CHANT D’UNE SIRENE

Le festival du Chant des Beaux Humains pourrait être une sorte de Francofolies de Lausanne s’il n’avait pas cette dimension particulièrement localisée, dans une petite salle du quartier sous-gare. L’événement fêtait ses six ans grâce au parrainage du chanteur valaisan Marc Aymon, grâce au travail de Romy Siegrist, de Vincent Cruchon de la maison de quartier sous-gare, de l’organisateur Jacques S. et des bénévoles. Souffrant, Jacques a été remplacé par leBen au pied levé. En tant que régisseur et membre de la mARmiTe, association qui rassemble tout plein d’acteurs (activistes?) culturels au fonctionnement solidaire et collectif, il était tout désigné, l’ambiance du festival étant à la décontraction, la camaraderie et le sérieux du programme de chanson française. “La mARmiTe, c’est une structure où tout le monde met dedans pour reprendre quand il en a besoin. A un moment donné, on me fait confiance car j’ai beaucoup organisé de concerts, j’allais faire du bénévolat à gauche et à droite. Jacques était content d’avoir un gars qui touche le puck, un bon régisseur…” il faut dire que le directeur du festival en se reposant sur un régisseur au four et au moulin avait le temps d’accueillir et de discuter avec les artistes, un rôle plus gratifiant, un rôle très important pour mettre stars et nouveaux venus de la chanson en français en confiance sur scène comme dans les coulisses. Mais l’homme, allure de rocker, contact facile, accent de “titi jurassien”, n’a pas mélangé les fonctions de directeur et régisseur pour autant, il a assuré une organisation parfaite. Peu de temps passé avec les artistes certes mais la satisfaction d’avoir vu défiler 450 personnes sur trois journées. L’accueil a été parfait avec des bénévoles de la maison de quartier aux petits soins avec chacun des spectateurs, avec Pascal Schouwey, homme de médias et de communication, pote de Francis Lalanne, présent deux jours pour accompagner le barde français. Le chanteur à la gloire passée est visiblement resté très populaire chez des romands venus en nombre (150 personnes) pour le voir samedi donner un show de près de trois heures dans cette petite salle et revenus le lendemain au Brunch des Beaux Humains pour le voir improviser à la guitare aux côtés de Mathias Bressan… deux chanteurs qui ne se connaissaient pas mais qui ont bien “croché”. La gloire passée… un concept très relatif. Prenons l’exemple de Véronique Rivière, “one… or two-hit wonder” dans les années 80-90 sur les ondes des radios francophones. Elle a son public de fans, de connaisseurs, de gens heureux de garder le contact et de discuter librement de ses textes, de ses origines, de ses points de vue sur l’état de la France, l’attentat de Charlie… Elle était l‘autre tête d‘affiche avec Lalanne et Thierry Romanens. Elle a su ravir les coeurs de la centaine d’humains de sortie dimanche après-midi. “Mercedes Benz » de Janis Joplin est une chanson anti-matérialiste, un ironique pied de nez à la société consumériste dans laquelle chacun de nous essaye de se dépètrer. C’est avec cet hymne que Véronique Rivière entame son premier rappel faisant de Lausanne le temps de quelques minutes la capitale de la contre-culture folk-blues soixante-huitarde, l’endroit où il fait bon s’imaginer dans une manifestation de métallos dans le nord de la France un soir d’annonce de plan de licenciement massif. Personnellement, Véronique Rivière, je l’avais perdue de vue depuis quelques années. Ma soeur adorait chanter son tube “Capitaine” avant d’aller à l’école et du coup, à cette époque, Véronique était un peu de la famille à la fin des années huitante. Incarnée par ma petite soeur, cette chanson racontant les déboires d’une dame qui voit son marin de mari s’échouer m’avait obsédé… La dame dans le chanson ne peut plus rien y faire après tout, quand on refuse d’aller bien, c’est toujours les êtres les plus proches qui morflent. Voici Véronique, sortie de scène, relax, une clope aux lèvres, après un concert de plus d’une heure trente très généreux… Véronique Rivière, encore chérie par le maître de la classe médiatique et humoristique parisienne Laurent Ruquier, avait été autrefois invitée à faire de la scène en tant que comédienne au Café de la Gare aux côtés de Romain Bouteille (qui gérait une bande de joyeux lurrons tels que Coluche, Patrick Dewaere, Miou Miou, Rufus…), il en reste des traces, elle manie l’humour avec beaucoup de plaisir. Véronique en interview, c’est l’assurance de passer un bon moment dans le présent tout en se rappelant quelques bons souvenirs de la chanson pop à la française, souvenirs pas si anciens.

SUISSISSIMO : Cette reprise de Janis Joplin vient ponctuer un show très chaleureux où vous passez en revue beaucoup de vos anciens succès et des chansons très touchantes. Pourquoi ce choix d’un titre symbolique d’une période où on vénérait la contre-culture et haïssait la guerre du Viêt Nam, une chanson assez éloignée de votre style pop-variété?

Véronique Rivière : ma culture musicale est très large. Janis Joplin a bercé mon adolescence comme Jimi Hendrix, Crosby, Stills, Nash & Young dans des styles radicalement différents. Frank Sinatra chantant le jazz, la musique classique… Mais chanter Joplin n’était pas quelque-chose que j’envisageais, en plus la chanson est a capella… Mais une fois lancée, c’est un bonheur… Bon c’est aussi parce que j’ai une très vieille Mercedes fatiguée… Donc je lui rends hommage au passage. Je m’attache aux choses et je leur donne des petits noms, ma maison, c’est “Alexandre”… Dans ma voiture, je me sens protégée et libre de m’enfuir. Dans ma maison, je me sens heureuse de dire que c’est chez moi et il n’y a que des bonnes ondes. J’aime aussi beaucoup les relations avec les gens.

Cette aisance sur scène, c’est l’esprit Café de la Gare où vous avez passé du temps, comme Coluche?

A l’époque, on n’entrait pas au Café de la Gare, il n’y avait pas d’engagement. On débarquait! Un jour dans un bar alors que j’étais avec une amie, Romain Bouteille, celui qui a créé le Café de la Gare, m’ demandé si je pouvais chanter ses chansons. Je ne sais pas pourquoi, je ne chantais pas à l’époque. Donc ça devait être une vague manière de draguer… J’étais fascinée et je suis venue chanter ses chansons médiévales auxquelles je ne comprenais rien, comme ses pièces d’ailleurs… A la fin d’une pièce, je me souviens qu’on était deux filles et qu’on avait tué tout le monde et gagné de l’argent… Un jour donc, Marie-Christine Descouard (la comédienne était la muse de Romain Bouteille, elle a joué ensuite au cinéma avec Alain Delon entre autres stars*) était malade et il fallait quelqu’un pour la remplacer et ce fut moi. On m’a donné un livret et j’ai commencé à jouer. A partir de ce moment-là, j’ai fait partie de la troupe. S’il y avait un rôle… on venait, sinon on restait chez soi. A l’entrée, une roue déterminait le prix d’entrée pour chaque spectateur qui devait la tourner… une personne pouvait aussi gagner 1 franc. C’était une époque soixante-huitarde vieillissante, la compagnie ne payait pas ses impôts… En fait, ça marchait encore à l’époque mais maintenant c’est terminé, les gérants du Café de la Gare sont rentrés dans le rang.

Vous aviez un côté libertaire tout en étant sur de gros labels de musique qui brassaient de l’argent (Phonogram, Remark, Tréma/Sony)?

J’ai suivi des hommes, j’ai signé avec des êtres humains qui aimaient mes chansons. Manque de bol, ils partaient tous au bout de deux ans. Ils me disaient de rompre mon contrat pour les suivre. J’ai gagné une réputation de fille instable et ingérable alors que j’étais d’une fidélité absolue envers les hommes. Phonogram, Polygram, Remark, Tréma… bref entrer dans un bureau d’un PDG de maisons de disques qui n’écoutent pas de musique, ou juste dans leur voiture et qui ne pouvaient pas écouter mes maquettes, ça me déprimait tellement… ce sont des gens qui ne sortent pas voir des concerts dans des petits lieux comme celui-ci. C’est sensé être un métier, non?

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Samedi 24 janvier 2015, José Artur, une figure des médias et de la culture s’est éteinte, ça vous a fait quoi?

J’ai fait son émission il y a très longtemps… Ce dont je me souviens surtout, c’est que mon père étant réalisateur de télévision, on allait le voir. Il y avait des studios de télé à France Inter. En haut des escaliers près de ce plateau de télé était installé le studio du Pop Club. On avait le droit de monter y voir ce qui se passait. J’y ai vu Gainsbourg et Birkin, j’étais toute petite. J’ai une très grande culture télé-radio qui date de l’enfance, on regardait le travail de mon père religieusement. « Le Grand Echiquier » avec Jacques Chancel… José Artur, des gens qui pouvaient bousculer leurs invités mais qui avaient étudié avant, qui savaient de quoi ils parlaient, c’était toujours intelligent et jamais méchant.

Vous êtes proche de Laurent Ruquier. L’humoriste a repris le flambeau de ces grandes stars du micro sur différents plateaux. Ce n’est pas quelqu’un qui a galvaudé l’exercice télévisuel et radiophonique de l’interview, non?

Laurent est un amoureux de la langue française. Il écrit des pièces qui sont drôles. Il a un talent pour le “boulevard” fabuleux, un être qui connaît la chanson de manière incroyable, maintenant c’est le seul être des médias qui m’a contactée quand je fus dans le creux de la vague. J’ai eu une relation amicale et sympathique avec lui, en dehors de tout. Mais quand j’ai eu un album de prêt, il m’a dit… “je vais te produire sur scène”. Rien que pour ça, il peut faire ce qu’il veut, je l’aime.

Il y a cette chanson “Babouchka et Diedouchka”, on sent que vos racines russes et multiples sont très présentes dans votre chanson, dans votre amour des langues…

Mon père, russe d’origine, ne nous parlait pas en russe, il ne voulait pas qu’on parle le russe. Avec l’âge, je comprends mieux sa volonté qu’on soit français à tous prix. J’allais chez mes grands-parents qui parlaient russe, donc c’était très étrange. Ils mangeaient une nourriture… on ne savait pas ce que c’était, ils parlaient une langue… on ne savait pas ce que c’était et parlaient de gens qu’on ne connaissait pas. Et régulièrement, chez eux pour ainsi dire, on se faisait copieusement chier. Mais jamais on n’étalait sa souffrance et sa douleur chez eux. Avec les années, cet attavisme slave, qu’on le veuille ou non, on l’a! La compréhension vient avec le temps.

Alexandre Tarta, votre père, qu’a-t-il pensé de votre carrière?

Mon père, comme tous ces gens réservés, il parle en bien de moi aux autres. Je sais que ma mère et mon père ont été très fiers mais ça ne se formule pas. Je comprends cette fierté et j’en suis extrêmement touchée. Maintenant, dans ma famille, on ne dit pas ouvertement qu’on est fier…

La vie de Véronique Rivière dans le sud de la France, dans la campagne provençale a l’air d’être une sacrée évolution de carrière… serait-ce le bonheur?

Aujourd’hui, plus les choses avancent, plus je me dis que la vie est un cadeau magnifique. Je suis peut-être passée parfois à côté de joies simples… Mais depuis que je ne vis plus à Paris, dans la folie médiatique des grandes villes et la folie tout court, je vis avec des gens qui ne viennent pas de mondes identiques au mien, on s’apprécie et les échanges sont riches. J’aime donc la vie, les plaisirs simples, la bouffe et je me dis juste, il faut profiter parce que c’est court.

A Lausanne, les gens ont repris en choeur votre tube “Capitaine”, quelles sensations on a sur scène quand le public réagit à ce point?

Déjà, c’est la chanson qui est la plus passée en radio. Je ne me produis que dans ds petites salles, c’est donc un échange direct. Je constate que si on donne aux gens, les gens vous donnent énormément en retour. On va se croire à la messe… mais bon c’est un vrai moment de partage. Quand j’entends des gens se lancer, chanter, c’est pas parfait… mais personne ne l’est… c’est un vrai plaisir.

Michel Haumont vous accompagne à la guitare, c’est un maître de la guitare folk. Votre relation sur scène est faite de beaucoup de complicité, d’humour, quand il s’accorde, vous meublez en récitant des fables de Jean de La Fontaine…

On peut pas dire que je l’étouffe avec mes tournées internationales. C’est ce que j’appelle de l’amitié. On prend du plaisir à travailler ensemble. On prend du plaisir à voyager ensemble. En 1989 quand on a enregistré “Capitaine”, personne n’arrivait à jouer la partie de guitare, Dominique Blanc-Francard qui réalisait l’album me dit qu’il en connaissait un qui pouvait le faire, c’était Michel. C’est lui qui a joué la partie de guitare de “Capitaine” que vous entendez sur le disque. Ensuite, on s’est perdu de vue pour se retrouver quinze ans plus tard. On s’entend bien. On est assez proche dans nos choix de vie, dans notre façon de prendre le plaisir là où il est et de ne pas vouloir la lune. Je vais vous raconter quelque-chose sur la lune. Quand j’étais petite, le jour où des hommes ont marché sur la lune, c’était l’été. Ma mère, ma soeur, mon frère et moi étions dehors. Ma mère nous a dit de bien regarder car on allait voir les empreintes de pas et on les vues! D’ailleurs encore maintenant en regardant la lune, on voit toujours les traces de pas.

Propos recueillis par David Glaser

Véronique Rivière “Aquatinte” et http://www.veronique-riviere.com pour toute la discographie

http://www.lechantdesbeauxhumains.ch/

*Marie-Christine Descouard “Le Café de la Gare, Quelle Histoire” (éditions du Cherche-Midi)

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