Prolifique, Nick Cave. Le chanteur-poète, représentant d’une certaine idée du rock théâtral, auteur d’une discographie rock nuancée nous offre sur un plateau d’argent trente ans de génie sous forme de compilation-coffret nommé « Lovely Creatures, The Best-of Nick Cave & The Bad Seeds ». Avant de voir le chanteur originaire d’Australie (Warracknabeal dans l’Etat de Victoria) de retour en Suisse le 13 novembre 2017 à l’Arena de Genève et la veille au Hallenstadion de Zurich, voici un court focus sur cette dernière livraison, à peine quelques mois après la sortie du rockumentaire « One more time with feeling » d’Andrew Dominik dévoilant les coulisses de l’enregistrement de « Skeleton Tree » entre 2014 et 2016 dans un contexte familial douloureux après la perte de son fils Arthur dans un accident dans le sud de l’Angleterre.
Nick Cave le dit lui-même, certains de ses fans connaissent mieux sa discographie que lui. La compilation proposée aujourd’hui a pour but d’apporter le son Bad Seeds et ses trois décennies d’activité sur un ou plusieurs plateaux de cire noire avec des objets iconographiques rares en sus. Ces chansons, ce sont des petits chef d’œuvres qui ont traversé les époques. Certains véhiculent encore de très belles sources de plaisir sur scène pour Nick Cave et ses partenaires. Le « best of » couvre une période allant de 1984 à 2014. 84, c’est l’année du départ de l’aventure avec un membre important, un « Bad Seed » déjà présent avec le précédent groupe (The Birthday Party), Mick Harvey qui a bien sûr apporté sa contribution dans l’effort de sélection, malgré son départ il y a trois ans de la formation. Des photos de chacun des membres des Bad Seeds, avec des documents rares et même un livre sont contenus dans la version «Super deluxe» de la sélection. Les « Lovely Creatures » devaient sortir en 2015. L’album « Skeleton Tree », 16e des Bad Seeds s’est intercalé entre temps, pour le succès que l’on connaît.
Des bégaiements de batterie
Après un concert de Nick Cave, on ne peut s’empêcher de penser que ce « Monsieur » du rock lyrique a tout, une présence, un talent pour interpeller ses spectateurs, un sens tout « jarmuschien » de raconter le quotidien avec classe et passion. Nicholas Cave dans son approche musicale et son timbre chaleureux est proche d’une autre figure du rock arty. Un gaillard plus enclin cependant à éclaircir sa voix de bluesman à l’aide de flasques de whisky, j’ai nommé Tom Waits. Les deux chanteurs ont cette grâce dans la façon de raconter des histoires. Avec ses « Creatures », Nick Cave et ses mauvaises graines nous replantent dans les années 80 de Prince et Madonna avec des morceaux qui n’ont pas jauni avec le temps « From Her to Eternity » (1984) sur l’album du même nom, un morceau mystérieux, grandiloquent dans ses bégaiements de batterie par saccades et ce saccage de cordes au creux d’une résonance d’une voix tout droit sortie des ténèbres. Nick Cave s’est construit contre la médiocrité du monde avec un sens du style et de l’accroche. Il s’est inscrit dans la tradition des auteurs du rock (And Also the Trees, The Smiths, Tindersticks…) plaçant le verbe assez haut dans la liste des prérequis, avec un talent certain pour écrire ces mots qui claquent, ne se restreignant jamais sur une forme de mise en scène de ses chansons.
Les Bad Seeds nés en Australie et nés au rock n’roll grâce à une combinaison de talents tels que le brillant et tempétueux Blixa Bargeld (vu récemment à Paléo dans un projet avec les suisses Kiku et Black Cracker), fondateur d’Einstürzende Neubaten ou encore Barry Adamson, réalisateur, musicien et collaborateur de cinéastes géniaux à la faveur de sa capacité à pondre des « scores » flatteurs comme on on tire les fléchettes dans le cœur de la cible. Les standards de la formation défilent avec magie: voici « Deanna » de Nick Cave qui me replonge dans les années «rockabaret» de Cave, les années de l’arrivée du chanteur avant-gardiste dandy et punk sur le front de Seine parisien, Cave jouait à Paris comme le PSG joue au Parc, à domicile. Puis voilà, « Jubilee Street » (titre de 2014 issu de « Push the Sky Away »), sa beauté sépulcrale, sa densité dans l’entremêlement de violons à la limite de la rupture. Si « Push the Sky Away », l’album qui porte « Jubilee Street » avait reçu des critiques extatiques, le chef d’oeuvre « Skeleton Tree » qui suivit a réuni les meilleurs critiques jamais écrites à propos d’un album de Nick Cave & The Bad Seeds. Le groupe n’aura pas dit son dernier mot, surtout depuis la montée en puissance du partenaire de Nick Cave dans le side-project Grinderman, le brillant Warren Ellis.
La « puissance narrative » de Cave
« The Weeping Song » avec Blixa Bargeld au lead-singing promène sa mélancolie lacrymale. L’extrait de « The Good Son » avait été enregistré dans un studio de São Paulo en 1989 sous la direction du producteur indé Victor Van Vugt. L’Australien avait aussi mis son grain de sel (et de folie) dans le très réussi recueil de « Murder Ballads » qui propulsera Nick Cave & The Bad Seeds sur les ondes du monde entier à la faveur d’un duo avec Kylie Minogue (« Where the Wild Roses Grow ») et d’un autre plus alternatif avec Polly Jean Harvey (« Henry Lee »). C’est William « Billy » Lyons dont le récit de la mort à la suite d’une bagarre dans un rade de Saint-Louis avec un certain « Stagger » Lee Shelton qui donnera au folklore américain un hit nommé « Stagger Lee » et un texte qui m’inspire pour la puissance du narrateur Nick Cave, le déroulement angoissant des tableaux, les coups de feu et les cris stridents à la toute fin du morceau.
En 2009, « Dig, Lazarus Dig » détourne Nick Cave de ses ballades ombrageuses et autres mélodies arty léchées et rappelle les années fondatrices de son association avec Mick Harvey au sein de The Birthday Party avec ce son punk brut, érigé en argument premier d’un manifeste musical plein d’autorité. La chanson parle d’un homme parti de New York pour l’ouest, San Francisco pour trouver du répit en charmante compagnie, Los Angeles où il ne fait que passer… Le dénommé Larry part à la dérive en Californie et termine en prison puis en asile de retour à « Gotham City ». L’effet choral de l’équipe des Bad Seeds autour de Nick Cave, c’est de la poésie beat, de la pure description franche et passionnante, quelque part entre les récits de Jay McInerney pour la côte est, Charles Bukowski ou Brett Easton Ellis pour la côte ouest. Je terminerai cette chronique par le choix de « Red Right Hand », extrait de « Let Love In » en 1994. Comme la B.O. d’un beau voyage en slo-mo dans un bouge enfumé entre 2 et 3 heures du matin. Magique, planant, rassurant si on l’écoute au réveil après une nuit profondément alcoolisé comme une mélopée pleine d’espoir quand tout à l’intérieur participe au matraquage de votre crâne à coup de pelles en acier.
David Glaser
Tous les renseignements sur la sortie de « Lovely Creatures » et sur la tournée qui passe par la Suisse, allez ce lien.
Une réflexion sur “THE BEST SEEDS”