Passionné de radio, Fred Musa a percé un sillon noir depuis la fin des années 80. Celui du « jock » à l’américaine qui lance les skeuds comme des roquettes sur l’historique Skyrock. Son game, le rap ! Il se fait un nom dans une émission de talk autour de la sexualité des jeunes avec l’actrice de films X Tabatha Cash, juste en face de FUN Radio et de leur célèbre Lovin’ Fun avec Doc et Difool, la programmation musicale est exclusivement faite de Rap US, le kiff des deux co-animateurs. Radio-DJ du soir au matin, il sert donc du rap avec une régularité de marathonien sur une station de radio nationale et indépendante. Son show est une quotidienne que toute la francophonie suit, c’est Planète Rap entre 20 et 21 heures. Le producteur est aussi la personnalité de radio le plus populaire sur les réseaux comme YouTube ainsi que dans les téléchargements et les « replays » maison sur le site skyrock.fm. La mise en ligne systématique des clips vidéo de l’émission, des moments de grâce où le flow s’enflamme, où ces centaines de freestyles enfumés se délient, où les délires d’invité.e.s intenables comme Lorenzo ou aux ego méga vitaminés comme Vald et Sofiane (deux véritables titulaires de la team Planète Rap), participe au cercle vertueux qui se dessine tous les jours dans les recoins de chaque réseau social. Planète Rap est devenue une institution et c’est bien sûr grâce à Fred Musa, son équipe de radioteurs créatifs. C’est aussi au directeur d’antenne et responsable de la programmation musicale Laurent Bouneau.

Si Skyrock a connu quelques secousses, comme toutes ses consœurs musicales en France dans les sondages d’audience, la station résiste bien au temps et aux habitudes d’écoute qui passent. Sans doute que Planète Rap a fait beaucoup pour maintenir « Sky » au-dessus des « médias jeunes » dans l’écosystème numérique, l’émission déniche les pépites à peine procréées, déterre les espoirs du rap tout juste démoulés. Ainsi la scène hip-hop francophone y défile et y prend du plaisir chaque soir que Jah fait. Quelques grincheux s’en détournent, « les esprits chagrins » dont parle sans doute le président Macron. Un livre racontant le phénomène est sorti. Carton total en librairie. On en parle dans cette nouvelle chronique, après tout, le rap est une histoire de mots et de musique, mais pas mal de mots quand même. Et si Fred Musa, dit « Fred de Sky », était loquace sur son parcours. Eh bien oui, avec l’aide du journaliste musical Vincent Brunner, il met en musique des épisodes de sa vie derrière le micro ou devant la caméra réaliste d’une télé voire d’un showrunner inspiré nommé Franck Gambastide. Une vie réglée comme sur du papier à musique, tendance « 16 mesures », mais Musa, ça ne veut pas dire musique en latin ?
Comment cet animateur banlieusard parisien a pris la vague du hip-hop à la radio ? Un peu par hasard. Même si ce jeune gars de la Courneuve a pris la passion pour le media très tôt, il a peiné à franchir le pas et vaincre une timidité adolescente plutôt chevillée au corps. Après avoir poussé la porte de la radio dionysienne Voltage pour dépanner les animateurs avec des tâches subalternes, il laissera la station rythmique de Rosny-sous-Bois et sa playlist orientée vers le funk et la dance pour se lancer à l’antenne de Radio Enghien où il « malbouffe » du micro. L’inconséquent a l’audace de faire gagner des bons pour un McDo de la région sur une radio associative. Viré. Mais l’ado a de l’ambition, il s’accroche à un job de technicien de console, payé pour enchaîner les disques la nuit sur la radio pop-rock qu’était Skyrock, s’endormant à trois heures du mat’ un soir de trop-plein, laissant un blanc mémorable ou croyant bien faire en ouvrant le micro pour dire l’heure et le blaze de la radio. Wrong. Le directeur de la station lui demandera sèchement de respecter le carnet de vol. On est sur Skyrock, partout en France, il y a de l’enjeu et la fougue de Musa sera vite transformée en énergie positive pour plan de carrière réussi.
Valentin Le Dû alias VALD et son invité Sofiane Zermani AKA Fianso sur Planète Rap (vidéo de Skyrock.fm)
MC Solaar, IAM, ASSASSIN, NTM, les quatre grandes plumes acidulées ou carrément acides du rap old-school à la française ont tous percé sur Skyrock. Les émissions existaient aussi ailleurs. Rapline sur M6, Rapido sur Canal + et ses reportages mémorables à New York, la locale parisienne Radio Nova et son magazine Actuel qui ouvraient leurs ondes et leurs pages à toute la scène parisienne. Une presse spécialisée inspirée des mags des Etats-Unis comme Rap Mag, L’Affiche ou RER. Tous avaient compris qu’ils étaient assis sur une mine d’or culturelle. Les labels de musique ont eux aussi senti le filon, Skyrock devenait pour eux un porte-voix de leurs travaux de détection et un accélérateur de profits aussi. Et Fred dans tout ça? Son émission de rap programmée le soir semblait recevoir les points d’audience suffisants pour aller plus loin. L’émission « Planète Rap » née en 1996 va prendre un rythme quotidien (depuis près de 30 ans donc) et prendre un tournant événementiel en accueillant les meilleurs prospects de France et d’ailleurs (la Belgique bien sûr, le Maghreb, le reste de l’Afrique francophone par petites touches et même la Suisse avec Di-Meh ou Makala), laissant les rappeurs parfois tous jeunes gratter le micro et étaler leur talent de freestylers en direct, laissant tomber quelques lyrics clasheurs transformant le show en tribune où tout se passe… tout. Fred « tease » aussi la France entière des jeunes « kickeurs » et les laisse poser leur freestyle par téléphone, la seule radio à ouvrir son antenne aussi librement.
Ninho, JUL, Niska, Vald, Sofiane et les autres
Radio Nova et de nombreuses radios locales telles qu’Alpa, Béton ou Canal B dans l’Ouest avaient compris l’intérêt de donner du temps aux acteurs de la musique hip-hop en direct, et ce dans les années 90, personne d’autre ne le faisait en région. Aujourd’hui, Planète Rap truste la première place des radios musicales à 20 heures et Fred joue le rôle de « grand passeur » gratos, un labo ou un incubateur de talents rap comme sur une radio d’asso, le son pro et l’accompagnement des réseaux sociaux en plus. Dans son livre, Fred raconte sa proximité avec Diam’s à l’époque où la chanteuse francilienne était au top de sa forme. Il raconte les coulisses de son deuxième album car Fred tournait un documentaire vidéo à l’époque sur cette sortie, les hésitations de Diam’s quant à certaines mises en musique de ses textes, sa solitude, sa volte-face en amitié, tout est là. On ressent de la peine pour ces deux potes qui s’éloignent. Ses rencontres avec Eminem ou Aaliyah, deux grandes signatures du rap US qui emportaient tout sur leur passage à la fin des années 1990 et 2000 sont racontés, les US comprennent la force du réseau Skyrock et de leurs « talents » d’antenne. Mais ce qui distingue Planète Rap des autres émissions de radio sur les petites stations hip-hop telles que Générations, Ado ou Mouv’, c’est que tout le monde du rap en français est passé par l’émission, en featuring, en simple invité du background ou comme « host spécial » pour la semaine. En ce sens, Planète Rap est une sorte de Mecque de la scène rap, tout le monde regarde vers elle. Et elle le restera, vu l’intelligente façon de faire de Fred et son équipe, les délocalisations avec SCH à Marseille (SCH qui sera en concert à Lausanne au MAD ce 24 février) JUL à Moscou, Orelsan à Caen… j’en passe. Tous les clashs amorcés et déminés sur les réseaux et dans des freestyles très – voire trop – orientés. Booba, La Fouine, Rohff, Kaaris et des dizaines d’autres ont servi du « Sky ne nous joue pas » tout en venant à confesse dans le studio de Fred, le rap-game est une immense foire aux vanités. Il ne faut pas se tromper, les générations de rappeurs et rappeuses se succèdent et Fred collectionne les coups de projo révélateurs sur des projets que Skyrock et lui-même ont choisi de mettre en lumière, bien avant que l’artiste ait pu breaker quoi que ce soit. Les archives de l’émission ne mentent pas.
Pour l’histoire Skyrock – grâce à son fondateur Pierre Bellanger – a eu le nez creux, en misant sur le rap au mitan des années 90. Fred Musa a donc grandi avec cette culture qui explosait littéralement. Il a mis IAM en orbite (même si Akhenaton semble avoir la mémoire courte, en témoigne ses messages critiques sur le soi-disant medium malhonnête intellectuellement et ses « radioteurs » commerciaux de Sky qui programment du hip-hop pop sirupeux en journée). Booba a aussi eu plusieurs tapis rouges en direct, en solo, mais aussi avec Lunatik ou pour ses prospects, et ce avant que le rappeur de Boulogne-Billancourt n’envoie tout bouler en estimant que Skyrock le ghostait dans sa playlist. Ce qui est faux, mais le clasheur expatrié a su capitaliser sur cette pseudo-adversité. Il a construit une radio nommée OKLM sensée remettre l’église rap au milieu du village médiatique. Mais la radio OKLM s’est calmée à jamais. N’est pas producteur radio qui veut, c’est un métier compliqué où l’argent ne rentre pas si facilement.
Même Rachida Dati se déplace à Planète Rap
Dans cette bible du rap à la radio qu’est « Ma Planète Rap », on apprécie beaucoup la liberté de ton et le côté pas toujours reluisant de la culture de l’urbain, des écarts de Fred dans sa vie de passionné (notamment à la télévision)… Il donne son avis sur les hypocrisies régulières des hommes politiques de tous les camps ainsi que le côté vrai de certaines voix de droite pourtant pas a priori véritablement proclasses populaires. On apprend par exemple que l’ex-protégée de Sarkozy Rachida Dati a joué le jeu de l’interview-cash sur la question des prisons et des conditions impossibles de détention des condamné-e-s, elle ira jusqu’à réadapter le réglement sur le fait de pouvoir garder d’une prison à l’autre ce qu’un détenu a cantiné. Fred Musa cherche à améliorer la réinsertion future des taulards en allant animer des ateliers avec des invités de marque. Il croit aux secondes chances et se tient loin d’une République moralisatrice qui ne soigne pas les grands cassés de la vie. On ne peut que saluer cette attitude.

Cette semaine de février 2023, on entend Fred inviter pour une nouvelle fois les Toulousains de Bigflo et Oli, quatre ans avant leur album fondateur « La Cour des Grands », il recevait des e-mails des frangins alors qu’ils n’avaient que 14-15 piges. L’histoire s’écrit souvent bien avant les premiers live, c’est touchant. Le duo du sud-ouest d’origine argentine (par le père) se sent chez lui à Paris quand il prend ses quartiers dans le studio de la rue Grenetta près du quartier gay du Marais et à quelques mètres de la rue Saint-Denis. Et on se sent en phase avec eux. De la bonne radio dirait Laurent Bouneau, l’homme qui a passé toute sa vie professionnelle à Skyrock et auparavant au sein de La Voix du Lézard l’ancêtre de Sky. « Ma Planète Rap » est un must-read comme « Passeur » de JD Beauvallet ou « Le Rap est la musique préférée des Français » de Laurent Bouneau. Indéniablement dans le Top 3 des livres sur la musique. Fred Musa anime également, tous les vendredis soir de minuit à 2h, La Nocturne, 100 % rap français. On ne saurait vous conseiller d’aller écouter le replay.
David Glaser

Ma Planète Rap chez Hors-Collection, merci à Pierre-Olivier Prenassi
Pour écouter l’émission, cliquez sur ce lien.