C’est vrai que j’aimerais plutôt être devant ma télé le dimanche 19 juin. La perspective de voir mon pays de naissance, la France, recevoir mon pays de résidence, la Suisse, sur un rectangle vert me réjouit franchement. Voir la France battre la Suisse au dernier mondial m’avait pas mal animé… J’aime le football depuis toujours et encore plus quand les peuples s’opposent « amicalement » dans l’ambiance de l’été suisse multiculturel, avec les pique-niques des différentes familles sur les bords du lac avec la musique d’Amérique latine pour les Chiliens ou les Colombiens, les odeurs de spécialités lusitaniennes pour les amateurs du meilleur joueur du monde Ronaldo, le bleu et le blanc des Azzuri dans les rues de Lausanne. Cette grande « mezcla culturelle », c’est ma vie estivale en période de mondial ou d’euro ici en Suisse. Les compétitions de foot me font directement retomber en enfance, dans l’insouciance de mes jeunes années de frêle footballeur à porter le short de Liverpool FC et le maillot de l’AS St-Jean d’Assée, à ramener les chaussures crottées à la maison, avec cette fierté d’appartenir à une équipe bigarrée avec des joueurs fortiches et des gars plutôt maladroits des membres inférieurs… j’étais quelque-part un peu des deux selon l’adversaire… L’adversaire, le match, tout ça est différent aujourd’hui.
Ce dimanche 13 décembre, je pense que je n’aurais pas le même plaisir à aimer ma soirée télé, j’ai 39 ans et je pense avoir assez vécu sur notre terre pour analyser cette période trouble. Je suis Français, expatrié en Suisse donc. Marié, un enfant de 15 ans avec une ouverture sur le monde totale (mon épouse n’est si suisse ni française), sur les différences culturelles et sur la richesse exceptionnelle des communautés culturelles qui viennent de loin. Ma vie loin de mon pays, à peine 80 kilomètre de la frontière terrestre… quelques kilomètres de distance avec mon pays par l’eau, me paraît très contrastée, entre sensations de comprendre l’évolution de la carte géo-électorale et sentiments d’être perdu. J’ai des doutes, des interrogations sur la nature humaine surtout de l’autre côté de la frontière, sur ces quelques derniers jours passés dans ce monde qui ne peut convenir à personne tant la violence, le danger, le danger de voir la violence débarquer en une seconde dans les villes de France, dans des rues autrefois tellement pacifiques des quartiers de Paris, peut s’accroître en quelques fractions de secondes.
Là, à Paris le 13 novembre, la sensation de liberté était à son maximum dès les premières minutes d’un concert pacifique, basculer dans l’horreur en quelques minutes fut sidérant, la folie de monstres prenant l’apparence d’humains restera à mes yeux irrationnelle, ça ne me quitte pas depuis dimanche dernier. Cette possibilité d’être au mauvais endroit, au mauvais moment en France ou en Suisse est un élément de notre quotidien qui ne me convient pas trop bien. Mais épris de justice et de liberté, je me méfie tout autant de cette société contrôlée qu’on est en train de construire tous ensemble. Voter UDC en Suisse ou voter FN en France, ça ne fait qu’engendrer des questions sur la valeur qu’on accorde à autrui, sur la méfiance qui naîtra de la rencontre entre nouvelles têtes gavées de préjugés, de peurs multiples, de frustration et de méchanceté. Y aurait-il tant de frustrés méchants et apeurés dans notre nature?
Détourner le regard
Aujourd’hui, on compose en France avec l’arrivée de réfugiés peu tolérée par une partie de la population, avec une pauvreté rampante, avec un malaise profond au sein des strates économiques qui n’arrivent plus à créer de l’emploi ou à trouver les bonnes personnes pour des postes à pourvoir. Le FN semble surfer sur cette vague de dysfonctionnement avec facilité : il y a la réalité de l’immigration politique et économique, il y a surtout le fait qu’un tiers des Français n’arrivent pas à joindre les deux bouts et comptent leurs quelques sous qu’il reste pour le mois… dès les premiers jours du mois. Moi aussi, ça m’a agacé plus d’une fois de voir des Roms quémander, mais aussi de voir des gens dépenser sans compter et sans se soucier des autres, de voir des amis emprunter de l’argent pour pouvoir survivre ou se payer des vacances. J’avais honte de détourner le regard par le passé ou d’éconduire les demandes des mendiants en Suisse en un geste aussi peu digne que celui qu’un attaquant frustré lâche après un penalty oublié. La honte est toujours là… les inégalités éternelles.