Dominique A en concert aux Docks de Lausanne : Entretien (2e partie)

Le chanteur et poète Dominique A revient aux Docks pour défendre « Le Monde Réel » le vendredi 13 octobre. Ce 14e opus est selon moi très haut placé dans la série des chefs d’oeuvre déjà livrés. Le Nantais ne fait pas dans la demi-mesure, il souligne de sa plume précise et réaliste les contours d’un monde bien réel, bien cassé, sans tomber dans un portrait caricatural de notre écrin écrasé par le cataclysme en cours. Notre meilleur artisan de la pop indé en français n’a jamais cessé de charger sa prose d’images pleines de sens et qui prêtent à réfléchir, à sourir parfois et à douter aussi beaucoup. J’aime « Le Monde Réel » comme j’ai rarement aimé un album. Il y a une densité, une sonorité, des espaces nouveaux à explorer à la première écoute. On y retourne en espérant comprendre ce qui a bien pu mûrir dans l’esprit de l’auteur du « Courage des Oiseaux ». Les rencontres avec d’autres musiciens, croisés ici ou là, déjà pour des projets d’albums sous le nom de Dominique A ou ailleurs… Dominique Ané nous explique tout, du procédé appliqué aux transpositions des chansons sur scène et accepte volontiers de parler de ses obsessions culturelles du moment, notamment un retour à l’écoute du maître Bonnie Prince Billy.

Le concert de Genève avait un caractère magique dans la transposition sur scène ?

Oui, ça se prête au live. Je crois. Après avoir travaillé le disque, j’étais loin du live. Je fais un distinguo entre ce qu’on fait en studio et sur scène. Pour moi, il n’y a pas d’obligation de transposer de ce qu’on est en train de faire sur scène. Le groupe a été créé en studio. Une réunion et on a constitué un conglomérat de talents qui n’avait pas joué ensemble. Et la sauce a pris tout de suite, cela aurait été frustrant de se cantonner à cet enregistrement. Ce que j’aime dans l’idée d’avoir un son de groupe, de créer une entité sur un certain nombre de mois. C’est de revisiter les vieilles chansons avec le son du groupe du moment. Du fait qu’on est nombreux, qu’il y a une palette instrumentale assez riche, ça permet de naviguer pas mal. On n’est pas limité comme quand on est à quatre à trouver des parades sur des arrangements parfois sophistiquées.

Il y a une redécouverte de certains morceaux à travers le style de jeu de ce groupe ?

J’espère que c’est le cas, c’est l’objet d’une remise en route. Je propose quelque chose pour que des gens qui m’auraient déjà vu aient des surprises. L’élément prédominant par rapport à la scène, c’était cette volonté d’être moins musicien et plus chanteur. Lâcher la guitare régulièrement… Je ne voulais pas jouer du tout au début. C’était un peu radical. Mais ça nous privait de certains arrangements. Alors j’ai repris la guitare sur certains titres. Avec le temps, ça m’a permis d’avoir une attitude plus volontariste au niveau des gens. Ainsi ça participe au petit renouveau que je ressens en jouant avec ces musiciens.

Une écoute un peu plus active est-elle voulue pour que le message des chansons soit plus clair ?

Non ou alors ce n’est pas conscient. Souvent, ce qui m’a été dit à propos des concerts au fil des années, c’est « c’est dense ». Cela veut dire que c’est riche, et parfois c’est trop riche. J’essaye de pas mettre trop d’attention dans la perception de gens, je ne la maîtrise pas, je n’ai pas envie de donner des clés, qu’il y ait un cahier des charges qui soit trop lourd, on est dans la transmission d’une énergie de groupe. Il n’y a pas volonté que les gens se penchent sur ce que je dis. J’essaye de dire les choses clairement. Si le sens n’est pas clair, au moins les phonèmes le sont. La façon dont on s’est entendu, je n’ai pas la main là-dessus et Dieu merci !

Quel est l’apport du réalisateur Yann Arnaud, je crois qu’il a un rôle central ?

Oui c’est vraiment le producteur artistique. C’était un dialogue entre lui et moi. On travaillait chaque chanson dans notre coin au studio et il écoutait. Au bout de quelques heures, il donnait son orientation en quelque sorte, si la direction était bonne, il mettait l’accent dessus et on allait dans ce sens. On était très à l’écoute de ce qu’il disait. Certes, il y eut une déclaration d’intention dans une conversation entre nous deux au début. Le contexte assez charnu sur une forme d’épure. On était dans une richesse orchestrale. Mais comme « abondance de biens peut parfois nuire », on a fait attention à ne pas surcharger. Sur le son, Yann est le maître d’œuvre. Il a tenu un rôle de producteur artistique.

En quoi l’écriture des poèmes a-t-elle pu influencer ton écriture de chansons ou te permettre de changer ta façon d’écrire des chansons ?

Alors ça n’a pas eu d’incidence pour l’album car l’écriture des poèmes est intervenue après. Ce travail d’écriture de poèmes est en réalité venu me libérer après la fin de fabrication de l’album. Elle me replaçait sur un terrain créatif alors que généralement, en fin d’enregistrement, je suis en total déperdition de mes moyens artistiques. Cela m’a permis de proposer une écriture plus déliée et plus libre. On passe du blues de la fin de la conception d’un album, une sorte de phase de « baby-blues » qui est toujours là. Donc il n’y a pas eu d’interaction entre les deux types d’écriture. Je dirais que le changement n’a pas eu lieu sur le terrain de l’écriture du texte de toutes façons. Je voulais que les morceaux soient assez élaborés musicalement et qu’ils ne fonctionnent pas sur le modèle couplet-refrain et qu’il y ait des morceaux à tiroirs. Pas pour tous les morceaux de l’album bien sûr mais avec des parties qui s’imbriquent et qui ne sont pas sensées s’enchaîner naturellement. Alors ce projet nouveau a forcément eu une incidence sur l’écriture des textes car il fallait naturellement que le texte s’adapte à cette envie de sinuosité musicale. Par exemple, pour une chanson comme « Dernier appel de la forêt », je dirais que la longueur du texte est dépendante de la longueur de la musique. Ce n’est pas du ABC-ABC avec un pont-couplet-refrain, c’est-à-dire qu’il s’agit de parties qui s’enchaînent sans véritable logique. C’est en ce sens-là qu’il y a eu une différence. Thématiquement, c’est vrai qu’il y a un côté pré-apocalyptique dans les chansons. Mais ce n’est pas quelque chose que j’ai contrôlé. Je peux constater qu’au bout d’un moment, j’étais sur ce terrain-là et je n’avais pas envie de me brider thématiquement.

Quand tout va mal, que l’écologie maltraitée est une source d’angoisse chez beaucoup d’entre nous, quelles seraient tes obsessions culturelles actuelles et qui te semblent rassurantes dans le monde de l’art ?

Alors au sujet de l’écologie et de ma conscience écologique, je ne suis pas plus conscient que qui que ce soit. En fait, je me laisse déborder par une angoisse globale. Il y a des gens pour qui c’est moins aigu. Je ne tiens pas particulièrement à enfoncer des portes ouvertes par rapport à ça. J’ai presque envie de parler un peu plus du déni qu’on a par rapport à l’écologie que de mettre en avant une inquiétude générale. C’est plus l’expression d’une conscience par rapport à mon propre déni en fait. Et je me demande à moi-même comment je fais pour vivre comme tout un chacun. Je vis… alors qu’il paraît que la maison brûle. Et donc pour les obsessions, il n’y aucune œuvre d’art qui m’arrache à cette anxiété-là, je continue à être nourri par la littérature surtout et par la musique. Il y a des périodes où je n’écoute absolument rien. Je ne découvre rien mais je redécouvre. Ces temps-ci j’écoute de la musique de type americana, alors que pourtant Dieu sait si je m’en étais lassé. Il y a aujourd’hui Angel Olsen ou Bonnie Prince Billy. J’écoute leurs disques et ça me met en joie, ça me réconforte. Mais je n’ai pas l’impression que ce soit là pour juguler mes inquiétudes. Mes attentes sont les mêmes, des attentes de beauté et de réconfort. Je viens de finir un livre intitulé « Les frères Lehman » de Stefano Massi. J’ai un autre rapport à l’art et à l’écriture en ce moment…

C’est marrant car je lis actuellement un livre Bonnie « Prince » Billy, I See a Darkness du journaliste et auteur suisse Christophe Schenk chez un éditeur français qui a créé la collection Discogonie.

Ah oui, je connais Christophe, c’est ce livre sur « I See the Darkness ». Ce livre est chez Discogonie ?

Oui c’est ça.

Je connais aussi cette collection car mon album « La Fossette » y a été commenté et publié justement par Discogonie.

Puisqu’on parle de Christophe Schenk et de ton rapport à la Suisse, quel est ton rapport avec notre pays ?

Ce qui est étonnant en Suisse, c’est qu’à chaque fois le public est très ouvert, très à l’écoute et très réactif. Des gens sont parfois sur la réserve ou très pudiques en France. Il y a quelque chose de naturel en Suisse. On a un projet avec l’Orchestre de Chambre de Genève qui est en préparation. Je vais donner des concerts symphoniques fin mars. Il y a un rapport qui s’est créé avec le public chez vous. Je vais plus souvent jouer en Suisse qu’à Marseille par exemple. Il y a un intérêt qui perdure et des projets qui se mettent en place qui vont encore renforcer les liens avec ce pays. Mon père me dit comme une boutade quand je lui annonce que je pars en tournée « Ah ? Tu vas en Suisse », il a l’impression que je vais toujours jouer en Suisse, ça le fait marrer. Je ne sais pas pourquoi mais ça m’amuse.

Je suis originaire du Mans, je t’ai découvert dans cette ville un jour de 1992, j’étais au concert à la Salle Jean Carmet d’Allonnes avec Jean-Luc Lecourt (Jean-Luc Le Ténia) et son meilleur ami Tony Papin. On était tous les deux très fans de « La Fossette » qui venait de sortir. Te souviens-tu de l’œuvre de Jean-Luc ?

De très loin, ça m’avait plu… je n’ai pas écouté sa musique depuis longtemps, donc je pourrai mal t’en parler. Ce n’est pas lui qui faisait le fanzine Radis noir ?

Oui c’était son fanzine qu’il faisait, avec l’aide de Tony.

Je le recevais, c’est lui qui me l’envoyait. Mais je ne l’ai pas écouté depuis longtemps.

Le Mans, pour moi, c’est aussi Dalva produit par le réalisateur de ton dernier album « Le Monde Réel » Yann Arnaud, tu connais ?

Yann m’en a parlé mais je n’ai pas encore eu le temps d’écouter.

Il y a des artistes qui te sont proches, ils reviennent régulièrement. C’est le cas de David Euverte, il y a une sorte de fidélité avec des musiciens qui reviennent sur tes projets, on ressent ce rapport de fidélité sur cet album je trouve.

Oui, il y a une fidélité, certains musiciens me sont très proches. C’est d’ailleurs David Euverte qui fait le travail d’arrangement pour le concert symphonique. J’aime bien l’idée de constituer des liens avec les musiciens, avec des gens qui ont plein de projets par ailleurs, notamment Sylvaine Hélary et Sébastien Boisseau. J’avais bossé avec Sylvaine sur « Vers les Lueurs ». On s’est dit qu’on se retrouverait. Et ça s’est fait avec elle et Sébastien. Ce dernier, je l’ai rencontré il y a quelques années, la première collaboration avait vraiment bien marché. J’aime cette idée.  Avec Sacha Toorop, on s’est lié avec Sébastien, il y a eu des allers-retours. Mais on n’est pas pieds et poings liés. J’aime cette idée de créer cette équipe disparate de gens qui font leur truc ailleurs, c’est important de ne pas ressentir cette pression, pour éviter des divorces douloureux. Quand un groupe est en attente de l’activité du chanteur ou de la chanteuse, c’est compliqué. Et ça n’est pas le cas.

Et que penses-tu des lieux d’enregistrements comme des lieux de vie commune comme le studio de La Frette ?

C’est très important. La Frette, je ne connaissais pas. C’est Yann Arnaud qui avait travaillé et le trouvait bien, sur le mode du Château d’Hérouville, un des derniers repaires en France. Il y a donc La Frette ou la Fabrique dans le sud-est. On est dans ce type d’ancienne maison bourgeoise. Si je ne suis pas bien dans un lieu, je ne peux pas donner le meilleur de moi-même. Je suis attentif à ça.  

Quelles sont les chansons que tu aimes sélectionner pour tes concerts, est-ce que toute chanson de ton répertoire a sa chance d’être jouée sur scène ? Est-ce compliqué de choisir ?

C’est compliqué, oui. Je m’aperçois, au fil du temps, que les « élues » se font de plus en plus rares. Il y a des trucs que je tente pour la scène et je me rends compte que ça ne va pas. L’album « Remué » auquel je reconnais des qualités artistiques, à part la première « Comment certains vivent », je m’emmerde à les jouer. Avec le temps, plus j’ai de chansons, plus le champ se restreint autour de 50 titres sur 250 dans mon répertoire. Donc je tourne toujours autour des 50 mêmes. Elles se détachent d’elles-mêmes. Une bonne chanson dont on ne se désolidarise pas, il y en a plein qui ne m’apportent rien. On repend la tournée dans une semaine et j’ai pas mal galéré à trouver des chansons qui m’enthousiasmaient. Je suis un peu fatigué de certaines chansons, il y aura peut-être un retour de flammes.

Tu joues « En Surface », écrite pour Etienne Daho ?

Oui, je le faisais sur une tournée précédente, mais j’ai mauvaise conscience elle a été écrite pour Etienne Daho. Je n’ai pas eu ce problème d’ « Immortels » dont la version de Bashung est sortie bien après. « En Surface », je l’aime beaucoup. Je n’ai pas envie de la défendre sur scène, alors j’aurais l’impression d’être un faussaire.

Alors, il faut que je t’avoue qu’avec mon groupe de rock, on ne se gêne pas pour la reprendre…

Ah d’accord (éclat de rire) !

Merci Dominique.

Merci beaucoup

Propos recueillis par David Glaser

Cliquez ici pour lire la première partie de cet entretien.

Pour les renseignements sur le concert de Dominique A aux Docks, cliquez ici.

www.dominiquea.com

Photos Jérôme Bonnet et David Glaser

Merci à Alexandra Duvanel des Docks et Eric Marjault de Cinq7

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