A la lumière des derniers événements, l’amour va peut-être remplacer la haine dans le coeur de mes compatriotes. Je l’espère. Depuis quelques heures, je demande à mes amis du monde entier de me raconter comment ils ont vécu ces trois derniers jours de chaos, d’horreur, de remise en question, de questions sans réponses… Avec des témoignages du Maroc, des Etats-Unis, de France, d’Allemagne, d’Israël, d’Australie, de Norvège ou d’Afrique francophone, on va faire un tour du monde en partant de la Suisse. Faire place à des témoignages différents est devenu on ne peut plus important dans le contexte d’union (inter) nationale difficile, d’harmonie entre les cultures, d’échange de façons de penser le monde et de respect pour la religion des autres. Encore une fois, je ne pense pas que Charlie ait voulu souiller le judaïsme, l’islam ou les chrétiens pour ne parler que des religions monothéistes majoritaires : ils ont condamné ceux qui utilisent la religion de manière violente pour appliquer des lois inhumaines (la charia…), c’est vrai qu’ils ont appuyé sur la question de l’islam là où ça fait souvent mal. Pourtant, je me rends compte que beaucoup de mes amis ont un regard plus nuancé que le mien. Sans céder aux thèses de l’islamophobie ou du procès en racisme et ségrégation contre une communauté, ils apportent un regard intéressant. La grande marche de dimanche sera un beau rassemblement, le 11 janvier sera une nouvelle date importante dans l’Histoire de notre Douce France multi-kulti, une date à laquelle on se doit de participer d’une manière ou d’une autre pour la paix entre les peuples et l’humour libre et corrosif. Pour débuter ce tour du monde, voici le commentaire de mon amie Nadia de Casablanca.
“Bonjour David… personnellement, je ne suis pas charlie. je condamne à très haute voix la barbarie et le massacre perpétué sur les 12 innocents car on ne peut pas arrêter une vie sous aucun prétexte et surtout pas au nom de l’islam. les gens doivent arrêter d’écouter les bribes d’infos et doivent aller direct au coran pour voir de leurs propres yeux que c’est une religion de tolérance. pour revenir sur ‘je ne suis pas charlie’ supposant ces barbares auraient commis ce massacre sur Le Pen, on scanderait aussi je suis Le Pen? ça serait trop facile de faire table rase sur les propos haineux que ça soit en caricatures, vidéos, discours, spectacles humoristiques ou autres que ça soit sur une religion, orientation sexuelle, couleurs de peau ou autres… je suis pour le respect de l’autre et pas l’inverse au nom de la liberté d’expression. la haine ne génère que la haine malheureusement”
– Témoignage d’une américaine vivant en Allemagne (Kelly Kline) –
« Je ne suis pas étrangère au terrorisme. J’ai vécu en Israël à un jeune âge, quand les attaques étaient régulières. J’ai habité ensuite les États-Unis, j’y étais le 11 septembre 2001. J’habite Cologne aujourd’hui. Et je dois assister à la difficulté de mes voisins français d’affronter le même type d’horreurs dues à la haine et l’ignorance. Même si je ne connaissais pas les dessins de Charlie Hebdo et même si je n’avais vraiment entendu parler de leur travail, comme journaliste dans un monde excessivement dangereux pour cette profession, c’est dur de ne pas se sentir affecté quand un reporter se fait attaquer ou tuer pour ses convictions. ´Je Suis Charlie’ car en quelques heures, des gens du monde entier ont montré leur solidarité pour les vies qui ont été volées, pour la liberté de la presse et pour l’humanité. »
– Témoignage d’une française vivant en Israël (Yaël Avran) –
“Charlie Hebdo à Tel Aviv
Je viens de rentrer a la maison après une matinée de courses, et cette fois j’en ai la certitude: l’onde de choc des événements en France a traversé la Méditerrannée et est bel et bien arrivée en Israël.
Si même la vendeuse de houmous me parle spontanément des événements en France alors que je n’ai rien dit (peut-être a-t-elle lu dans mes pensees?), c’est que la douleur, le choc, l’ecoeurement sont présents a Tel Aviv. Tout le monde ne parle que de ca: c’est le sujet de conversation de la table derrière moi au café, c’est à la une des medias, c’est la douleur d’une amie francaise rencontrée par hasard ce matin, et jusqu’a la maîtresse d’ecole de mon fils qui s’inquiète pour ma famille en France et demande si mon frère n’a pas l’intention de faire son alyah prochainement.
Hélas non, je m’entends répondre, mon frère ne fait pas son alyah prochainement. Sa vie est en France, tout comme son travail, ses amis, ses enfants et la famille de sa femme. Dire que la voiture des frères Kouachi s’est arrêtée rue de Meaux, là où habite mon frère, lors de leur cavale infernale du mercredi. Parmi toutes les rues de Paris, il a fallu qu’il s’arrêtent là-bas. J’en ai des frissons rien qu’en y repensant.
Aujourd’hui, pour la première fois depuis le debut des événements, je ne me sens plus seule dans ma douleur. Quand les premieres bribes d’information ont commencé a circuler sur facebook mercredi, les médias israéliens titraient sur la “tempête” qui frappait le pays ce jour-là. Certes, il a grêlé a Givatayim (banlieue proche de Tel Aviv) ce jour-là et certaines branches d’arbres sont tombées sur les routes, mais il vient d’y avoir une fusillade dans la rédaction d’un journal à Paris! Pourquoi personne n’en parle? Il a fallu 24 heures, et surtout, cet affreux attentat dans le supermarché casher de Vincennes pour que l’opinion publique israélienne soit retournée à son tour.
Difficile d’expliquer ici ce qu’était le Charlie Hebdo. Cette insolence de ton, ce côté très francais, voire gaulois du journal. Le côté irreductible qui résiste encore et toujours à l’unité de pensée et surtout à la bêtise de certains milieux extrémistes.
Comment expliquer mon ecoeurement quand je vois le nom Cabu parmi les victimes de la fusillade. Cabu, le heros de mon enfance (et de toute ma generation), dont le coup de crayon nous avait hypnotisés dans Récré A2. Cabu dont le sourire ne laisse aucun doute sur sa gentillesse, sur son incapacité à faire du mal a qui que ce soit. J’en suis ecoeurée.
Et ce sentiment d’ecoeurement s’accentue de jour en jour. Comment se fait-il que les forces de l’ordre françaises n’arrivent pas a les attraper? Des milliers de policiers se deploient dans la forêt, et les frères Kouachi courent toujours. Et les medias israéliens de se faire l’echo de mes pensées avec cette critique qu’on devine entre les lignes: comment les services de renseignements francais n’ont-ils pas eu vent de leur projets? Pourquoi ne les ont-ils pas interpelés jusqu’a présent? En oubliant au passage les attentats que les services israéliens n’ont malheureusement pas pu empêcher (comme l’attentat à la synagogue de Har Nof à Jerusalem en novembre dernier).
L’ecoeurement. C’est le sentiment qui prédomine depuis 4 jours. L’impuissance aussi. La tristesse. La rage. La colere. L’incompréhension. Mais aujourd’hui je ne suis plus seule. Parce que les israéliens partagent cette douleur qu’ils ne connaissent malheureusement que trop bien. Celle d’avoir perdu des êtres chers aux nom d’une ideologie absurde et sanguinaire.
Aujourd’hui mes pensées vont aux familles et aux amis des victimes. Que leur mémoire repose en paix.
Et puissent les crayons continuer a dessiner toutes les caricatures acerbes et nécessaires, voire même vulgaires, puissent les stylos faire couler des critiques bien vues et puisse la France se relever après cette épreuve. Amen.”
– Témoignage d’une lausannoise (Gunnel Bergrenn)
“September 11, 2001. Living in Cambridge, MA, I just turned off the TV a few minutes to 9 in the morning – not to be an American housewife…and logged on to my email in the office. Got an email from a friend in Norway asking if I was OK? And if my husband was not flying that day? The Harvard security, their immediate response with trauma, counseling support etc was just amazing. (As many of the MBAs obviously had friends in the Twin Towers). Had several friends in Manhattan and they luckily survived. – With horror stories to tell and co workers who did not make it. One came to visit us a week after, just to get out of there.
London July 7, 2005. We were living outside London at the time, and I had an appointment at the Tropical Disease specialist on July 7. Was supposed to take the Chiltern Railways train, and then bus (number ?) to the BMA House. Would have been on that bus probably. Luckily my appointment was rescheduled to the day before, to July 6, same time.
On July 7th I was at the hairdresser’s when we heard about the bombings, called my husband who worked at LBS and who traveled by subway…no reply. Stormed out of the hairdressers’ with aluminum foil in my hear and drove back home where I could reach him via email (this was 10 years ago, no email on the phone) and finally got a reply he was fine.
Mumbai 26/11. 2008. Maya was supposed to go to India with her dad, and stay at the Taj hotel, early December 2008. Obviously they cancelled the entire trip. Oslo July 23,2011. We heard about this the same day we were off to holidays in Greece, watched it with my daughter on every TV we could get a glimpse of. Hard to try to explain to an 11 year old what was going on, and why somebody would do this. Remember being totally paranoiac in Greece staying at a hotel on a peninsula –idiotic, but fear is illogical.
Paris January 7, 2015. The list starts to get too long I see. Just a normal day, back from holidays, school has started, and the impossible happens. My daughter by now 13 year old takes it in with horror, but is, in a strange way, used to it. »