
Je rencontre Whiteval sur une plage de Préverenges dans le canton de Vaud un jour de février. Il fait beau, le virus coronavilain n’est pas encore parvenu jusqu’au bord du lac et l’ambiance dans le groupe formé par notre amie commune Christine est très bon enfant. L’objectif est de nettoyer cette magnifique plage de sable (presque) blanc de plastiques et autres matières pas franchement biodégradables. Les enfants, justement, il y a là un chanteur suisse mondialement connu qui en est le spécialiste tant son répertoire s’adresse depuis des décennies à cette clientèle, et puis il y a Valérie qui a dû rester un peu encore en enfance tant elle parle simplement et avec passion de sa musique. C’est en reprenant guitare-basse et machines qu’est né la dernière chanson de cette musicienne expérimentée. Après une histoire que seule cette chouette de vie vous fournit gratuitement, le tourbillon que chantait Jeanne Moreau version rock alternatif-power pop, « She was an animal » a vu le jour. Et ce fut un sacré boulot de tout assembler soi-même dans son home studio de la région nyonnaise. Résultat, une bombe d’énergie, format punk allongé ou pop raccourci, comme on veut, de la pure intensité, une voix très affirmée, un anglais simple à comprendre, des mots qui claquent. Whiteval en avait sous la pédale d’effet pour envoyer les watts sans craindre de déstabiliser les amateur-e-s. Les programmateurs romands des radios ne s’y trompent pas, ils ont entré le hit-single dans leurs playlists sans ciller. On souhaite beaucoup de succès à ce tube rock de l’année, un bon remède aux déprimes passagères qu’engendrerait un confinement étendu. Interview d’une artiste engagée pour la cause des musiciens spoliés par « Spotizer et Deefy ». Par les temps qui courent – après les multiples annulations des tournées et festivals d’été – son discours sonne comme un cri du cœur parfaitement accordé.
SUISSISSIMO: Peux-tu te présenter?
WHITEVAL: Je suis Whiteval, une chanteuse-guitariste de rock alternatif et auteure-compositeure de la région de Nyon. Je suis une indépendante du monde de la
musique et je publie mes chansons de manière autonome pour l’instant, sur mon
site web et d’autres plateformes de ventes en ligne.
Quelle a été ta formation musicale? Pourquoi es-tu allée vers la musique?
Ma mère à l’époque avait dû déceler mon intérêt pour la musique, vu que je
passais souvent du temps à pianoter sur un petit orgue-jouet. J’adorais ce truc!
Elle m’a donc proposé de prendre des cours de musique de piano ou de guitare.
J’ai choisi guitare, sans hésiter.
J’ai commencé les cours à l’âge de huit ans, tout d’abord de manière académique
en passant par un conservatoire, puis avec deux professeurs de guitare électrique
indépendants qui m’ont non seulement fait progresser en technique de guitare
pure, mais m’ont aussi formée en théorie de la musique et encouragée dans mon
talent d’auteure-compositeure.
Quels ont été tes premiers groupes et comment le public a-t-il reçu vos
chansons, vos prestations en concert?
Mon premier groupe, je l’ai formé à 13 ans avec mes voisines et une copine, la
batterie étant des boîtes de biscuit sur lesquelles on tapait comme des malades
pendant des heures dans ma chambre, au détriment des nerfs de ma mère qui a
certainement dû regretter à ce moment là de m’avoir lancée sur cette voie.
Puis mon deuxième groupe et mon premier concert à 15 ans avec ma meilleure
amie, au collège de Nyon.
Je me suis lancée dans la musique professionnellement après avoir passé ma
maturité fédérale à 19 ans. J’ai aussitôt formé mon propre groupe, basé sur mes
chansons. Mon style musical des débuts étaient plutôt excentrique et générait des
réactions soit très positives, soit carrément négatives. J’ai enchaîné avec un
groupe de rock progressif (là aussi avec ma meilleure amie chanteuse) qui a
rencontré un joli succès d’estime à l’époque. Ça restait un style assez difficile
d’accès, mais on étaient très bien reçus en live.
Aujourd’hui, tu fais tout toute seule, c’est plus pratique?
Après avoir beaucoup donné dans l’expérience de groupe, j’ai réalisé que ma voie
était d’être une artiste solo (ce qui était mon intention au départ). Comme je suis
multi-instrumentiste (chant-guitare-basse-batterie-piano) et que je me suis formée
en autodidacte aux techniques du son afin de pouvoir faire mes propres
enregistrements, je peux tout faire par moi-même. Il y a des avantages dans cette
manière de procéder, notamment la flexibilité de faire ce que je veux, quand je
veux, sans devoir dépendre de la disponibilité des autres, et financièrement je n’ai
pas à payer de musiciens de studio. J’aime aussi réaliser mes propres
arrangements, je les entends dans ma tête et ça va plus vite de les jouer moi-même,
sur le moment, quand l’inspiration est là. En négatif, la charge de travail est
lourde et on peut se sentir seul parfois. Il y a définitivement un grand plaisir dans le
fait de collaborer, et j’ai de beaux souvenirs, mais l’univers m’a montré par
l’expérience que ce n’était pas ma voie de réussir en groupe.
Réussir à vivre de sa musique est une bataille encore plus grande depuis
l’arrivée du streaming, quels sont tes choix pour que cette économie soit durable?
J’ai encore de la difficulté à me situer par rapport à cette question, et je suis
toujours en réflexion à ce sujet. Je reconnais avoir une réticence à balancer ma
musique comme ça sans réfléchir sur les grandes plateformes de streaming de
masse, à cause de la manière scandaleuse dont les artistes sont payés. Cette
question est particulièrement pertinente en mars 2020, au moment où j’y réponds,
avec les conséquences présentes et futures sur les musiciens dues à l’épidémie
de Coronavirus COVID-19.
Le grand gagnant du streaming de masse est l’utilisateur, avant même les gros
labels qui sont eux les deuxièmes grands bénéficiaires de ce système. Les grosses
maisons de disque génèrent de gros volumes de stream en investissant des
budgets importants pour la promotion de leurs artistes, ce qui permet de
compenser plus ou moins le revenu dérisoire d’un stream. De son côté l’utilisateur
a accès à une bibliothèque de millions de chansons pour un prix négligeable. C’est
une offre super alléchante et il est extrêmement pratique d’avoir accès à toute
cette musique sur une seule application. En soi, je trouverais l’idée géniale, sauf
que les gens pour la plupart ne sont pas informés de la dynamique financière qui
se trame derrière l’achat d’un abonnement. Ils ne réalisent pas les conséquences à
mon avis dramatique pour la musique et ses créateurs, si on ne fonctionne plus
que sur ce modèle-là. Il y a l’argument que les artistes doivent se servir de ces
services pour se créer une audience qui viendra à leurs concerts. C’est sans
compter qu’à mon avis proportionnellement peu de gens convertissent leur écoute
en achat de ticket de concert, et que même dans le cas inverse, pour compenser
les pertes de vente, le prix du billet augmentera de plus en plus et nous arriverons
à une société où un concert de rock finira par être une activité de luxe,
exclusivement pour les riches ou extrêmement aisés. Est-ce vraiment ça qu’on
veut?
On ne fera pas augmenter le prix des abonnements, donc je pense que la solution
c’est l’information. Beaucoup de gens qui utilisent les grandes plateformes de
streaming adorent la musique et respectent les artistes, mais ne se rendent pas
compte de la réalité économique qu’il y a derrière. Quand on aime sincèrement la
musique, un abonnement ne suffit pas. Il faut trouver ses propres règles, par
exemple si on écoute une chanson plus de cinq fois, aller l’acheter (sur le site de
l’artiste de préférence), et avoir la conscience de convertir ses écoutes une fois par
mois par exemple dans l’achat d’au moins un album ou d’un single, selon les
budgets. Il y a d’excellents magasins en ligne comme Bandcamp, qui a ma
préférence en dehors de mon site web, dont la commission de 15% sur les ventes
est éthique envers les musiciens. On y trouve en plus plein d’artistes indépendants
et originaux peur ceux qui aiment découvrir d’autres choses.
On doit pouvoir être capable de faire cohabiter équitablement les manières de jouir
de la musique, l’ancienne où l’on payait, et la nouvelle où la plupart des gens,
surtout les jeunes générations, sont éduqués à penser que la musique est
quasiment gratuite. En tant qu’artiste, j’ai l’impression de devoir participer à un
système cupide, qui dévalorise gravement notre métier et qui emmène la société,
gentiment et de manière perfide, vers un appauvrissement culturel, vu que les
jeunes artistes avec des idées innovantes et non-calibrées par le marketing de
masse ont beaucoup de mal à survivre sans avoir le budget d’un gros label pour la
promotion afin de générer un très gros volume de streaming et survivre.

Pour moi la solution vient de l’individu, au travers de l’évolution de la conscience
de l’utilisateur, par l’information, la mise en lumière. Que les gens partagent leur
consommation de musique entre streaming et achat. Que les parents et grand-parents
expliquent à leurs jeunes la valeur de payer pour la musique, et pas
seulement un abonnement, certes avantageux, mais injuste pour les créateurs.
En ce qui me concerne, Whiteval n’est pour l’instant pas disponible sur les
grandes plateformes de streaming, mais je ne sais pas si je vais pouvoir continuer
encore longtemps comme ça. J’essaie de trouver un juste milieu, et je cherche
encore comment je vais m’y prendre. Je peux par contre concevoir de mettre
occasionnellement sur les grandes plateformes de streaming une chanson dont le
message aurait une portée spirituelle particulière afin de toucher le plus de gens
possible, ce qui justifierait que je sacrifie mes revenus sur ce morceau. Mais ce
serait ma décision, selon mes termes, ce qui fait toute la différence.
Peux-tu me parler de ton dernier single « She was an animal », que raconte ce
morceau?
“She was an animal” parle d’une histoire vraie, celle d’une personne d’abord plutôt
froid, mais qui se révèle brûler de passion intérieure, et se languit d’avoir un
rapport intense avec une autre personne. Devant cette contradiction, elle se rabat
sur la télépathie et parvient à contacter psychiquement l’objet de son désir. C’est
évidemment une chanson plutôt légère et qui ne se prend pas trop au sérieux, le
tempo étant rapide et le refrain plutôt entraînant, mais elle soulève quand-même le
questionnement de l’existence même de la télépathie, et également de l’effet du
fantasme envers celui ou celle en direction duquel il est dirigé. Je parle plus en détail de ce qui a inspiré les paroles de cette chanson sur mon blog. J’en profite pour remercier la radio de la Radio Télévision Suisse Couleur 3 qui vient de passer récemment mon titre sur les ondes, ainsi que Radio Chablais qui le passe ces jours aussi.
Comment fais-tu pour démarcher les organisateurs de concert, les medias, là
aussi tout toute seule?
J’ai besoin de déléguer cette partie du travail. Je produis mes propres
enregistrements, mais je suis à la recherche d’un booking agent et d’un
financement pour payer mes futurs musiciens de scène, ainsi que d’un attaché de presse pour les médias et réseaux sociaux. Tous conseils venant de gens compétents
et bienveillants sont bienvenus.
Recueilli par David Glaser

Pour trouver la musique, les informations et contacter Whiteval sur le web :
www.whiteval.com
www.whiteval.bandcamp.com
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