A la faveur de quelques titres repérés en surfant sur les réseaux comme « Riviera » ou « Adelaïde », Requin Chagrin s’est construit une belle marque de fabrique au milieu d’une forêt d’artistes indie-pop aux références larges comme l’océan. Appréciée par Nicola Sirkis, la formation – derrière laquelle se cache surtout une jeune graphiste nommée Marion Brunetto – trace son chemin vers les cimes de la pop française, toutes obédiences confondues quelque part entre ses voisins sudistes à tendance electropop, les dynamiques Hyphen Hyphen, le planant M83 et les indiekids devenus grands Grand-Blanc, Aline ou les grands frères d’Autour de Lucie. Interview en audio à la fin de cet article.
« La rencontre avec la musicienne Marion Brunetto a lieu dans un hôtel a quelques mètres du Stade de Genève, dans le très impersonnel quartier de la Praille. Il est midi en cette journée hivernale ensoleillée et le meeting est le dernier du jour pour la jeune artiste parisienne d’adoption (elle est en fait originaire de Ramatuelle dans le Var, à quelques kilomètres de la mythique Saint-Tropez). Elle s’appelle Marion Brunetto certes mais son « moniker » pour son deuxième album « Sémaphore » est toujours aussi aquatique: Requin Chagrin. Un nom de code synonyme de mélodies pop redoutablement efficaces, obsédantes, simples comme du Beatles période « Please Please Me », trippantes comme du Beach Boys période « Surfin’ USA », enfin entêtantes comme du My Bloody Valentine période « Loveless ». Bref vous l’aurez compris, le groupe Requin Chagrin s’est construit selon un modèle pop anglo-saxon. Et bonne nouvelle, les paroles sont dans notre langue et l’alliage entre les deux composantes culturelles fonctionne à merveille comme pour ce tube indiepop intitulé « Adelaïde » et porte-drapeau du premier album appelé « Requin Chagrin »,sorti sur la plateforme indépendante La Souterraine le 1er septembre 2015.
Aujourd’hui, ce Requin Chagrin a changé de bassin, le voilà porté par le vent promotionnel soufflé par une « major ». Car en effet Marion Brunetto est la toute première signature du label KMS (Kissing My Song… what? oh puis pourquoi pas après tout…) de Nicola Sirkis, l’homme à tout faire d’Indochine, depuis plus de trois décennies maintenant. Le label hébergé par la maison de disques du groupe parisien (Sony Music Entertainment) a cette chance de propulser un projet déjà parfaitement lissé, aux quelques imperfections calculées, ou laissées au hasard, on en saure un peu plus dans l’entretien qui suit. Bref, « Sémaphore » l’album a cette patine ample qui caresse l’oreille, sans effet de production démentiel, un peu comme quand Robert Smith faisait les premiers enregistrements de The Cure avec Mike Hedges ou Chris Parry aux manettes. Du Lo-Fi travaillé. Une place privilégiée pour faire briller ces dix chansons pop proches de l’os, remarquables dans leur construction, magnifiques pour les radios en quête de rock en français mais accessibles à tous, du genre FIP ou Nova.
L’histoire entre Indochine et Requin Chagrin en parallèle a très bien démarré, il y a eu une reprise de « Les plus mauvaises nuits » du groupe trentenaire – un morceau révélateur du talent d’interprétation de Marion guitariste et chanteuse – mais il y a beaucoup plus à attendre de cette alliance notamment sur les scènes de grande taille qu’Indochine va continuer à arpenter. Mais patience, car pour le moment, leur union se passe tranquillement, entre promotion de ce premier objet livré pour KMS et la conquête de nouveaux publics pour Requin Chagrin, notamment en Suisse et en Allemagne (les peuples germaniques adorent ce type de rock se référant à la surf music ou au garage). L’histoire le dit déjà, Marion Brunetto a conquis – avec ses musiciens – le cœur de nombreux « indomaniaques » avec ce mélange de précision dans le maniement de la guitare et cette voix.
Parlons du son justement, les liens entre Requin Chagrin et Indochine sont identifiables par moments sur ce deuxième album. C’est à l’écoute de « Mauvais Présage » par exemple, que quelques traits de ressemblance émergent, avec une pose de voix à la Nicola Sirkis, légèrement détachée, à la limite du nonchalant. Le charme opère très vite, certainement grâce à ces lignes de basse de goth-rock des années 80 et ces embruns de new-wave trempés dans un son shoegaze années 90 très propre et froid, avant d’être plongés dans un bouillon brûlant de surf music. C’est une potion magique d’une cohérence agréable. Le magma musical se répand sur les oreilles, puis pénètre le système auditif, il fait chaud tout à coup et la sensation est rare. Le LP « Sémaphore » et son titre générique tape fort.
Meilleur exemple de cette baignade dans l’histoire des trois genres cités à l’instant, cette même chanson « Sémaphore » a cette profondeur de champ aquatique, effet d’écho aidant, sans doute. Le clip a été tourné dans la région de Cavalaire et Ramatuelle, sans doute pour rendre hommage à une population qui soutient et valide le projet Requin Chagrin. L’image de Requin Chagrin est aussi un élément important de l’histoire du groupe, réseaux sociaux obligent. Avec un danseur-gymnaste virtuose dans un exercice à la beauté hypnotique dans « Adelaïde » et cette course-poursuite à couper le souffle à travers la pampa pour « Mauvais présage », sans oublier pour revenir à « Sémaphore » à l’ambiguïté relationnelle à peine voilée de la relation amicale entre deux jeunes potes. Requin Chagrin a le sens du storytelling, là se trouve une des autres qualités du projet.
Marion Brunetto a donc accepté de parler pendant une petite demi-heure de ce deuxième album qui est une petite merveille de pop, joliment façonnée à l’aide de guitares légèrement gonflées aux effets de reverb’ retro. Comme un retour dans les années 60 et les années 90, entre le rock n’roll des Shadows et la puissance mélodique de Ride. L’espace-temps à l’écoute de « Sémaphore » n’a jamais été si réduit qu’en 2019.
Merci à Dominique Saudan pour l’organisation de cette rencontre.
Par David Glaser
Photo Manon Roland aux Transmusicales de Rennes
Requin Chagrin – « Sémaphore » (KMS/SME)
Concert au Romandie, à Lausanne le 18 avril 2019.
Une réflexion sur “AQUA POP”