Oscar Lalo est un homme de loi et de plume. Ecrire était pour lui une évidence. Le genevois a composé des textes de chanson, de théâtre, des scenarii… Son métier d’avocat ne repose-t-il pas sur le bon usage des mots pour défendre les individus? Il a passé un cap et est entré avec force en littérature ces dernières années. C’est à l’occasion d’une rencontre avec le producteur Thierry Sadoun que le lien a été créé entre lui et moi. Nous avons sympathisé immédiatement autour de la fontaine de la place de Bourg-de-Four à Genève. Lieu de ralliement pour Thierry, Oscar et moi-même car nous allions entamer une visite inoubliable de l’ancien ghetto juif de Genève, le « Cancel », premier véritable ghetto européen avant celui de Venise, sur les commentaires d’un érudit de la question Jean Plançon.
Dans chacun des quatre chapitres de son premier roman « Les contes défaits », l’écrivain manie les mots avec le sens de la précision, avec la puissance de la signification, avec peu d’allusions, peu d’évocations. Il n’y a pas de gras dans « Les contes défaits » car ce premier roman a été façonné au scalpel. Pas un mot de trop non plus, on est direct dans le cœur de l’histoire. Son livre est un conte qui prend à contre pied les contes de fées que nos mères nous mettaient entre les mains. Il fait l’effet d’une bombe car il parle de ce qu’on ne peut pas dire, du viol d’un enfant. Publié chez Belfond le 18 août 2016, ce fut sans conteste une des surprises de la rentrée littéraire. « Les contes défaits » prennent aujourd’hui vie sur plusieurs continents. On prend un peu de temps avec l’auteur dans sa tournée canadienne très chargée pour savoir ce qui se cache derrière ce roman qui commence par des souvenirs enfouis de cet homme qui enfant va être victime des sévices sexuels d’un plus grand que lui. SUISSISSIMO: Comment vous présentez? Vous êtes un écrivain mais aussi avocat, quelle est l’activité qui prime aujourd’hui? Oscar Lalo: c’est incontestablement l’écrivain qui prime. Comment vous est venue l’idée de ce livre? J’ai voulu écrire un livre sur les décisions que prennent les parents mais du point de vue de l’enfant. Ce mouvement de balancier parent-enfant-parent est un angle intéressant pour décrire le trauma par lequel peut passer un enfant du fait d’une décision de ses parents. C’est pour ça que Les Contes défaits est un livre sur la mémoire et l’enfance : on a tous un trauma plus ou moins profondément logé en nous. Ainsi, la question que pose mon roman est : qu’est-ce qu’on fait avec ce trauma puisqu’il arrive un moment dans la vie où il faut arrêter de l’enfouir, pas pour l’éradiquer, ça c’est impossible, mais pour lui donner sa juste place. C’est pour ça que Les Contes défaits est aussi un livre sur la résilience. Photos d’Oscar Lalo par Bruno Klein Votre livre « Les contes défaits » est très bien reçu. La preuve avec cette tournée promotionnelle au Canada, comment vivez-vous cette expérience? Je le vis comme une espèce de miracle permanent. C’est un miracle de se faire publier, c’est un miracle que les gens vous lisent, c’est un miracle que les gens aiment ce que vous écrivez et… vous l’écrivent ! Je reçois quasi quotidiennement, depuis la sortie du livre, des témoignages bouleversants de beauté, de profondeur et de subtilité. « Les contes défaits » est-il un roman très contemporain? On attend de la société qu’elle règle ses comptes avec les oppresseurs en tous genres, notamment quand il s’agit de sévices faits aux enfants? Les Contes défaits est un roman contemporain dans la mesure où il tente l’impossible : parler de l’indicible (ce qui est en soit un oxymore). Je rentre du Canada où Le Devoir (qui est l’équivalent du Temps en Suisse) titrait son article : « Oscar Lalo : diseur de l’indicible ». J’ai effectivement tenté d’écrire avec pudeur et, je l’espère, avec poésie, ce qui ne pouvait pas se dire. Le narrateur parle d’un « home » pour enfants. D’habitude, on parle de home pour les personnes âgées. D’où vient cette idée? De la réalité. Dans les années soixante, on nommait « home », les colonies de vacances qui débordaient des périodes de vacances scolaires. Certains enfants y restaient de nombreux mois et l’endroit devenait de fait un peu leur maison, leur « home ». A cette appellation s’attachait également le fait qu’il s’agissait d’un lieu un peu plus chic que la colonie de vacances de base.
La quête du narrateur, devenu âgé, est de solder ses années terribles de « détention » ou de « concentration » dans le mal nommé « home »? On sent une tentation de se venger mais aussi de pardonner. Cette ambivalence est-elle l’une des parties les plus intéressantes à essayer de traduire en mots dans un roman? Le narrateur n’est pas là pour se faire justice mais pour faire justice. Il ne règle de comptes avec personne. Et, effectivement, un des enjeux du roman était de s’assurer que le narrateur ne devienne pas la proie de sa propre souffrance mais qu’il puisse bel et bien l’ausculter avec distance et détachement, comme un médecin le ferait. A défaut, il risquait de devenir à nouveau victime, de sa propre haine cette fois. D’où la troisième partie où le petit garçon bascule vers un homme mûr qui a réussi sa vie et qui vient y poser un regard plus apaisé. La construction du roman permet de passer très rapidement d’un tableau à l’autre, d’un personnage à l’autre quitte à user de pas mal de procédés elliptiques, aviez-vous envie de rythmer efficacement votre histoire? Ce livre ne pouvait être qu’un roman. Mais au-delà de cette forme littéraire, il fallait aussi que ce soit un roman écrit à l’os, composé de courts chapitres, à la fois pudiques et incisifs. Et comme vous le savez, quand on s’imbibe dans un roman en tant qu’écrivain, il arrive un moment où l’on se confond avec le narrateur. On se débat alors avec la partie de soi-même qui épouse les traits du personnage principal. Mais avec, on l’espère toujours, une finalité heureuse puisque selon William Butler Yeats «Du conflit avec les autres naît la rhétorique ; du conflit avec soi-même naît la poésie.» Comment envisagez-vous la suite de cette aventure autour du livre, y a-t-il eu des contacts pour l’adaptation en film du roman? L’aventure continue plus que jamais. Jusqu’en juillet, quasiment tous mes week-ends sont pris pour des salons du livre, des séances de dédicaces en librairie et d’autres événements plus réjouissants les uns que les autres. Quant à l’adaptation en film, mon éditeur m’a proposé de faire l’adaptation cinématographique du roman mais j’ai immédiatement refusé. Mon choix narratif a été guidé par la retenue et je me suis appliqué à ce que chaque mot soit juste. J’attends le poète du 7ème art qui me propose l’image juste. Les contes défaits, paru chez Belfond Propos recueillis par David Glaser
|
Voici l’interview intégrale d’Oscar Lalo pour la RTS sur ce lien et retrouvez une autre interview intéressante en vidéo permettant de comprendre le sens du titre de ce premier roman.