Bobby Bazini est un artiste québécois d’exception. De cette famille de jeunes artistes qui ont mis le blues dans leur sang comme on verse du vin bénit dans la cruche du curé un dimanche matin ensoleillé dans la Tabernacle Church of God in Christ à Harlem. Une perle dans un océan de musique pop formatée, un ex-talent brut, briqué avec le temps, validé par le prestigieux Montreux Jazz Festival, à classer chez les ex-prospects qui ont prouvé qu’ils soient encore jeunes (Leon Bridges par exemple) ou moins jeunes (Nathaniel Rateliff). Il y a de l’inspiration divine dans cette voix canadienne, du sang de l’Americana transfrontalière qui coule, des espaces larges et inviolés par l’homme pâle dans la représentation qu’on se fait des chansons de Bobby. On explore avec plaisir. Sans doute, grâce à cette culture musicale vaste qu’on devine au détour d’un refrain, d’une guitar-slide utilisée ça ou là sur les premiers albums. En dix ans de parcours intensif, Bobby a creusé un sillon, profondément même, s’ouvrant LE chemin tel un Moïse du Rhythm & Blues qui sommeillait depuis trop longtemps dans son cocon canadien. Un sillon ou plutôt une aptitude à composer des « tounes » (« tunes » en anglais, morceaux en français de Suisse) tendance accrocheuse et légèrement « countrysées » pour ne pas renier une certaine éducation.

Car oui, le chanteur a été au contact des disques 33 tours importants. Ceux de sa grand-mère, et cela a fait la différence. Bobby aurait pu chanter en français comme Jean Leloup ou Bernard Adamus, des confrères élevés aux hits de Robert Charlebois. Cette précieuse dame a éduqué le garçon dans les Laurentides, une région bucolique et montagneuse du nord de la giga-agglomération de Montréal, et a donc joué un rôle important dans le façonnage de sa personnalité musicale. Sa voie ? Plutôt sa voix ? Ce fut d’abord une musique qui emballe Québec et le reste du Canada depuis des décennies: la country. Cette country savante et émouvante, humaine et décadente, celle de l’Américain Johnny Cash, ce fut une vraie révélation. Et puis c’est toute l’influence blues et jazz d’un siècle et demi de musique noire en Amérique du nord qui ont inspiré le jeune Bobby. Bazini est un blanc but who cares, son âme est de toutes les couleurs, bleue, rouge ou noire, l’important, c’est ce qu’on entend, non?

Aujourd’hui, Bobby Bazini a cette épaisseur musicale qui le place dans une autre catégorie où le blues tient une place principale, aux côtés de sonorités hip-hop (la boombox sur le dernier single « Choose You » est assez étonnante si l’on compare ce son avec celui de l’album « Summer is Gone » sorti il y a quatre ans. La voix acidulée et rocailleuse en même temps, cette facilité de placer ce timbre sur des lits musicaux au tempo maîtrisé, plaçant les émotions vocales bien en avant n’a pas changé. Gageons que le prochain album fera appel aux vocalistes femmes (dont sa petite amie Odessa Page qui est aussi auteure-compositrice et interprète par ailleurs) comme auparavant. Bobby se place dans un groupe d’artistes arrivés à maturité. On sentait déjà sur la chanson « Bubblegum » en 2014, un de ces singles pop absolument parfaits où on ne peut que constater l’harmonie de la composition, l’équilibre des voix et de la musique, des refrains et des couplets… Bobby a écouté les radios pop. Mais il a aussi beaucoup écouté les disques Motown et il ne s’en cache pas. C’est sans doute une de ses maisons de disques d’apprentissage, seul dans la chambre, guitare en bandoulière à tenter de suivre la partition de « What’s going on ? » de Marvin ou d’autres seigneurs de l’imprint de Detroit, quoi de mieux ? On imagine assez aisément tout un tas d’autres musiciens à la voix profonde et spirituelle, comme la sienne, en ont fait de même. Quant à la filière anglo-saxonne canadienne ou britannique qui a dû poser sa patte sur les tympans du jeune Bazini, on notera bien sûr Feu-Leonard Cohen, son compatriote montréalais, bien sûr une inspiration pour ce côté épuré de la musique, près de l’os, près de l’âme, et on notera aussi un grand oncle de la pop-R&B blanche des années 70-80 Rod Stewart. Pas les Stewart glossy de « Sailing » ou « Baby Jane » mais celui de « The Motown Song ». Grande voix, grande classe, Bob et Rod partagent ça.
Interview avec un sage poète de la route 66 et des rues animées de Montréal en plein hiver. Elle a eu lieu à la veille d’un dernier concert, avant que le Coronavirus n’interrompe toutes les tournées d’un coup. Il s’agissait d’un World Tour avec l’Américain Jalen N’Gonda pour le compte de la division Fairmont (Accor Hotel group) et la date du concert au Fairmont Le Montreux Palace avait lieu le 7 mars. Je n’ai pas pu me rendre au concert malheureusement mais voici en audio ma rencontre avec Bobby Bazini.

Si Bobby Bazini a ajourd’hui un CFC de chanteur soul et pop à la manière de Paolo Nutini pour un son proche ou d’Ed Sheeran pour un son plus éloigné, on voit que l’homme s’appuie aussi sur son band, un solide attelage qu’il n’a pas pu engager complètement sur la tournée Fairmont. Il s’en explique dans l’interview en français que vous pouvez écouter en cliquant sur le lien ci-dessous.
Le cinquième album de Bobby Bazini est donc dans les tuyaux, l’acheminement et l’appui promotionnel sont sans doute sous caution à cause d’un satané virus dont vous avez tous entendu parler à moins d’être perdu sur une autre galaxie. Mais quand la situation mondiale sera réparée, on sera bien inspiré d’accueillir le cinquième album de Bobby comme il se doit avec un verre de vin et beaucoup de joie, et peut-être la promesse de l’équipe du Montreux Jazz Festival de faire revenir le maestro pour une de ses soirées magiques au Fairmont Le Montreux Palace ou ailleurs, tard le soir, près du piano au bar.
Par David Glaser
Merci à Yaël Bruigom.
