Quelle beauté! Un plat tout juste dressé s’érige devant les yeux de Régis. Ici, une salade se présente comme une petite pièce montée, posée là sur la table de bois par Siegfried Lallemand, un des quelques employés de la petite entreprise des délices qu’est ce Café historique de la place de la Palud, beau comme un cabinet de curiosité dans un film de Tim Burton ou de Wes Anderson. Ici, c’est le Café de l’Hôtel de Ville! Un lieu, une marque même diraient certains. Un foisonnement de couleurs, un poème culinaire, le plaisir des yeux et du palais. Copieuse, la salade colorée explose de mille goûts. On en redemande mais pas trop car les portions servies dans petit Café sont généreuses. Le Café de l’Hôtel de Ville a, au fil des années, servi avec envie des plats renouvelés chaque jour. Les Lausannois et les visiteurs sont toujours étonnés même vingt ans après. En quête d’une cuisine plus naturelle et moins dépendante du classique repas de midi avec viande, le client sera conquis… ou pas. En tous les cas, on affiche souvent complet le midi dans le bistrot. Les plats sont, à n’en pas douter, inédits. La déco aussi. Des tableaux, des reliques, viennent habiller de couleurs vives le resto. Les odeurs sont agréables et le service souriant. A midi, on vient essentiellement chercher «l’Assiette de Marie», une œuvre créative avec de nouvelles saveurs inventées chaque jour avec des ingrédients essentiellement venus du marché. Mais le Café de l’Hôtel de Ville, c’est beaucoup plus que ça! C’est une histoire belle et unique. Épicée comme un curry indien tout frais servi dans une gargote de Bombay, comme cette cuisine envoûtante à base de miel et de pistaches dans ces pâtisseries romantiques arabes, c’est le canollo sicilien qui ne se mêle pas de la vie de son voisin arancino, c’est ce Rouleau de Printemps servi chaud en plein hiver avec un goût rafraîchissant. Bref, la cuisine du Café aime les compositions, on pourrait la comparer à l’atelier de confection de bouquets de fleurs sauvages. Rencontre en cuisine, avec Marie Amicucci et Vanessa Desponds, les deux créatrices de ce Café pas comme les autres. Marie et Vanessa sont les deux artistes libres de ce paradis de la gastronomie fraîche et quasiment sans viande. Ce sont les actrices principales de ce «roman», que dis-je… de cette pièce théâtrale d’improvisations quotidiennes, à base d’herbes et duos de condiments nouveaux, de mélanges jamais explorés. Le Café de l’Hôtel de Ville, c’est une histoire riche pour une cuisine légère, elle-même adossée à l’histoire gastronomique et culturelle de Lausanne, assez vaste quand on y pense. Le Café, c’est aussi le talent d’harmoniser les aliments qui ne fréquentent pas les mêmes assiettes, l’art de «bien soigner les gens», on vous raconte avant de passer à table?
Le Café de l’Hôtel de Ville, c’est LE Café du Marché. Impossible de dissocier le rendez-vous des étals et des stands politiques du samedi avec le temple du ravitaillement des amateurs de légumes et fruits frais, de saveurs nouvelles et de salades gourmandes végétariennes, des sirops et thés complètement frappés. D’abord, attablé à côté du comptoir de ce café de la place de la Palud décoré avec beaucoup d’imagination – des tableaux cohabitent avec des objets de récup’, notamment un panneau où l’inscription «Rue de l’Hôtel de Ville» qui rappelle où l’on se trouve, la vitrine a des airs de fable pour enfants avec ses nains de Jardin en gardiens du temple. Régis, à côté de moi, se réjouit de prendre le temps de parler de son plat. «Une entrée succulente, beaucoup de vert, un assaisonnement à la vinaigrette d’enfer, beaucoup de fraîcheur…» (voir notre vidéo de l’interview de Régis plus bas), pour le client habitué, c’est le meilleur bistrot de Lausanne.
Un bistrot à l’histoire longue et rocambolesque, entre extension culinaire d’un Caveau théâtral et bâtiment vétuste… le parcours des deux gérantes Marie et Vanessa mérite bien d’être raconté ici, mais le plus important est peut-être dans ce qu’il reste à créer pour des années, pour des décennies nous aimerions dire. «Nous étions trois associés. Le troisième s’appelle Jean-Claude Tanner.» Mais Jean-Claude n’est plus là avec elles aujourd’hui. Marie Amicucci est donc une des deux associées restantes mais elle n’oublie pas le Neuchâtelois d’origine, arrivé à Lausanne en 1969 et qui était actif dans le théâtre. « On a débuté ici par hasard. Le lieu était fermé.» On est en 1996 et le trio d’artistes créateurs décide de le reprendre. Jean-Claude venait de parcourir le chemin des pèlerins entre Lausanne et Saint-Jacques de Compostelle, gonflé à bloc. Vanessa et Marie avaient leur job respectif et des envies de changement. Mais elles hésitaient. Pas Jean-Claude, qui avait plus le profil-type du doux rêveur, très impliqué dans l’écriture et le jeu théâtral entre les Faux-Nez, rue de Bourg ou le Vide-Poche, place de la Palud.
Du court terme qui dure
L’équipe embarque dans l’aventure louant le lieu à la ville de Lausanne. Vanessa précise : «on a voulu tout bien faire tout de suite. C’était parti sur une idée de faire ce restaurant sur du court terme. C’est un court terme qui a duré.» La nouvelle vie de Marie, qui s’ennuyait de plus en plus dans un des nombreux secrétariats de l’Etat de Vaud, pouvait enfin rimer avec ce qu’elle, une artiste inventive et curieuse, avec le fait de faire du bien aux gens. Vanessa était employée de commerce. Elle a suivi les cours lui permettant d’obtenir la patente. Elle découvre alors les secrets de la cuisine pour restaurant, la magie d’une sélection de vins, le service, l’hygiène… bref tout ce qu’il faut pour gérer le Café de l’Hôtel de Ville dès le début.
«Quand nous sommes arrivés, en lieu et place de la déco actuelle, il y avait des rideaux hideux, qu’on s’est empressés de faire disparaître. L’endroit était malfamé. Il y avait souvent des bagarres. On n’aurait pas pu avoir de dames toutes seules dans le Café par exemple. On n’avait pas encore la licence au tout début. Donc on avait une gérante qui voulait faire de la cuisine. Mais au bout du troisième jour, on s’est rendu compte que ça n’était pas bon. Alors on a repris toutes les deux le contrôle» se souvient amusée Marie. «On proposait de la viande, une carte de salades, du chèvre chaud. On a mis des fruits dans la salade. C’est vrai qu’on ne refusait pas la viande au début mais, quand le boucher de la place a fermé, chez qui on s’approvisionnait, on s’est dit qu’on ne voulait pas travailler avec des grandes surfaces et nous avons décidé, pour aller plus loin dans notre démarche, de proposer une cuisine différente…» raconte Marie.
« L’assiette de Marie », un midi d’automne. C’est copieux et surtout très goûteux.
C’est donc une petite révolution, un tournant majeur qui se produit dans le petit restaurant de la place de la Palud, une cuisine nouvelle qui ne ressemble à rien d’autre en centre-ville de Lausanne. Le Café est aimé par les gens, c’est un lieu devenu mythique à Lausanne, pour son charme ancien. Mais le Café est vétuste. L’équipe s’en rendra d’ailleurs compte assez brutalement il y a quatre ans. Au point que des travaux furent mis en oeuvre en catastrophe… Un jour que Marie préparait le menu de midi, le plafond au-dessus d’elle… a explosé! La cuisine fut ruinée car les écoulements d’eau suspects de l’appartement du dessus ont fini par pourrir le sol et le plafond avec le temps, un mal pour un bien. La cuisine a été refaite complètement et l’équipe a pu sereinement réintégrer les locaux.
VIDÉO, Régis, client fidèle, décrit ce qu’il pense de la cuisine de Marie et Vanessa.
Régis vient déguster sur sa pause déjeuner le plat créatif des Cheffes en cuisine, quitte à quasiment se mettre en retard pour le travail. Il sera finalement à l’heure.
Retrouvez la suite de cette série sur le Café de l’Hôtel-de-Ville le mardi 9 janvier.
Par David Glaser, zieggla@gmail.com
Une réflexion sur “GASTRONOMIE AU NATUREL (1/3)”