NOX ORAE : ENCHANTEMENT SONIQUE ET VUE SUR LE LAC

Dans la galaxie des festivals qui soignent leur signature année après année, on comprend que NOX ORAE, résident du Jardin Roussy à la Tour-de-Peilz tient bon la barre. Les cachets d’artistes montent en température. Les eaux de la Riviera vaudoise sont là pour les rafraîchir. La NOX OREA se la joue modeste et travaille une programmation comme un artisan qui fait les choses bien, de manière astucieuse, défrichant, flairant les potentiels, année après année, cuvée après cuvée, bravo à Joël Bovy et toute l’équipe qui savent mettre en musique une jolie proposition afin de mieux nous faire accepter la rentrée. Tour d’horizon de la programmation avec Arthur Halbritter (cliquez sur l’audio ci-dessous), qui durant l’année travaille au « Bout du Monde », une des bonnes adresses pour la musique que Suississimo défend. Le RKC, le Bout du Monde et Nox Orae composent un triptyque culturel essentiel à la promotion des musiques actuelles à tendance indépendante dans la zone Vevey-La Tour de Peilz. Depuis la fin du For Noise, c’est bien malheureusement un des seuls. Ce qui donne ce petit côté spécial au festival. Cette année Baxter Dury, Bertrand Belin et Swans sont de la partie et on a envie de vous dire d’aller les voir sans hésiter ainsi que la quinzaine d’autres acts et DJ programmés sur les deux scènes du festival.

Avec la Nox, tout commence toujours par un moment de détente. La convivialité au pays de la Fête des Vignerons, c’est très important. Arthur et moi sommes à deux mètres de l’entrée du Jardin du Rivage à Vevey pour parler de l’édition 2023 du festival le plus agréable qui m’ait été donné de couvrir. On s’atable au « Celeste » et on entame la discussion alors qu’un fendant de Fully y est versé par le patron du lieu, Philippe Heim, un homme qui connaît la musique, l’événementiel et les produits de très bonne qualité.

Nox Orae en 2022, Jardin Roussy

Vin nature

Son meilleur ami, le viticulteur Matthias Orsett, a eu la bonne idée de lui confier un surplus de raisin. La vinification a été assurée par Fabien Vallélian à Saint Saphorin, tout près de Vevey. Un vin sans aucun intrant, un vin naturel agréable que les spectateurs du festival du Jardin Roussy pourront découvrir au Wine Bar de Philippe. « Le vin naturel peut rebuter, mais celui-ci vous fera du bien dans la chaleur des dernières heures », explique Arthur Halbritter, le secrétaire de Nox Orae. On ira avec plaisir découvrir la carte de Philippe, une des nouveautés de la Nox cuvée 23.

Nouvelle scène

Les expériences à la Nox étant inoubliables, je ne saurais trop vous recommander de noter ces dates : les 24, 25 et 26 août. Trois jours de festival, dont les derniers détails se règlent maintenant « mais un peu à la der’ avec plusieurs groupes qui ont pris leurs billets à l’ultime minute pour éviter les annulations », ajoute Arthur. « On va avoir une nouvelle scène à côté de la grande, le but étant de profiter de tous les groupes, de jongler avec des groupes à la popularité moindre mais plus de petits groupes. Ce sera plus intense ».

Musique locale

Parmi les régionaux, les Fribourgeois Crème Solaire, un groupe plus grand que nature, à la dimension punk et électro engagée, avec une écriture très directe dans plusieurs langues suisses, une approche fraîche du beat. Notez aussi Parker Leftlover, de Vevey et Bienne, un duo composé de Nikita, qui travaille aussi pour la Nox (et est une amie des Foamies, autre groupe programmé pour la Nox par le passé) et Jonas.

DIIV en 2022 à Nox Orae



Un son 80’s, très réussi, une première sur scène pour Nikita qui a longtemps hésité. « Only Lovers Left Alive » est une chanson au charme synthétique et à la voix éthérée que l’on repère rapidement. Mélange d’ambiances, approche « inter-temporelle », entre influence new-wave et une éthique lo-fi perceptible, on applaudit et on a hâte de voir ce que ça donne en vivant.  

La potion electropop eighties

Le son pop synthétique est assez bien représenté dans ce festival pas comme les autres avec les Anglais de Still Corners, dont la discographie est déjà bien remplie de pépites remarquables. Une vibe froide et minimaliste qu’on surligne. On notera dans le flux de belles promesses de cette édition 2023, les Rennais de Gwendoline, une formation un tantinet nihiliste, des slackers de la place Saint-Anne peu enclins à admirer la bourgeoisie locale qui traîne au « Picca » ou au « Kenland ».

Leurs paroles parlent à une jeunesse française plutôt provinciale et désœuvrée. Elle parle aussi à un public suisse parce qu’elle décrit une réalité passée assez exprimée et médiatisée chez nos voisins français par le passé (Diabologum fit une belle illustration de ce tableau avec musique représentant bien le désastre social hexagonal qui se préparait, aujourd’hui Gargäntua et Gontard expriment un peu cette même sensation). Le chômage de masse a été remplacé par les Uber Jobs, feu-le RMI était la valeur étalon des journées sans but, à pointer à Pôle-Emploi… la musique de Gwendoline contraste avec ce récit assez noir et ouvre les fenêtres d’une chambrette d’étudiante qui n’avait pas été ouverte depuis 1987. A voir absolument.

Elégance

Baxter Dury et son décalage élégant font office d’une curiosité dans ce roster très cohérent… Le fils de Ian parle de sexe, de drogue et de rock’n’roll à sa manière se foutant de la gueule de ses congénères, de ses fellow-citoyens britanniques et de ses cousins éloignés de l’oncle Sam. Il « roast » ses potes et des potes de ses potes, l’homme effectue une plongée dans les rapports humains complexes avec un très bon coup de plume et une très nette tendance à chercher une tournerie musicale ludique et moderne à chaque pièce de discographie.

Même topo chez Joe Unknown, un glasgowegian qui se cache derrière son ombre et travaille le mystère au maximum en lâchant sur les réseaux ses bombinettes régulièrement citées leur capacité à toucher dans le mille. Il tchatche comme un rappeur de la scène grime mais compose ses beats avec un fonds de sauce très punk. Notez l’heure du passage de ce célèbre inconnu et mettez-vous quelques alarmes de rappel.

La classe supérieure

Le groupe historique Swans (dirigé par le charismatique Michael Gira) s’entoure de musiciens d’un talent hors-norme, depuis 1982. Deux heures de show radical avec expérimentation sonore, clash entre mélodies et fulgurances techniques, soniques et poétiques vont vous être proposées en tête d’affiche samedi prochain. Swans est un satellite en orbite géostationnaire depuis quatre décades et il parle aux différentes communautés de fan de rock car il est le parfait lien entre les différentes époques et les différentes familles du post-punk.

Dandy Club et performance

Après Dury et ses qualités de performer/auteur/homme à tout faire de la pop britannique, notez la programmation tout aussi géniale de l’écrivain, acteur, compositeur et parolier Bertrand Belin et son timbre de voix si rassurant dans une programmation à forte concentration de particules punk anglophones. Appréciez l’ironie élégante et désabusé de l’auteur de « Hyper Nuit », quelque part entre Manset, Gainsbourg et Bashung… Belin, c’est aussi un ton, une façon de mettre en scène de petits récits ciselés sur lit musical funk très travaillé (écoutez « La Nouvelle »).

Hallan, Squid, Acid Amazonians à ne pas manquer

La puissance de frappe anglaise n’est plus à démontrer. Exemple avec Squid débarquant sur le Léman en grande révélation de ces derniers mois (signé sur le label electro indé Warp), empruntant à Sonic Youth ce mélange d’approches urgentes avec riffs erratiques maitrisés dans une base musicale rythmiquement relevée, électroniquement assistée, et cette sensation de plonger l’auditeur.ice dans une atmosphère décadente. Leur premier album a frappé très fort d’entrée au Royaume-Uni. « Bright Green Field » réussissant tous les ingrédients pour plaire à un peuple qui a enfanté de jeunes groupes prometteurs comme Black Country, New Road par exemple. 4e des charts avec un premier album, mieux que Blur ou Radiohead à leurs débuts.

Acid Amazonians (photo ci-dessus) est un groupe suisse qui laisse de la place à l’expérimentation vocale et musicale, qui permet à la performance de dévier et divaguer. Une belle découverte et un pari audacieux de la part de Joël Bovy et ses partenaires du Comité. Autre surprise agréable, les Anglais de Hallan, heureux de jeter dans leur potion post-punk tendue des samples ou voix de comédiens vantant les mérites d’un plan de financement de l’achat d’une voiture… Hallan chronique le monde de la richesse factice et du matérialisme dépassé, le monde d’avant en gros. Mention spéciale enfin aux deux formations aux voix féminines bien en avant, Still Corners et Just Mustard, le duo anglais et la formation irelandaise semblent descendre d’une longue liste d’artistes venus des îles britanniques et irlandaises, dans laquelle on notera les noms Electrelane, Slowdive ou My Bloody Valentine.

David Glaser

Découvrez le programme complet de Nox Orae en cliquant ici.

Merci à Fadil, Joël et Arthur

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