VOIX DE TÊTE

Dominique A est un cas à part. Un homme de musique à l’exigence et à la réputation impactant plusieurs générations. Des premiers émois indés découverts dans la région nantaise avec son voisin Philippe Katerine et ses colocataires du label nantais Lithium les Little Rabbits aux collaborations avec des musiciens-virtuoses trempant dans le jazz et les musiques plus complexes, Dominique Ané (pour le civil) affiche une expérience de plus de trente ans, soutenu par une presse musicale presque toujours enthousiaste. Il est là en chair et en voix, assis sur une chaise qui le sied. L’Alhambra résonne de mille ondes positives. Voix de Fête a fait une bonne pêche, dans ses filets le meilleur chanteur français du monde, rien que ça. 

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Photo de Irina Popa pour Voix de Fête

Ce soir Dominique A est l’invité d’un festival majuscule pour sa musique : Voix de Fête. Dans une salle historique et refaite de fond en comble où les concerts se succèdent pour l’enchantement des masses genevoises en quête d’un frisson particulier. Dans la magnifique salle aux moulures rococo et au plafond art-deco, je vois des têtes connues, Christiane, ancienne collègue technico-réalisatrice à la radio et plusieurs autres fanas de chanson française moderne. On compare ensemble les fois où on a vu Dominique A, on parle de Billie Bird la chanteuse de Lausanne en première partie ce soir, de David Lafore, Monolink, Nicolas Jules… les discussions sont franches mais bienveillantes, le bar près du hall d’entrée ne permet pas aux gens de danser, mais on sent la passion, l’énergie, l’envie de vibrer… Assis, on parle des premiers titres de Dominique A issus de « La Faussette » et « Si Je Connais Harry », une vraie belle série de vignettes reviennent à la mémoire, la première fois avec Jean-Luc Le Ténia (le plus grand chanteur français du monde selon Didier Wampas) et Tony Papin à la Salle Jean Carmet d’Allonnes. Nos années lycée, nos premiers coups de cœur  musicaux avec cette ex-nouvelle chanson française. Dominique A a été le premier, Katerine, Miossec, Jean-François Coen, Dalcan (Snooze) ou Ignatus ont suivi. Il faudra attendre 2023, soit près de 30 ans après pour reparler des oisifs ombrageux qui chantaient le « Le Courage des Oiseaux » dans le vent glacé. Avec Dominique A, chaque chanson peut être une vignette que l’on colle dans l’album Panini de nos belles jeunes années, du « Gros Boris » à « Il ne faut souhaiter la mort des gens » en passant par « La Peau » ou « La Mémoire Neuve », l’œuvre de Dominique Ané est en ce sens prodigieuse, elle s’inscrit dans une lignée très haut de gamme.

Haut de gamme, le public l’est bien sûr. Des ex-rockers embourgeoisés venus souligner de leur mémoire indéfectible que le Dom a sévi ici même en 1994, en revenant régulièrement ensuite. Le bleu s’empare de la scène, la structure décorative promet un light show de qualité, sobre et pénétrant. Mais Dominique A, commence dans une semi-obscurité, on pense à cette voix, une voix de fête, une voix de tête, une voix qui porte des textes à la manière d’un chanteur lyrique qui s’essaierait au rock indé. On apprécie le grand écart, le rock est poreux. Sur scène, un attelage jazz et beaucoup plus que ça, David Euverte et Julien Noël aux claviers qui s’échangeront les instruments comme on échange les paletots en fin de match, la flûte de Sylvaine Hélary (vue avec Bernard Lubat entre autres maestros). La contrebasse est tenue par Sébastien Boisseau et Etienne Bonhomme s’occupe de la batterie. Des artistes
inspirés, précis, heureux d’être là avec Dominique A, guide spirituel d’un mouvement posé, inspirant la réflexion, le recul, l’analyse des graves effets de notre inconséquence quotidienne sur une planète que l’on ne veut pas soigner.

Le « Cantautore » Dominique A soigne ses vocalises sans en faire trop. Il déploie des ailes de maestro – même si empêché par une blessure des suites à une mauvaise chute. Un pro du « Stand Up Poetic Club » qui n’hésite pas à se lever après quelques morceaux comme pour défier les lois de la physique humaine. Une attitude toujours punk, toujours anticonformiste dans ce concert « global » des auteurs-compositeurs français bien sur tous rapports, un homme qui pousse un peu plus loin le verbe et les ambiances de ces morceaux une fois planté sur scène. Un homme qui cherche et qui trouve souvent des espaces, des interstices où glisser
d’innovantes façons de porter sa poésie, pas si détaché du temps où le Bontempi faisait office de fond de sauce. Il hésite aussi. Oui, une hésitation permanente en fait, due à une sous-culture qui ne s’embarrasse pas de manières, à l’instar des sommités
du monde de la chanson et du ciné comme Biolay ou Dutronc. En fait non, c’est une oscillation plus qu’une hésitation. Entre la raideur punk des jeunes années et l’amplitude classieuse des chanteurs rock à texte comme Bashung, Manset ou Christophe, entre la magie des orchestrations de jazz avec musiciens issus du Conservatoire et la sacro-sainte scène du Do It Yourself punk. On a aussi souvent eu envie de saluer le côté féminin de l’approche de Dominique A, sa sensibilité, ses thèmes anti-macho
loin des clichés rock, des ouvertures au monde du végétal, à une forme d’ascétisme, de pureté lexicale, de questionnement sur le « monde réel »… On le rapproche bien évidement d’une scène comprenant Florent Marchet, Miossec ou Albin de la Simone, des artistes complets qui ont ce décalage malgré les années.

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Photo de Lutz pour Voix de Fête

Cette curiosité, cette douce « provoc » à deux euros qui nous permet de toucher la poésie de ces messieurs avec un rictus toujours prêt à s’amplifier. La touche musicale servie sur le dernier album – le quatorzième – de Dominique A laisse toujours autant de place aux éléments organiques, spacieux. Et sur scène, cela illumine nos cœurs. Et si « Dernier appel de la forêt » et « Les Roches », les deux chansons introductives du concert ouvraient grand la fenêtre de la maison de bord de mer (ou en lisière des bois) ? On appréhende les embruns et/ou les volées d’acariens se faufilant dans tous les pores, comme s’il s’agissait d’un appel au grand large d’un homme qui étouffe, qui souffre et attend le retour du Messie rédempteur… ou de l’Armaggedon. On hume la fraîcheur salée du vent marin jazzy accompagnant des textes imagées, en prise directe avec le cœur, Dominique A fait honneur directement à son album, réalisé par Yann Arnaud (Dalva, Air, Syd Matters, Stephan Eicher, Camille, Phoenix, Jane Birkin…). Bravo pour ce travail de fonds, on en redemande, on est bouleversé.

La suite du concert permet de jouer à l’  « Attrape-cœur », on attend la prochaine chanson comme dans une vieille playlist de Spotify qui aurait été laissée de côté pour les jours mauvais. On chante sur le saillant « Ostinato » avec emphase et esthétisme, on verse une larme sur le « Bowling », une chanson d’amour pétrie de sentiments mixtes et rappelant la puissance d’ « American
Graffiti » de George Lucas. Suivent « Vers le Bleu » (époque du magnifique « Vers Les Lueurs ») ou « Immortels », puis « Hasta Que El Cuerpo Aguante » qui ne peuvent nous empêcher de penser à des situations vécues autour de la déchéance d’ami.e.s, de frères, de sœurs proches… Intense… Beau. Ivresse de ces instantanés.

On termine le show dans un état un peu second, l’extase est là, le cœur et les tripes tourneboulés comme un boxeur après le KO, le moral en apesanteur cependant, Dominique A est un docteur en médecine douce. «Corps de ferme à l’abandon» dans sa scansion élégante offre une perception de la musique de Dominique A en version parlée. Convainquant. Vous voyez, il n’y a pas grand-chose de négatif à dire d’un concert de Dominique A à « Voix de Fête ». L’homme se bat pour « livrer » et il sait s’entourer. Son travail est un produit de l’artisan qui remet l’ouvrage sur le métier chaque jour que Dieu fait. On attend le prochain concert. On avait attendu 14 ans. Dominique A est le meilleur, on le chérit pour ça. Mes amis et anciens collègues croisés dans la salle seront d’accord avec moi. On se le redira, et pas dans 14 ans.

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Photo de Lauren Pasche pour Voix de Fête

David Glaser

Merci à Valérie Jacquin et à l’équipe de Voix de Fête

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