Rémi Parson cherche le plaisir entre les genres, entre les lignes. Et il le trouve, le provoque depuis deux albums et deux EP (voir sélection). Les amoureux de mélodies sombres et puissantes, belles et entêtantes, lugubres et lumineuses, ont trouvé leur Saint-Nicolas et leur père-fouettard. Mi ange-mi démon, le son de Parson malaxe les structures électroniques simples et répétitives à des riffs de guitare électrique pop organiques, plaçant des mots assez réalistes sur ce qu’il vit, sur ce qu’il voit, un chantre de l’observation puissance 10, un ex-expatrié du verbe, capable de faire sonner très « anglais » de la prose assez peu elliptique car française et donc bavarde. Il compte parmi les licenciés d’un club select d’artistes complets, apparus ces dernières années par la magie du web et de leurs petits cailloux blancs postés ça et là. On pense à Lomepal, Bladee et Yung Lean, maîtres rap/trap passés par des circuits préparant aux expériences de déambulation sur réseau sociaux et on pense aussi à une sœur d’aventure Marion Brunetto avec son projet Requin Chagrin, un brillant entre le surf rock et l’indie pop. Cherchez un peu, ils sont nombreux et dans des genres multiples. Le genre de Rémi Parson est la synthwave. Mais c’est une vague qui absorbe d’autres courants.
En 2019, l’artiste montalbanais a pénétré les réseaux avec des clips assez malins recyclant des images emmagasinées dans son imaginaire, dans des diapos d’enfance, ou clairement puisés chez lui (Montauban étant l’une des villes moyennes situées à moins d’une heure de Toulouse, une autre « ville rose » magnifique car ayant préservé certains de ses sites archéologiques ou moyenâgeux, quoi de mieux que de lui rendre hommage en images). Rémi Parson a gardé cette pointe de mélodie du sud-ouest dans la voix au bout du fil. L’homme pas encore quadra est volubile. En fait, il a cette joie de parler de ses chansons, de ses rencontres artistiques, de son univers tourné vers l’Angleterre. Un bon client comme diraient les journalistes tv de news en continu. C’est presque paradoxal tant sa musique rappelle l’angoissante ambiance de Joy Division, la réserve maladive de Ian Curtis sur les quelques vidéos qui ont survécu ou d’autres héros passés par la machine à laver les modes et à casser les cycles, on pense aux Chameleons, New Order. Jesus and Mary Chain, Curve, My Bloody Valentine, Fad Gadget ou les Cocteau Twins. Trois productions au compteur (un album et un EP pour Objet Disque et l’impressionnant deuxième album sorti sur le label Isolaa Records).
A la découverte de Rémi Parson en 15 chapitres

1) LE PATIENT ANGLAIS
« On a habité le nord de Londres, près de Camden. Je n’y étais jamais allé quand on a décidé de s’y installer, il y a plus de douze ans. On avait, ma femme et moi-même, une attirance pour la culture anglaise, issue sans doute d’une jeunesse biberonnée à la Britpop. Le Brexit a coïncidé avec la fin d’un cycle pour nous. On s’est dit que c’était le moment de rentrer. »
2) LE LABEL HIP-HOP
« L’originalité d’Isolaa, c’est son rapport à la production, c’est un label tenu par Luigi et une toute petite équipe qui m’a amené à collaborer – à distance, à coups de séances par Skype – avec le réalisateur de disques Jef Dominguez. Il a énormément apporté à mon dernier album « Arrière Pays ». Il se pourrait qu’il se réinstalle sur Paris prochainement, ce qui devrait faciliter nos échanges, car nous allons nous retrouver. »
« Son expertise sur la mise en valeur de la voix m’a été précieuse. Il a réussi à me convaincre qu’elle pouvait être bien davantage qu’un instrument qui se pose dans le mix. D’où une clarté de ma voix beaucoup plus prononcée sur « Arrière Pays ». Il y avait cette maîtrise du temps aussi. On a passé deux mois en multiples allers-retours. On a fait reposer les morceaux. Cette relation quasi-quotidienne était intense, exigeante. Tout ce qui me fallait. »
3) LE MATERIEL
J’aime bien les vieilles machines, mais je ne suis pas un grand chineur ni un absolutiste de l’analogique. J’utilise aussi bien des plug-ins sur ordinateur que de vieux synthés ou du matériel MIDI. Certes, j’aime bouger des cubes sur un écran, mais j’ai aussi passé du temps à bricoler mes claviers CASIO ou YAMAHA chéris. J’ai acheté un DX7 récemment (le DX7 était un des claviers références de la pop des années 80), je vais sans doute pas mal m’en servir. La guitare et la basse sont très importantes aussi, elles seront sans doute encore plus en avant sur le prochain album. La guitare, c’est mon instrument de base. Comme je joue seul, l’équilibre entre ces parties plus rock et l’aspect électronique s’inverse. Sur scène, je suis plus à l’aise avec la guitare, chez moi je soigne beaucoup les synthés.
4) LE GROUPE
J’ai d’abord joué avec mon ami Bruno, à la basse, avec qui j’avais déjà joué plus jeune. Puis Yohann – ex-Requin Chagrin – et ses claviers modulaires nous a rejoints. Bruno est parti, Yohann fait une petite pause en ce moment. Me voilà tout seul. En Angleterre, j’ai eu cette liberté de jouer avec des musiciens locaux, avec des gars rencontrés au gré des concerts, qui sont devenus mes amis. Pour eux et le public, quelqu’un de français, c’est exotique, c’est une curiosité, bien perçue. Les Anglais écoutent peu les paroles de toute façon. En France, au contraire, on y donne beaucoup d’importance, c’est notre différence. J’ai joué avec Delphine, mon épouse dans The Sunny Street, groupe indie/shoegaze, avec lequel on a notamment tourné en Suède et en Allemagne. J’ai eu d’autres projets qui s’appelaient A Place for Parks et Electrophönvintage.

5) MONTAUBAN & AUTRES GÉOGRAPHIES
Après toutes ces années anglaises, je suis revenu jouer « à la maison », à Montauban, et les vieilles fâcheries s’étaient dissipées. C’était une belle ambiance dans la grande salle, la SMAC, de Montauban, le Rio Grande. Cette ville où j’ai grandi, c’est une fierté de lui rendre hommage en chansons, j’ai cet accent en moi, ça m’a forgé et ça me caractérisait en Angleterre et maintenant à Paris. Pourquoi le fuir ?
Toulouse et ses groupes, je connais. Je faisais partie d’une génération intermédiaire. Tour à tour trop jeune ou trop vieille. J’ai bien sûr suivi Diabologum, vus en concert pour l’album #3 (au Rio Grande, justement), avec Mendelson en première partie.
Montréal a été une ville importante dans mon parcours. J’ai notamment une grande admiration pour le duo Chevalier Avant Garde, dont je me sens proche. Invité à jouer à Hambourg l’année dernière, j’ai eu la chance de partager l’affiche avec eux. Vous imaginez bien que j’étais ravi. On a joué devant une salle à peu près vide mais ce n’était pas important du coup.
À Paris, je m’attendais à jouer avec d’autres musiciens. La rencontre forte a été Marion de Requin Chagrin, qui est devenue une véritable amie. J’ai par ailleurs découvert une scène parisienne en ébullition, pas artificielle comme dans mes vieux souvenirs. Je n’y ai pas trouvé de frontières infranchissables entre les artistes de synthwave d’un côté et les groupes de rock de l’autre côté. J’ai rencontré En Attendant Ana ou EggS avec qui on partage pas mal de références, dont les artistes du label Flying Nun (The Bats).
6) MUSIQUE ANGLAISE ET UN PEU AMÉRICAINE
L’Angleterre en musique, c’est toute ma jeunesse et une sensibilité dont je me sens toujours aussi proche. J’ai adoré Blur, je viens du rock mais je ne me range pas du côté débrayé, c’est sans doute pour ça que j’ai glissé vers les synthés, une esthétique plus post-punk ou new wave. Je me sens plus proche de groupes comme Interpol (passion commune avec Delphine pour leur premier album), The Chameleons ou New Order. J’ai aussi eu une grosse période post-rock, Mogwai, Slint, Tortoise et la scène de Chicago.
7) TECHNIQUE
L’album de New Order que je préfère est sorti il y a trente ans, c’est « Technique ». Neuf chansons incroyables à une époque où le groupe vivait une période décousue. Dans « Technique », il y a « All the Way », qui compte énormément pour moi. Il y avait une pression de remplir les caisses de l’Hacienda, leur club à Manchester qui perdait beaucoup d’argent, et “Technique” est loin d’être l’essai fainéant et bancal auquel on aurait pu s’attendre. C’est un disque magnifique, cohérent, fragile et à la fois si puissant. Dans mon top permanent.
8) PHOENIX
Nous jouions à la Gaîté Lyrique avec Requin Chagrin le 13 novembre 2015, soir des attentats à Paris. Nous sommes restés confinés dans le bâtiment, un des guitaristes du groupe Phoenix y compris, qui y enregistrait alors « Ti Amo ». Pas le genre de soirée qu’on oublie, et c’est peut-être lié à ça, mais deux ans plus tard, il m’a invité en première partie de deux des cinq dates de leur résidence, toujours à la Gaîté Lyrique. J’ai découvert des types tellement sincères, avec une attitude qui en dit long sur leur approche de la musique. On s’est recroisé depuis, toujours aussi sympas et abordables.
9) LES MAÎTRES
Je pense forcément à The Cure, New Order, Depeche Mode et OMD, notamment leur période des tous débuts sur le label de New Order, Factory. J’aime aussi Erasure et leur grande utilisation de claviers CASIO, comme moi ! Actuellement, je vais citer Future Islands et John Maus. Enfin, j’adore The Chameleons, notamment pour leurs structures mélodiques en rupture, qui changent en cours de chanson, et pour leur sombre élégance.

10) VIDEO
J’ai toujours des envies de clips. Je pense avoir fait le tour de mes manigances pour produire des clips avec le moins d’argent et le moins d’images possibles. J’ai aimé filmer à Londres, les facettes blafardes de la ville. J’y ai passé assez de temps pour bien représenter cette ville, et ce sont des souvenirs forts pour moi. J’ai aussi tourné à Montauban là où j’ai grandi… Pour le prochain album, j’ai eu quelques propositions de clips. C’est bien de laisser cet exercice dans les mains d’une autre personne. Cela va dans le sens de ma collaboration avec Isolaa Record. Lucie qui s’occupait de l’identité graphique du label, m’a proposé une pochette de disque très différente de ce que j’aurais fait moi-même, sans doute des trucs basiques à base de cimetières et de nuages menaçants. Elle est partie dans une ambiance quelque peu précolombienne pour la pochette d’« Arrière-Pays », ça m’a surpris et ça me va très bien.
11) DELPHINE
Elle est ma première fan et critique et c’est la seule oreille extérieure à avoir tant d’importance dans la phase de finalisation des chansons. Je me suis dit que j’avais sans doute fait écouter mes chansons trop tôt et à trop de personnes auparavant.
12) TENEBRIO MOLITOR
J’écris des chansons de colères déguisées en chanson d’amour. Sur des gens qui me frustrent dans « Tenebrio Molitor », qui croient vivre droit, mais sont malheureux. C’est une source d’inspiration, cette entrée dans l’âge adulte, cette réflexion sur nos bifurcations, nos résignations, ça devient des thèmes de chanson. Parfois la perception d’un de mes textes peut être très différente du sens que j’ai pensé exprimer en l’écrivant. Le son super new wave 80’s d’une chanson comme « La Tristesse » sur mon Casio, m’a évoqué ces paroles grandiloquentes, pas si éloignées d’une parodie des Inconnus. Ce genre de petits détails me font rire. Cet humour, pas évident à la première écoute, fait partie de ma recette et de ma personnalité, j’aime bien zoomer très fort et surfer sur le flou artistique que ça engendre.
13) LE CHANT
Je chantais en retrait sur le premier album. C’est un cheminement, pas forcément rectiligne. Cela prend du temps d’arriver à assumer une voix forte et claire, chose qui n’est pas du tout dans ma culture musicale. Mais si on veut aussi faire vivre ses textes… C’est un plus. Ce deuxième album m’a permis de tenter des choses dans ce sens, avec une approche plus frontale, moins d’effets de superpositions. Mais je ne suis pas encore absolument décidé, qui sait si je ne vais pas me remettre à marmonner !
14) LE STYLE
L’écriture a une place très importante dans ma vie. J’ai toujours écrit, d’abord ces poèmes d’ado qu’on aurait vraiment honte de relire, puis des petites réflexions d’étudiant dans des carnets, pour faire le malin au bar. Mais jusqu’à récemment, pas de chansons. Je préférais baragouiner dans un anglais bricolé, sans trop me poser de questions. Un jour, j’ai franchi le pas, sans trop savoir pourquoi… peut-être le recul de vivre en Angleterre. Et c’est tellement plus satisfaisant, intéressant. Dans la vraie vie, je travaille comme rédacteur pour une marque de meubles, un exercice complètement différent, descriptif, commercial, souvent répétitif. Heureusement, cela me donne encore plus de force et d’envie d’expérimenter, de créer du sens quand je m’attèle à une chanson.
15) L’ETRANGER
J’aimerais beaucoup jouer en Suisse, un pays que je connais un petit peu ! J’ai habité à Grenoble pendant deux ans, c’était dans mon orbite, mais je n’ai pas eu l’occasion à cette époque. Peut-être plus tard. On m’en a dit beaucoup de bien, notamment de Lausanne et de sa vie culturelle. Comme un de mes amis y habite, je descendrai peut-être guitare à la main pour tenter ma chance, au culot.

5 CHANSONS DU RÉPERTOIRE
1) LA TRISTESSE
Images noir et blanc dans le bus impérial. Un clavier Casio en plein mouvement symphonique, des sons acides clinquants qui en ressortent par magie, des accords de guitare coldwave secs à peine trempés dans un bain d’effets. La voix aérienne, légèrement chaleureuse, posée sur plusieurs motifs mélodieux et répétitifs. « Et toi du danses dans la nuit, pour oublier. Tous tes muscles et tous tes gestes tremblent… » chante Rémi Parson dans un effort de rendre son texte pictural. Une chanson à la progression assez angoissante, clinique, où les vagues synthétiques et guitare solo s’enchevêtrent dans un foisonnement, jusqu’à ce que le titre redevienne minimal. Sans doute un des morceaux importants de Rémi Parson. Pour écouter, c’est par ici: https://www.youtube.com/watch?v=2Ubm15v6Iss
2) PETIT JOUR
Clarté des mots pour décrire un voyage nocturne improvisé, une attirance pour les ambiances interdites et peut-être un rejet d’une vie diurne trop rangée. Cette chanson est l’hymne des nuits sans sommeil. Ces dérives forcées qui peuvent vous ouvrir la porte à des balades dans ces centres urbains à peine extraits des ténèbres par la lumière blafarde des néons des vitrines et des jets jaunes de l’éclairage public. Le clip de cette chanson est une très belle représentation de ce qu’une nuit de rêves éveillés peut avoir de merveilleux, des rêves un peu perturbants qui peuvent vouloir dire « Let Go », « Lâche Toi », entre insomnie créative et somnambulisme conscient. Pour écouter, c’est par là: https://www.youtube.com/watch?v=Yvwb-JzS0Yk
3) DROGUERIE
Voix doucement posée, engouffrée dans le gimmick du clavier, les accords de keyboard très subtilement réparties. La postule vocale de Rémi Parson peut faire penser à Yves Simon, un calage des mots assez doux, comme s’ils étaient susurrés à l’oreille. Le gimmick est entêtant comme la plupart du temps dès que le chanteur tient une bonne mélodie. Il ajoute des chœurs sépulcraux et puissants sur la dernière partie du titre, ce qui lui donne pas mal d’envergure. Pour écouter, c’est par ici: https://www.youtube.com/watch?v=Yvwb-JzS0Yk
4) MODE D’EMPLOI
Guitare en surimpression, travaillée à la pédale réverbe, sur un beat lent, très proche d’une chanson longue de The Cure avec cette intro qui prend son temps. Dans le magma, une voix surgit des vapeurs comme dans un carnet de voyage de Gérard Manset. C’est assez inhabituel d’entendre un chant en français sur une musique souvent associée à la vague coldwave britannique. On en redemande. Ce morceau introduit l’album « Arrière-Pays », un écrin de neuf chansons très équilibré, fascinant pour son côté hypnotique. Le ton de l’album est donné avec ce « Mode d’Emploi » proposant un break intéressant, proposant plus de relief à la musique de Rémi Parson, sans doute l’illustration parfaite de la collaboration avec le réalisateur Jef Dominguez. Pour écouter ce titre: https://www.youtube.com/watch?v=epRt5EHIO2U
5) TARTARE
Un beat de drum machine qui nous replonge dans les années 80, ces soirées de fête à écouter « Boys Don’t Cry » ou « Just Like Heaven » plusieurs fois dans la même boum, les yeux des garçons surlignés au khol, avec des élèves du collège rangés par groupe, les corbeaux maquillés et magnanimes d’un côté, le reste de l’humanité boutonneuse (en plein questionnement sur cette minorité si triste) de l’autre. Morceau de bravoure pour Rémi Parson, ce « Tartare » pourrait presque apparaître comme un titre radiophonique, un tube de fin de soirée… s’il n’y en avait pas plusieurs autres plus haut. Pour écouter c’est ici: https://www.youtube.com/watch?v=J1_cXbLeGHU
Pour écouter la musique de Rémi Parson, allez sur ce site: https://remiparson.bandcamp.com/

