Contessa Piñon était la rédactrice du journal « Le Quotidien de La Côte » à Nyon où je travaille depuis une année et demi. En plus de 20 ans de carrière, elle y avait escaladé tous les échelons en travaillant dur et bien. Cette collègue, amie, guide et aussi cheffe faisait l’unanimité dans la rédaction nyonnaise de la Route de Saint-Cergue. Elle avait la passion des mots et des gens, de la région et d’une façon de faire du journalisme au plus près de notre quotidien. Notre quotidien s’en trouve bouleversé. Je vais essayer de raconter ma relation professionnelle à cette très belle personne qui s’en va à 45 ans, beaucoup trop tôt. On avait à peine eu le temps de se connaître.
La Côte et le monde
Merci de m’avoir accueilli dans ta vie professionnelle, dans ta vie tout court même si nos discussions étaient toujours un peu abrégées, compressées, expédiées entre un brief du matin au pas de course et des rendez-vous de service digital/éditorial très vite refermés pour toujours laisser place à l’info en continu sur notre site et sur les réseaux. Cette masse de données résumant notre quotidien n’arrête jamais de se régénérer. Merci pour l’attention que tu portais à mon effort de créer des « sujets » qui nous plaçaient sur l’échelle de La Côte mais aussi souvent sur l’échelle du monde… Même si on n’a pas eu beaucoup d’occasions de refaire ce monde dans des discussions hors-cadre, finalement notre relation au travail a été très confraternelle, amicale et très respectueuse jusqu’au bout… merci beaucoup très chère amie pour ce luxe, c’est devenu très rare de nos jours. Cette façon de traiter tes employés avec respect, rigueur et motivation en inspirera plus d’un. Tu es une Grande parmi les grands du journalisme. Personnellement, j’irais toujours vers ce genre de rapport d’employés à responsables, celui qui fait réussir un journal et n’importe quelle entreprise.
L’au-delà
Je veux citer quelques lignes de poème d’Alfred de Vigny pour toi Contessa, désolé j’ai un peu coupé dans le texte car après tout il faut être super punchy aujourd’hui pour se faire lire des amateurs de YouTube, Snapchat et autre Instagram sur notre site. Elles résument à mon avis pas mal de choses sur la mort: …Aujourd’hui je sais tout, je te vois, et j’embrasse L’avenir qui n’est pas, le passé qui n’est plus, Les temps qui doivent naître et les temps révolus. Je conçois l’espace, L’univers s’efface Et devant ta face Tout s’unit en toi. Je vois tout s’y peindre, Je vois, sans les plaindre, Les mondes s’éteindre Et fuir devant moi. Je puiserai ma force en ta force suprême, J’ose marcher vers toi, j’ose lever les yeux. Un seul de tes regards me révèle à moi-même : Je m’étais échappé de ton sein radieux, Perdu comme l’étincelle Qui, dans les nuits de l’été, Blanche et légère parcelle D’une immortelle clarté, Quitte le chœur des étoiles, Des vapeurs perce les voiles, Et tombe sur les roseaux Et s’éteint au fond des eaux…
La nature est devenue soudainement très belle, le lac respirait l’air frais de ce Printemps étrange, l’atmosphère était tranquille, on était vendredi 13 certes mais on aurait pu croire que c’était le 1er janvier en Californie à Salinas, là où tu avais cheminé sur les traces de Steinbeck, un mélange de soleil voilé et de petites poussées de vent humide, un temps breton ou plutôt galicien. Pour conjurer un éventuel mauvais sort la veille en sachant Contessa en difficulté, j’avais imploré Dieu peut-être avec des mots pas très justes, des pensées un peu confuses… C’était l’émotion, je ne lui demande pas grand chose en général vu qu’on entretient des relations respectueuses mais assez distantes. Mais là, j’y suis allé de ma prière amicale, du genre il faut se bouger un peu plus pour Contessa, elle ne va pas bien là, fais quelque-chose bon-sang! Quand même, on a un journal à faire et sans elle c’est quasi impossible. Et puis elle est dans la force de l’âge, elle a tellement de belles choses à faire… Bref, j’avais demandé au très Haut qu’il s’occupe de celle qui avait fait le choix de m’embaucher et qui m’avait dit «quand tu as dit lors de notre entretien que tu ne refusais pas un coup à boire après une longue journée de travail, j’ai su qu’on avait le bon candidat…» dans un sourire désarmant. Je me voyais célébrer ton retour au travail en débouchant une bouteille de chez Monnard à Mont-sur-Rolle, pas très loin de chez toi. Donc peu importe le temps, peu importe le prix, je remettais ma requête à notre grand barbu faiseur de miracle en quelques mots formulés assez vite mais avec conviction, espoir, confiance et amour. Il ne faisait aucun doute que cet AVC venu te frapper ce jeudi matin maudit ne serait plus qu’un souvenir lointain très vite.
C’est fini
A 45 ans, six petites années de plus que moi, Contessa a donc pris un chemin inattendu. Un satané AVC l’a commandé ! Cruel destin, sortie difficile à accepter pour tous les gens qui l’adoraient, c’est-à-dire beaucoup de monde. Je suis passé par plusieurs états, de la tristesse à la colère en revenant à la tristesse sans pour autant oublier d’ouvrir la porte de ma mémoire fraîche et pleine de moments agréables passés à refaire le monde pendant cette trop courte histoire que l’on a en commun. Contessa, je la sens là près de moi maintenant, près de nous, à nous regarder, à nous accompagner, à nous encourager, à nous pousser à continuer malgré ce congé de trop longue durée. De là où elle est, je la sens nous lancer un petit défi. Celui de faire briller La Côte, son journal, notre journal et notre site internet. Alors pari tenu Contessa, on va continuer et on va le faire avec amour et dévotion, avec l’envie et la curiosité, le plaisir et le sens critique dans le respect des autres, dans l’amour de notre région magnifique La Côte, de notre culture multiple, de notre ouverture sur le monde avec l’absence d’ornières et de barrières.
Continuer sans toi
Contessa, sache que l’on va te rejoindre, c’est sûr… je ne sais pas quand mais je vais faire en sorte que ton esprit demeure tant que je suis ici, de te représenter tant que l’énergie et la foi perdurent, de garder tout ce que tu m’as appris en un peu moins d’un an et demi (une jolie durée quand on travaille avec toi même si le temps a glissé à la vitesse de la lumière). Je suis sûr que je ne serai pas seul dans cette mission, vu la solidité et la solidarité de l’équipe construite à ton image au journal. On sera là bien présents au service des gens qui comptent pour nous. Je suis conscient de l’importance de la tâche comme tout un tas de camarades aujourd’hui recueillis dans le respect de ta mémoire, de ton magnifique aura, de tes proches et de celui qu’on connaît le mieux, le génial Laurent. Laisse-moi te rendre hommage en essayant de reprendre quelques-uns de tes traits de caractère, quelques-unes de tes qualités, la liste est longue mais c’est bien car on n’a que l’embarras du choix du coup : modestie, écoute, intelligence, humour, passion et compassion… et amour aussi… Car Contessa tu es amour, dans l’au-delà où on vient d’organiser un succulent pot de bienvenue avec les vins de La Côte… comme sur terre, dans les textes, les photos, les dessins dans les pages du Quotidien de La Côte, sur lacote.ch ou dans les rapports humains avec tes collègues, tes amis.