clair que c’est plus difficile d’être physiquement présent à Genève ou Sion… On essaie tout de même : lors du festival Antigel un auditeur de GRRIF nous a envoyé des interviews. On collabore régulièrement avec Fri-Son. On était avec Les Docks sur le concert de Sharon Jones… Mais évidemment, si on en avait les moyens, on aurait des correspondants dans chaque canton romand!

La pub nationale n’arrive pas jusqu’à GRRIF

Le marché de la pub romande a subi un ralentissement (renforcé dans certaines régions par l’abandon du taux plancher du Franc Suisse), comment cette conjoncture défavorable affecte GRRIF? Quels sont les possibilités de développer commercialement le programme, hors du périmètre habituel (concessionnaires auto, Loro…)?

C’est difficile actuellement effectivement, d’autant plus que la publicité nationale n’arrive pas chez nous. Là où on a un vrai répondant d’auditeurs partout en Suisse romande, les clients eux ne semblent pas savoir que nous existons…

Les nouveautés programmatiques arrivent progressivement. “Culturbitacée” est un show frais et intelligent sur la culture… pas chiant… pas prétentieux et vivant, comment avez-vous pensé ce concept? Quelles seront les grandes lignes de réflexion pour la rentrée 2015?

On est effectivement très fier de cette émission. Aurélie a porté le projet. Elle est exigeante, demande beaucoup de temps, mais en vaut la peine. Il faut savoir qu’on a eu un soutien financier de la FSRC pour la mettre en place. La rentrée se présente bien : depuis janvier, les animateurs et journalistes travaillent sur des concepts. Il faudra essayer de gagner encore en pertinence, tout en faisant des choix dictés par la situation financière. Être créatif, une fois de plus!

On peut donc parler de début de renouvellement à envisager avec l’arrivée à maturité de certains concepts comme « Cambouis en Buick »?

Oui! Il y aura un renouveau à la rentrée. Cambouis en Buick, pour reprendre ton exemple, a eu une vie intéressante: au lancement (mars 2012), il a fallu se roder. Puis on l’a fait évoluer sur 2013-2014. Satisfait de son rendu, on voulait la faire découvrir aux nouveaux auditeurs (dont ceux du DAB+) sur la saison 2014-2015. Maintenant, il est probablement temps de ranger la Buick au garage!

Marie-Luce, conductrice de Cambouis en Buick, attention aux dérapages incontrôlés... elle n'a pas plus le permis depuis longtemps.
Marie-Luce, conductrice de Cambouis en Buick, attention aux dérapages incontrôlés… elle n’a pas plus le permis depuis longtemps.

Je sens une modestie certaine autour de vos personnalités à l’antenne. Comme pour les radios de BNJ, vous ne sursaturez pas l’antenne de jingles, de références aux animateurs. Chez GRRIF, c’est le programme qui prime avant les animateurs/animatrices et leur ego?

Oui, effectivement. De nouveau, pas par honte ou modestie, simplement parce qu’on ne pense pas que les auditeurs tomberont amoureux de nos personnes. Ils peuvent aimer ce qu’on propose en termes de contenu et de musique, ça c’est ce qu’on souhaite avant tout.

Radio d’offre musicale

La musique est programmée avec une certaine rigueur et créativité. Ce qui place GRRIF sur le créneau de radios musicales d’offre originale, éclectique, alternative et qualitative comme KCRW aux Etats-Unis, FIP ou Radio Nova en France ou BBC Radio 6 Music en Grande-Bretagne. Votre objectif est-il comme une radio de service public de respecter l’auditeur pour son envie de découvertes?

Oui! Et on a l’impression qu’on a aussi un rôle à jouer à un moment ou chacun compose sa playlist. Spotify ou Deezer permettent déjà d’avoir deux heures de musique avec ses titres préférés. Par contre, même s’ils essaient de s’y mettre, ils ne sont pas encore très performants en termes de «faire découvrir des choses». Notre promesse, c’est de faire découvrir des titres qui ne figurent pas dans les compilations Spotify des auditeurs. En espérant qu’ensuite, ils finiront sur GRRIF, parce qu’on a vu juste.

Grrif va avoir trois ans, comment la radio a-t-elle réussi à se faire une place dans le paysage audiovisuel suisse-romand? A-t-elle réussi à se positionner là où Couleur 3 ne peut plus se permettre : attirer un public jeune (25-35 ans) et consommateur de musique/produits culturels avec un bon pouvoir d’achat?

Notre moyenne d’âtre est plutôt sur les 35 ans, ce qui reste relativement jeune pour la radio. C’est aussi une volonté : on ne tient pas à se différencier en termes d’âge, mais plutôt dans un registre de «soif de découverte». On adore quand des auditeurs de 18 ans nous écrivent pour dire qu’ils ont adoré un Jimi Hendrix, et quand un auditeur de 65 ans délire sur le dernier single des Black Keys.

Maxximum en France avait obtenu un succès national intéressant avec un petit réseau en misant sur une programmation musicale electro/dance originale, après trois et demi de travail intense pour concurrencer NRJ, Skyrock et Fun, son propriétaire l’a fermée pour créer une radio adulte plus rentable commercialement, avez-vous malgré tout parfois la tentation de redéfinir avec l’accord de l’OFCOM le concept de la radio?

Je n’ai pas l’impression que la direction de BNJ FM soit dans cette réflexion. Depuis le début, on sent une vraie confiance dans le projet. Mais là aussi.

Les auditeurs de Grrif ont-ils tendance à s’approprier la radio comme si c’était leur seul et unique média?

Je ne crois pas… Nos auditeurs sont des gens très ouverts d’esprit (en tout cas c’est mon impression) et GRRIF fait partie de leur «panel» de médias. On est complémentaire à d’autres sources médiatiques. On l’accepte d’ailleurs, et même, on l’encourage. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne sont pas fidèles! Au contraire.

Sentez-vous cette fidélité s’exprimer dans les retours que vous avez sur les réseaux sociaux?

Le meilleur exemple est la campagne agent double RR montée l’an dernier. On a voulu mettre sur pieds une campagne de promotion à l’échelle romande, mais avec peu de moyens et une petite équipe, on avait besoin d’aide. On a donc demandé à nos auditeurs si certains étaient d’accord de nous donner du temps pour devenir agent double RR, et faire découvrir GRRIF. On espérait avoir quelques réponses… on a fini avec plus de 130 personnes dans toute la Suisse romande. Ca nous a vraiment touchés.

Quelle est plus globalement la stratégie « digitale » de la radio, notamment en matière de radios sociaux?

On veut maintenir une forte présence sur les réseaux sociaux, en les utilisant surtout comme un pont entre la radio est les auditeurs. Aucun message ne reste sans réponse, c’est essentiel pour nous. GRRIF ne doit pas être une entreprise, mais vraiment une personne avec qui on peut discuter, échanger, même être en désaccord. On souhaiterait être plus présent sur les autres plateformes, ça va peut-être venir.

La consommation par portables intelligents reliés au réseau 4G est-elle une chance pour GRRIF d’attirer des ados/jeunes adultes qui n’ont que faire du DAB + ou de la FM?

Oui, potentiellement. A l’heure actuelle, c’est vraiment difficile de dire quel technologie l’emportera…

Une audience de près de 50’000 auditeurs par jour

GRRIF doit-elle faire attention à ne pas attirer trop d’adultes d’âge mûr?

Je ne sais pas si c’est un danger…. GRRIF doit faire attention de pas trop attirer ceux qui se considère comme « adultes d’âge mur » dans leur tête. Mais dès qu’il y a une envie de découverte et une ouverture d’esprit, peu importe qu’on ait 16 ou 95 ans.

Quels sont vos résultats d’audience? Comment progressez-vous? Quelles sont les tranches qui sont les plus performantes?

On a une bonne progression, de 25’000 à nos débuts, on est aujourd’hui à 45’000. Dans un contexte où les chiffres généraux du média radio baissent, c’est positif. On espère passer les 50’000 cette année, mais on espérant une implantation du DAB plus rapide dans les ménages et les voitures. Le 16-18 se porte particulièrement bien. Mais étant une radio musicale avant tout, on a moins de « prime time » qu’une radio axée sur l’info par exemple.

GRRIF avait fêté son premier anniversaire au SAS et à la Case à Chocs? J’étais au premier des événements. J’y avais senti une fierté et un esprit très positifs chez les participants, le signe que le média produit un effet intéressant sur les gens? Avez-vous pensé à d’autres événements sur des festivals ou près du Lac Léman pour promouvoir la station et ses valeurs autrement?

Pour nos 3 ans, le 20 mars 2015, on a préparé une éclipse de soleil. Blague à part, oui, c’est toujours génial de rencontrer les auditeurs. Gourmand en ressources aussi, quand on est une équipe de 8, envoyer 4 personnes sur un festival c’est lourd. Mais on le fait, et on va continuer! Parfois par des choses simples… Se promener dans le camping de Paléo, ce n’est pas une présence «officielle», mais c’est tout aussi efficace pour rencontrer des auditeurs potentiels.

BNJ a passé le cap des 30 ans. Comment cette longue expérience acquise au fil des ans peut-elle servir au développement de GRRIF?

Le savoir-faire de BNJ est essentiel pour GRRIF. Au niveau administratif et technique, GRRIF n’existerait pas sans ses grandes sœurs. On réfléchit actuellement aussi à un projet de réunion des rédactions, pour travailler efficacement sur une plus grande région, mais sans changer la particularité de ton de GRRIF.

Propos recueillis par David Glaser

www.grrif.ch

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