DAVID GLASER/Suississimo: J’ai écouté votre travail avec Via Tio, bravo! Magnifique travail. J’ai vraiment accroché sur « Parapluie », une chanson débutant avec cette intro au piano, il y donc question d’un parapluie « élu », qui esquive les larmes du ciel, les larmes du cœur, les larmes du passé, les images y sont très belles, la place de l’orchestre un peu lointaine. D’où vient cette chanson?
PIERRE FAA: Merci David. Cette chanson dit à quelqu’un : merci pour les beaux souvenirs, ils me reviennent toujours quand j’ai besoin d’un rayon de soleil. Dans ce texte là, je ne laisse pas de place aux regrets, j’ai la force de ne garder que le bon côté. J’aimerais bien que ce soit toujours le cas dans la vie ! J’en avais la base musicale depuis longtemps, mais elle ne trouvait pas sa place dans les précédents albums. Cette formule avec Via Trio m’a semblé être le bon moment pour qu’elle voie la lumière du jour.
Votre voix est très posée sur ce travail avec Via Trio, comment envisagez-vous chacune de vos chansons avec une pose de voix différente en fonction des humeurs, des textes… ou s’agit-il de chanter de manière spontanée comme ça vient ?
Quand j’ai cherché ma voix, j’ai essayé plein d’angles différents. Il y a des démos où je chantais à pleine voix, parfois en copiant inconsciemment tel ou tel artiste qui me touchait. Et puis j’écoutais tout ça, et j’avais l’impression d’être déguisé, endimanché, d’en faire des tonnes… Quand Jay Alansky a produit mon premier album, il m’a dirigé vers cette façon de chanter plus détendue, plus intime, en gommant des maniérismes que j’ai tendance à avoir. Depuis, je me reconnais bien dans cette voix chantée très proche de ma voix parlée. Ça ne cherche pas à impressionner les foules. Ça ne cherche pas l’admiration. Mais ça cherche à communiquer, à faire passer des nuances. Il y a tellement d’artistes qui sont là en quête d’admiration, que ce soit à travers la voix ou le son, qui nous convoquent pour réparer leur Narcisse… mais que nous disent-ils, en fait ? Qu’est-ce qui est transmis ? Juste cette quête d’admiration ? Juste une envie d’être au top ? Ça me donne un sentiment de vide et d’absurdité. J’ai conscience des limites de ma voix, je ne cherche pas trop à les repousser mais plutôt à jouer avec. Je suis plus excité par l’idée de repousser mes limites en tant qu’auteur, ça m’intéresse beaucoup plus. De toutes façons, les chanteurs très « physiques » m’ennuient, je préfère des voix plus cérébrales comme celle de David Sylvian. Je vois bien que mes goûts en matière de voix sont très décalés par rapport à ceux du grand public. Céline Dion et Adèle m’indiffèrent au plus haut point. Michael Jackson ne m’a jamais parlé une seconde. Ce n’est pas une posture, ce serait ridicule, c’est juste la vérité de mon ressenti.
Pouvez-vous me décrire Via Trio ? Qui sont-elles ? Quels sont les instruments qui ont été utilisés pour ces orchestrations ?
Via Trio est un groupe de quatre musiciennes classiques de Daegu, en Corée. On se croisait souvent, là-bas, par l’intermédiaire de notre manager Dior Sa. On a déjà fait une télé ensemble sur ma chanson « Un mot pour ça », dans le décor d’une maison traditionnelle. Comme elles ne parlent que très peu anglais, et moi pas du tout de coréen, l’échange a pris du temps. Mais on a pu se réunir à travers la musique, ce qui est une jolie réussite en soi. Il y a dans Via Trio une joueuse de hae-geum, le violon coréen. Je crois que c’est la première rencontre entre cet instrument et la chanson française. Il n’est pas facile à mixer, il a des fréquences qui dominent vite tout le reste… mais il apporte une étrangeté, une couleur qu’on n’a pas entendue cent fois.
Comment avez-vous travaillé ? Vous au piano et le trio s’emparant de vos chansons au terme d’un échange d’idées ? Ou au contraire avec un « cahier des charges » précis ?
Les filles travaillent comme on travaille dans le classique, c’est-à-dire avec des partitions précises et définitives. Comme je ne sais ni lire, ni écrire la musique, il fallait un arrangeur. Par nécessité technique, et aussi pour le bénéfice artistique de son regard. Là, je dois saluer le travail de Thomas Fontas. Selon les chansons, il a créé totalement l’arrangement, ou bien il s’est basé sur des lignes posées par moi au clavier, comme sur « Lago Maggiore ». Dans les deux cas, il a été parfait.
Parlons de cette actualité d’avoir rassemblé vos EPs récents, je vous souviens d’un projet analogue de David Gedge avec The Wedding Present, un single avec une chanson originale et une reprise, le tout à un rythme effréné d’une sortie par mois, pour faire à l’arrivée deux CD nommés Hit-Parade. Avez-vous pensé à un défi de ce genre ? Pour vous contraindre ?
Depuis le précédent album « Ginkgo Biloba », en 2014, j’ai énormément écrit et composé. Que ce soit une bonne chose ou pas, en tout cas, les mélodies viennent tous les jours. Cette bulle musicale est un refuge parfait contre tout ce qui peut m’arriver. Début 2016, la terre a commencé à trembler et j’ai perdu tous mes repères affectifs. Il y a eu des maladies, des deuils, une rupture dont j’ai encore du mal à me remettre, des révélations qui m’ont fait reconsidérer toute mon enfance… Tout est venu en même temps. Et comme moi-même, je n’étais plus dans la même énergie qu’avant, alors certaines amitiés se sont distendues. Le cycle a duré trois ans. La musique a plus que jamais joué son rôle de refuge. C’était un endroit où je pouvais travailler sur ces émotions difficiles, reprendre la main, et tenter de faire quelque chose avec cette énergie là. Ça ne réécrit pas l’expérience de la perte, et ça ne résout pas les questions matérielles. Personne n’attend mes petites chansons. Ça pouvait sembler absurde de faire tout ce travail… Mais au moins, je ne restais pas les bras ballants à me lamenter sur des injustices du monde. On essaie de changer le plomb en or. À travers ces chansons, il y a la décision de ne pas en rester là, d’avancer dans la création, jour après jour. Avec en tête le seul plaisir de créer. Si cette intention là se transmet un peu à travers la musique, alors je n’ai pas perdu mon temps, c’est un médicament qui peut servir à d’autres.
Comment avez-vous accueilli la sortie en Corée du Sud de votre nouvel album ? Pourquoi ce pays est-il si réceptif à votre musique ? Quelles sont les relations professionnelles que vous avez avec les professionnels de la musique là-bas ?
Le parcours en Asie a commencé par Taiwan. C’est Loou Wang, du label Avant-Garden Records, qui avait repéré Peppermoon sur MySpace. Il m’a envoyé un contrat pour le premier album, et m’a ouvert des portes dans tous les pays alentours. Et c’est à Taiwan que le groupe a fait ses meilleures ventes. La Corée est venue ensuite, plus doucement, surtout à partir de 2013. On y vend peu d’albums, mais les concerts sont plus gratifiants. En fait, quel que soit votre talent, ce qui change vraiment les choses, c’est de trouver « la » personne qui comprend où voulez en venir, qui a les bonnes cartes en main pour vous aider, et qui s’engage réellement sur la durée. À ce jour, je n’ai pas encore croisé une telle personne en France. En ce moment, en Corée, le label LeFrenchCode accompagne bien ma démarche. La musique française reste un goût marginal, une niche. On joue dans des petits clubs. Mais ce qui me semble signifiant, c’est la durée de ce lien. Il y a une logique, un suivi, des créations sur place… et tout cela de façon naturelle, dans un enchaînement spontané.
J’ai grandi dans un labyrinthe de non-dits, dont je n’ai pris la vraie mesure que très récemment. Ces jeux de secrets et de silences m’ont conditionné à exprimer les émotions d’une certaine manière, assez polissée, avec des sas, qui est sûrement plus asiatique que française. Je suis rarement à l’aise avec le côté très direct, voire grande gueule, des français. Ou alors seulement dans l’humour, de la part de certaines personnes. S’il m’arrive d’être direct, c’est que vraiment j’explose.
« Des émotions d’une violence inouïe » en Asie
Très souvent, à Kyoto, à Taipei et en Corée, j’ai ressenti des émotions d’une violence inouïe, qui me tombent dessus au détour d’une rue sans motif apparent. Il y a des endroits, et des sujets, qui me nouent la gorge et me font pleurer. Je n’en tire aucune conclusion mystique. Je fais seulement le constat d’un ressenti que je n’ai jamais eu en France, ou dans d’autres pays. J’ajouterai que quand je commençais à pianoter, tout petit, mon plaisir était d’improviser sur les touches noires, donc en gamme pentatonique et du haut de mes 4 ans, j’appelais ça très pompeusement « Voyage en Extrême-Orient ». Étais-je déjà programmé ?
Votre musique, votre art s’accommoderait bien de ce qu’on peut trouver au Japon dans les arts de la scène, du kabuki à la musique traditionnelle en passant par les mélodies de piano si intenses d’un compositeur et pianiste Ryuchi Sakamoto.
À 13 ans, un jour où j’avais de l’argent de poche pour acheter 5 CDs, j’ai pris un album de Sakamoto, dont je ne savais rien sinon que le visuel me parlait (« Illustrated Musical Encyclopedia »). Vu sa productivité, je suis loin de tout connaître de lui – mais j’aime tout ce que je connais. Mettons bien les choses à leur place : Ryuichi, c’est une orchidée et moi je suis une mini- fleur qui pousse entre deux marches d’escalier. Je suis un pur instinctif, pur autodidacte, les choses m’arrivent par accident. Il a une maîtrise que je n’ambitionne pas d’atteindre.
On vous voit sur Youtube à Taipei. Pouvez-vous me dire ce que cette culture taiwanaise vous apporte ? Y a-t-il des pays d’Asie que vous appréciez mieux que d’autres et pourquoi?
Je les aime tous pour des raisons différentes. Dans l’ordre chronologique, j’ai d’abord connu le Japon à titre privé, en 2003. J’y suis revenu presque chaque année. J’y ai eu des amours, des amis, des longs séjours, j’ai profité d’un été tranquille pour prendre des cours de japonais… Le 11 mars 2011, j’étais complètement dévasté par la tragédie du tsunami, c’est comme s’il était passé sur moi. Quelle horrible ironie que ce peuple souffre encore de l’industrie nucléaire… Si des obligations familiales ne m’avaient pas retenu, j’y aurais très certainement passé plus de temps. Ensuite, c’est à travers Peppermoon que j’ai connu les pays environnants, à partir de 2009. Taiwan d’abord, qui reste lié à tant de merveilleux souvenirs, artistiques et privés, que cette petite île fait partie de mon cœur pour toujours. Taiwan m’a sauvé, plusieurs fois. Avec mon ami Aurélien Jegou, qui vit à Taipei, on a tourné cette vidéo « Parfois une peau » très rapidement, un peu au hasard des rues. J’y trouve des choses que j’aime de la Chine, et des choses que j’aime de l’influence japonaise. Que ce soit une bonne chose ou pas, c’est un fait que Taiwan a été détaché de la Chine depuis 1895. Ensuite, on a souvent tourné en Chine, où j’ai rencontré des personnes que j’adore. Je suis extrêmement touché par la curiosité, l’ouverture, l’appétit de la jeunesse chinoise, en tout cas ceux qui viennent aux concerts. À Hong-Kong, je me suis senti très bien, je me suis fait des amis très chers. Un jour où j’étais sur la petite plage de Lamma Island, j’ai vraiment hésité à aller prendre mon avion de retour… En Indonésie aussi j’ai deux amis très chers, dont l’éloignement me pèse souvent, d’ailleurs. Alors je les ai mis dans mes EPs, pour les avoir près de moi en musique au moins. Enfin, last but not least, il y a la Corée. Les albums de Peppermoon paraissaient là-bas, et je trouvais dommage que nos tournées n’y fassent pas escale. Alors j’ai profité d’une fin de tournée pour aller à leur rencontre, faire un premier pas. Je suis arrivé à l’aube à Hapjeong, les rues étaient vides, j’avais la ville pour moi. J’étais fatigué, un peu déboussolé, mais j’étais dans une super petite guesthouse, et la propriétaire Aram Kim m’a présenté des gens formidables comme Dior Sa (patron de mon label actuel) et le réalisateur KyungMook Kim. Une chose spécifique à la Corée : depuis que j’y vais, les rencontres artistiques sont plus nombreuses, plus rapides, et plus fructueuses. Je sens chez eux une vraie volonté d’exister, d’affirmer leur identité entre les deux grandes puissances voisines. C’est leur revanche, pacifique et bien méritée, sur les drames de leur histoire.
Vous avez une chanteuse coréenne (Sina) en français pour « Émerveillement » et le décalage dans le chant d’un texte en français marche à merveille. D’où vient Sina et qu’est- ce qui vous a plu dans cet échange ?
Sina est une jeune musicienne et chanteuse de Séoul qui a vécu en France, et parle très bien notre langue. Dans notre travail, elle compose et j’écris. Sa culture musicale couvre aussi le jazz et la musique brésilienne, ce qui ouvre d’autres espaces pour les textes. À notre grande surprise, notre première création « L’émerveillement » s’est retrouvée dans une série télé là-bas. Bon… on a été mis devant le fait accompli, et ils n’ont pas donné un centime. Le procédé reste étonnant. Mais bien sûr, cette visibilité a fait vivre la chanson. On a fait tout un album ensemble, qui n’est pas encore paru en dehors de Corée, mais je ne perds pas espoir ! Et on en fera d’autres, très certainement. Attention à ne pas confondre Sina (« L’émerveillement ») et Siwa, une artiste folk coréenne avec qui j’ai travaillé sur le EP de Peppermoon « Skyside Melodies ». Une autre expérience très agréable, dans un registre différent.
Il y a aussi une forte attraction du pôle anglosaxon, ou plutôt je dirais des Etats-Unis. New York est d’ailleurs aussi votre terrain de jeu, entre Manhattan et Brooklyn, apparaissent des scènes dans vos chansons, vos clips. Pourquoi avez-vous cette attirance pour New York City ?
J’ai d’abord été plus réceptif à la pop anglaise de mon enfance / adolescence : The Buggles, Talk Talk, Depeche Mode, Kate Bush… et les deux premiers albums de Nik Kershaw, avec leurs suites d’accords à la fois très naturelles, très riches et pleines de finesses. J’ai abordé l’Amérique dix ans plus tard, avec Tori Amos et Sam Phillips. Curieusement, je suis beaucoup plus la vie politique aux Etats-Unis qu’en France. Je suis très fan de Bernie Sanders, est-il besoin de le préciser ?
Vous chantiez Brooklyn dans « Happy Lonely », une analyse de cette vie de solitaire. La solitude n’a pas l’air d’être un poids pour vous si les paroles de la chanson sont biographiques?
La solitude peut avoir mille raisons, mille nuances, être heureuse ou malheureuse, subie ou voulue. En tout cas, il faut casser les idées toutes faites, solitude = tristesse, et à deux = bonheur. Toute généralisation est forcément loin de la réalité. Quant à Brooklyn… J’ai eu la chance de connaître Williamsburg il y 9 ans, à une époque où c’était encore assez frais. J’en ai gardé des images. J’en ai glissé une dans « Happy Lonely ».
J’aimerais encore que vous parliez de ce nouvel album et de cette collection d’EP comme un recueil de petits objets pop, délicats, marrants aussi comme ce récit très amusant impliquant des personnages de soap opera sentimentalistes… j’écoutais votre chanson « Passion, romantisme et séduction », le jour de la mort de Luke Perry, le héros de Beverly Hills ? Que vous inspirent ces contes mièvres télévisés ? Quelle place ont eu ces futiles historiettes dans votre découverte de la pop culture ?
Pour moi l’intérêt de ces EPs, c’est de se permettre une grande liberté. Avec des contrastes, des valeurs de plan, des transitions… « Passion, romantisme et séduction » se moque gentiment de l’univers des romans photo, avec leurs personnages schématiques, habitant des maisons témoin, portant des vêtements improbables, qui n’ont que le temps de vivre des grands tourments amoureux. C’est un monde à part ! Et c’était l’occasion de commettre une petite chanson amusante, comme Nino Ferrer a su en faire. Les chanteurs 100% mélancoliques, je n’y crois pas, j’y vois une pose trop lisible… Mais honnêtement, je ne connais aucun soap opera, ça ne m’a jamais amusé. Ma culture télé se limite aux séries culte de mon enfance, « The Avengers » (avec Diana Rigg), « Space:1999 » (première saison), « The Prisoner », « Star Trek », « The Invaders »… Après, seules « Twin Peaks » et « X-Files » m’ont parlé. Et de temps en temps, quelques séries d’humour comme « Black Books » et « The IT Crowd ». Je sais qu’il y a plein de séries intéressantes, bien sûr, mais on ne peut pas avoir du temps pour tout.
Je sens cette ouverture sur la poésie fait que vos textes sont limpides et ciselés. Quels sont les poètes, les auteurs à tendance poétique qui vous inspirent ?
Je ne dirais pas qu’ils m’inspirent, mais en tout cas j’aime Basho, Yosa Buson, Jules Supervielle, Pablo Neruda (notamment « Le livre des questions »), les haïkus de Kerouac, Boris Vian, Raymond Queneau, Nabokov, Simon Leys… et Pascal Quignard, que m’a fait découvrir ma cousine Carole Clotis, elle-même poétesse (nous avons commis ensemble « En vert amande bémol mineur »). Liste non exhaustive. Après, la poésie, elle se trouve aussi dans les photos de Vivian Maier, dans des films de Jodorowsky, dans le « Casanova » de Fellini, dans les vieux Chabrol avec Stéphane Audran, dans la voix de Delphine Seyrig.
C’est trop gentil, merci. Je pense que ma voix était… intimidée, trop en retrait, et que Barbara était plus épanouie. Quand elle a auto produit son premier EP, je l’ai vue sur scène et j’ai adoré son monde, son timbre, son lexique, ce qu’elle dégageait. On a exactement le même âge, je crois qu’on aurait été dans la même bande au lycée. On a très clairement un vocabulaire en commun, des mots comme « nébuleuse », « magnétique », etc. Elle est venue au studio très simplement, elle a magnifiquement chanté, et voilà… Je ne sais pas si elle aime cette chanson en fait, car à ma connaissance elle n’en a jamais parlé, peut-être même qu’elle en a honte ?! (rires) J’espère qu’un jour on le fera en live, assis par terre dos à dos, entourés de bougies… j’ai une image très précise en tête.
Avec qui aimeriez-vous travailler prochainement ? Une autre chanteuse ? Serait-ce possible de continuer d’explorer un territoire indie-pop français ? Connaissez-vous Armelle Pioline, Marion Brunetto ou Valérie Leulliot ? Apprécierez-vous une de ces chanteuses pour une de vos chansons ? Auriez-vous des chansons en duo à proposer à quelqu’un d’anglosaxon ?
Vous citez des artistes qui m’ont touché, notamment l’album « Caldeira » de Valérie Leulliot et « Pedrolira » de Holden. Aujourd’hui, j’aime Cléa Vincent, le dernier album de Maud Lübeck… Maissiat aussi… mais elles font tout, elles sont très occupées, elles ont déjà leur bande. Que pourrais-je leur amener ? Parmi des artistes qui travaillent avec des auteurs, Bertand Burgalat est le personnage (et le compositeur) qui m’intéresse le plus, depuis longtemps. Julien Clerc aussi m’intéresse, ses mélodies, ses accords… en tant que musicien, il ne m’ennuie jamais. J’ai déjà eu beaucoup de chance côté chanteuses : Iris de Peppermoon, Erica Buettner, Elsa Kopf, Emma Solal, Elisa Point… Si la série doit continuer, pourquoi pas, je ne suis pas contre. Ça fait longtemps que j’aime bien la chanteuse Clémentine, qui est une personne adorable en plus, elle dégage une énergie qui me fait du bien. On finira bien par faire un petit truc ensemble un jour. Mais si je peux rééquilibrer avec un ou deux mecs, ça m’intéresse de voir ce qui en sortirait. Mathieu Johann a chanté certaines de mes chansons, il y a quelques années. J’ai réécouté récemment « Harold Lloyd » et « Le dernier des Beatles », c’était pas mal, ça aurait mérité plus de promotion. En Hollande, j’aime beaucoup Marnix Dorrestein, alias IX, je suis certain qu’on fera quelque chose d’intéressant ensemble un jour prochain. À Taipei, l’an dernier, j’ai produit six chansons d’un auteur-compositeur taiwanais, Holyn Ho. J’ai beaucoup aimé faire ce travail, mais je ne sais pas trop ce qu’il fait avec, c’est un peu brumeux pour l’instant. J’ai aussi un EP sur le feu avec un compositeur japonais, Kota Yamori, depuis longtemps… il faut que je le recontacte. De mon côté, je répète une formule scénique avec deux guitaristes, Paul Abirached et Benoît Pillon, je crois que ça va donner un éclairage intéressant.
Etes-vous toujours impliqué dans le travail graphique de vos albums/disques ? On sent chez vous une volonté de soigner les vidéos, êtes vous entré facilement dans le monde très vaste de YouTube et de ses YouTubeurs?
Je pense que mes plus belles vidéos sont celles de Carol Jacob (« Après l’orage ») et de Carlo Patrão (« La mer, la nuit », « Je n’attends rien »). Donc, en toute logique, je devrais continuer à travailler avec des vidéastes dont les noms ne contiennent que les voyelles O et A – ce qui leur permettrait de figurer dans « La Disparition » bien sûr. Donc si vous connaissez des vidéastes qui s’appellent Clara Morrow, Paolo Lamma ou Zoltan Bravo, je suis à l’écoute. Mais sérieusement… pour ma part, je me sens plus à l’aise avec l’image fixe, le design graphique. Même tout petit, j’étais fasciné par les catalogues de typos. Je me suis vraiment fâché avec des gens sur des questions de typo ou de graphisme. Je ne trouve pas ça superficiel, au contraire, ces choix là résument une vision du monde, un bagage d’émotions, des valeurs, des idées… C’est une surface qui dit des choses profondes, comme parfois la mode. J’ai fait pas mal de photo aussi, par crises. Là, j’ai très envie de m’y remettre.
Comme tous musiciens, les codes de la culture numérique sont bien intégrés chez vous, vous publiez beaucoup sur les réseaux comme YouTube ou Soundcloud ? Qu’apporte cet océan de possibilités dans votre carrière ?
Peu importe si ça fait dinosaure, j’ai surtout aimé l’euphorie des débuts de MySpace. Il flottait une certaine innocence, peut-être comparable à l’aube des radios libres. Après, Facebook j’ai moins aimé. J’y ai passé du temps bien sûr, mais c’était plus raisonnable et sans joie. Instagram, oui, je commence à me prendre au jeu… J’ai réalisé que pendant des années, j’ai fait des photos qui fonctionnent bien sur ce media là. SoundCloud, je ne l’utilise que pour la promo. YouTube… il y a trop de choses. J’ai envie de retirer des vidéos pour ne laisser que les meilleures.
Je n’ai pas étudié la musique, mais j’y ai toujours été extrêmement réceptif. Dans le classique, j’aime d’abord le piano. Le fait que ma mère jouait quelques classiques (Chopin, Beethoven) a sûrement compté. Parmi mes préférences, il y a Debussy par Claudio Arrau, Grieg par Eva Knardahl, les danses slaves de Dvorak… Ensuite, la musique de chambre, notamment de Gabriel Fauré. Quand je me sens en pleine confusion, le « Clavier bien tempéré » me remet les idées en place. La pureté de la musique ancienne aussi. D’ailleurs j’adore cet album « The End Of Asia » ou Sakamoto organise un croisement entre ses compositions et des œuvres médiévales, sur instruments d’époque. Je suis un peu embarrassé de l’avouer, mais je dois dire qu’il y a aussi des compositeurs, manifestement géniaux de l’avis général, qui ne me font ni chaud ni froid – dont Mozart. Ça me glisse dessus sans me provoquer la moindre émotion. Pitié, pardonnez-moi !
Allez dernière question, quelle est votre relation à la Suisse ? Il y a un titre instrumental sur le Lac Majeur avec le Trio. Je me disais que la Suisse était sans doute une place pour la méditation et l’inspiration idéale pour vous ?
C’est d’abord une relation amicale, avec quelques âmes inspirées comme Kajan, une dessinatrice de Lausanne qui pratique notamment le « dessin-rencontre ». Elle est d’une sensibilité vraiment extra-ordinaire, aux frontières de la mediumnité. Il y a aussi mon attaché de presse Edgar Cabrita, et David Hadzis qui peaufine le mastering de mes albums depuis son studio à Genève. L’an dernier, un séjour chez Kajan m’a permis de visiter davantage Lausanne et les environs. Je m’y sens extrêmement bien. Lausanne et Amsterdam sont les deux villes d’Europe où je pourrais imaginer de vivre un moment. La « Collection de l’Art Brut », j’adore. Le musée de la photographie, j’adore. La fondation Emma Kunz, j’adore… les glaces à la cannelle de la Folie Voltaire, j’adore ! J’ai passé une journée à Interlaken, et devant la transparence des lacs, je me suis dit qu’il y avait en Suisse des bleus exclusifs, des nuances copyrightées qu’on ne voit nulle part ailleurs. Côté musique, j’aime le parcours de Stephan Eicher, j’ai vu des super concerts de lui dont la tournée avec les automates. Tiens, voilà quelqu’un pour qui je trouverais très excitant d’écrire. D’autant que pour passer après Djian, c’est un vrai challenge ! Sophie Hunger, je l’ai vue à la Cigale récemment, c’était très beau aussi.
Par David Glaser
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