Lausanne, 4 décembre 2018, « C’est peut-être l’un des plus beaux concerts de ma vie » me dit la batteuse de notre groupe Adam & the Pussies. Maud se reprend, les yeux mouillés par deux heures d’intense magma pop et mélodieux, electro et dansant, émouvant et décapant du Blitz d’Etienne Daho, Jean-Louis Pierrot et des quatre autres musiciens, « non, en fait c’est peut-être le plus beau concert de toute ma vie ». Voilà. Le niveau est estimé. Le tremblement de terre sonique est bien réel au Métropole de Lausanne, le magnifique temple de la pop que la société de Michael Drieberg, Live Music Production, gère et programme. Sur l’échelle de Richter des émotions, on est proche de dix. Daho a ravagé les coeurs de ses admirateurs en deux heures de show… prenant le soin dès 8 heures du soir de présenter Yan Wagner, un de ses nombreux compagnons de route d’une nouvelle génération de musiciens parmi lesquels on citera volontiers Rone (qui a revisité la chanson « En Surface ») ou Flavien Berger, admirable tant sa touche personnelle se mélange de manière idoine avec l’univers de Daho.
Ambiance synthpop bleuté avec Yan Wagner en première partie de Daho (photo DG)
Et le concert donné aux Lausannois est à retenir. Il avait quelque chose de magique, d’événementiel, de sacré, juste avant la Saint-Nicolas, comme un cadeau de Noël avant l’heure. Daho de passage en Suisse (pour moi trois fois en quatre ans sur l’arc lémanique mais il y en a eu d’autres, l’homme contrairement à ce qu’il a peut-être pensé un moment – après un Montreux Jazz 2018 mal noté par quelques journalistes locaux, sans doute à cause d’une association étrange sur l’affiche avec Paolo Conte – a ses aficionados du Léman au Jura) est devenu un compagnon essentiel aux fans de pop, cette venue régulière a de quoi ravir les admirateurs très enthousiastes d’Helvétie et ceux qui comme moi ne connaissaient pas bien la discographie de la star. Les deux derniers albums d’Etienne sont venus réhabiliter la star au milieu des siens: les musiciens qui cherchent beaucoup et trouvent souvent un lien entre leur inclinaison pour la culture anglosaxonne et leur expression en français. On pense à Bashung, Hardy et aussi Miossec ou Dominique A.
A Lausanne, voici une fanbase ravivée par la qualité des nouvelles chansons du maestro ainsi que la force du spectacle lumineux et féroce proposé. En rockeur tout de cuir vêtu, Daho donne tout, de lui, de ses rêveries pop, de ses histoires de héros… sa visite de la « Chambre 29 » à Londres dans laquelle Syd Barrett de Pink Floyd a vécu, la rencontre avec Deborah Harry et Nile Rodgers aux Etats-Unis pour participer aux « Chansons de l’innocence retrouvée ». L’album « Blitz » en 2017 et sa sensibilité fascinante se déplacent très bien sur scène. La voix est suave et juste. Poussée, rappée même sur « Des attractions désastres », sa voix est entourée de chœurs vibrants sur « En Surface », version dansante et explosive d’une chanson signée de Dominique Ané, qui a déjà connu plusieurs vies. Une orchestration qui pousse encore un peu plus loin cette magnifique popsong cette fois.
Yan Wagner et ses deux compagnons de tournée avant Etienne Daho (photo DG)
Quand Daho parle de Pink Floyd, sa voix chevrote d’émotion, il lance « Harold Layne » et un déluge de couleurs psyché se forme tout droit sorti des dizaines de gelatines des spotlights, on aime ce son anglais gonflé au LSD, cette posture respectueuse du groupe de rock français rendant hommage aux plus grands artistes pop des années 60 et 70, le « Floyd » mais aussi la « Factory » de Warhol dans laquelle sont nés à New York des années 60/70 Lou Reed, John Cale, Sterling Morrison, Moe Tucker ou encore Nico. On aime Etienne Daho pour son érudition musicale, son honnêteté face à ce qui l’a façonné: la pop anglo-saxonne surtout, il n’y a aucun doute, cet ex-fan des Sixties est le meilleur trait d’union européen en plein drame brexitien.
Yan Wagner et ses musiciens. Classieux support-band (vidéo D.Glaser)
Clap de fin. Concert « complet » (pas dans les chiffres mais qu’importe) avec un deuxième rappel grandiose, le même que celui joué à l’Olympia il y a quelques jours avec le divin « Ouverture ». Le public qui a applaudi, chanté et vibré en a eu pour ses quelques francs, il va parler de ce concert croyez-moi et pour longtemps. Et il a découvert un artiste de la synthpop délicatement calibrée pour le dancefloor au passage. Yan Wagner, un franco-américain à la voix basse qui fait des prouesses pour entraîner dans une spirale de synthés entraînante. On pense à New Order ou Depeche Mode en l’écoutant mais Yan a cette touche, ce savoir-faire pop qui nous fait nous évader et sentir tous ses membres s’ébrouer dès les premières notes. Bravo à ce trio capable d’installer un groove en trois quatre chansons, merci à Daho d’avoir tout prévu. Ce concert, c’est l’été en hiver, une canicule mélodique en plein mois de décembre.
Par David Glaser
Etienne Daho, Blitz, sorti en 2017 (Polydor/Universal)
Yan Wagner, This Never Happened en 2017 (Her Majesty’s Ship / [PIAS])