LA BOMBE BOMBAY BICYCLE CLUB A LAUSANNE

Depuis la fin des années 2000, Bombay Bicycle Club a fait tourner la roue au Royaume-Uni comme ailleurs avec plusieurs albums inspirés, à la tournerie magique, parfois géniale. Dans le lot, je citerai « A Different Kind of Fix », chef d’oeuvre sorti au tout début des années 2010, qui a placé très haut les espoirs d’une reconnaissance mondiale. Elle est arrivée en quelques sortes avec une programmation du groupe en première partie de Noel Gallagher au Montreux Jazz Festival, on en parlera plus tard.

Longtemps, j’ai trouvé cet album parfaitement fait pour le live. C’est aussi sur scène, à Montreux, que j’ai pu comprendre que la petite bande londonienne savait très bien créer un groove avec de la pop music plutôt lettrée, légère, sucrée et riche à la fois. A cette époque, les Maccabees et Alt-J sans oublier Two Door Cinema Club surfaient sur cette même vague mais « Bombay » ou « BBC » faisait déjà tout et en mieux.

« My Big Day » en 2023, douze ans après « A Different Kind of Fix », est un album jouissif, très groovy, orienté vers des sons hip-hop/soul rarement entendus dans le blend du quatuor. Disponible depuis le 20 octobre sur les plateformes et les étales de vendeurs de disques, avec cette pochette qui ne laisse pas indifférent (un homme rondelet au regard d’ « yeux au plat »), l’album regorge de collabs’ bien sentis dont les plus spectaculaires sont celles avec Damon Albarn (Blur, The Good, The Bad and the Queen et Gorillaz) ou encore Chaka Khan. L’idée d’associer la déesse de la pop-funk US vient d’ailleurs d’Albarn lui-même. Bref Bombay Bicycle Club entre dans une autre dimension avec « My Big Day » qui est un album réussi, chaleureux, surprenant, émouvant… « Heaven », le morceau de bravoure conjointement créé avec Albarn a même une dimension symphonique déjà vue chez Marc Almond, Manic Street Preachers, Scott Walker ou si on veut pousser les Beatles et Pink Floyd. Ainsi, il y a une ambition qui va bien au delà de ce que l’on a connu d’eux.

Le concert des Docks de Lausanne le 18 novembre reprendra ce groove maléfique ressenti sur ce nouvel album avec les titres « Rural Radio Predicts the Rapture », une vraie petite prouesse de deux minutes reprenant des codes du hip-hop des années 90 à la DJ Shadow. « Just a Little More Time », autre bonbon sonore, est un titre funk très bien tenu, avec une enveloppe Motownesque et cette patine vocale décalée appliquée par Jack Steadman. « Onward » rappelle les années 90 du showgaze pré-Britpop, une véritable claque. Avec cet album si bien pensé, pourquoi ne pas aller chercher la première place des charts album la semaine prochaine au pays? Après tout, on est à la croisée de plusieurs musiques qui sont dans l’actualité. Une position dans les classements qui ne s’est jamais encore présentée pour le combo est-londonien. Installé à Berlin pour parfaire la mise en scène des nouvelles chansons, Ed Nash, le bassiste du groupe, a accepté de parler de ce nouvel album et de la vie de tournée qui recommence pour le BBC. Lui qui fut aussi performer solo sous le nom de Toothless ces dernières années est heureux de repasser par l’arc lémanique. Il a d’ailleurs un souvenir enchanté de son passage au festival de Montreux il y a quelques années, la beauté du lieu, le lac Léman et son eau fraîche.

Je suis avec Edward, c’est bien ça? (A ce moment de l’échange avec l »attaché de presse, on ne m’a pas encore précisé qui de Ed Nash ou de Suren de Saram – respectivement bassiste et batteur – va me parler, d’où ma surprise de voir le nom d’Edward apparaître une fois la communication établie)

Ed Nash : Oui ou plutôt Ed. Il n’y a guère que mes parents qui m’appellent Edward.

Donc ça fait trois maintenant (rires). Oû te trouves-tu Ed?

Je suis à Berlin. On est là pour travailler les chansons et se mettre au point pour la tournée. On est à trois semaines de la sortie de l’album. On prépare le show, les chansons. C’est beaucoup de boulot, on n’a pas fait de tournées depuis plusieurs années. On veut faire quelque chose de spécial. Cet été, on a fait quelques festivals comme invités surprises. A Reading, notamment. Tu connais ce festival ?

Oh que oui, ce sont mes premiers festivals en 1993 et 1994.

Quand les jeunes en Angleterre ont 16 ans, ils vont à ce festival.

C’était vraiment cool, ces festivals, ce fut aussi là qu’on a débuté notre aventure à 16 ans.

Vous avez toujours envie de créer quelque chose de spécial pour vos fans ?

Oui, on a des fans géniaux, ils ont toujours été impliqués et loyaux. Ce serait dommage si on ne faisait pas quelque chose de spécial. C’est mutuel car les fans sont très impliqués par Discord et Tik Tok, les médias sociaux, on garde le contact grâce à ça avec ceux qui aiment notre musique.

Comment s’est passé votre pause de plusieurs années ?

On a pris quatre ans de pause. On a fait Jack et moi des albums solo. Moi avec le nom Toothless, il y a eu un côté libérateur, particulièrement dans le fait de créer un album notamment avec le contrôle de l’aspect créatif, mais à un moment après plusieurs étapes, je me suis dit, ce n’est pas aussi bien que ce que je pensais. Les concerts joués en solo, ce n’est pas aussi marrant qu’avec les personnes avec qui on fait ça depuis 15 ans, c’est comme ça, ça m’a fait réaliser à quelle point j’adore être avec le groupe. On est entré dans une nouvelle dimension dans notre musique qui n’était pas là avant. Je suis devenu meilleur en songwriting et en production. Jack a de son côté collaboré avec plein de gens. Et ça se ressent dans la musique que l’on fait maintenant. On a six invités, on avait une ou deux personnes pour chanter avant sur plusieurs chansons de nos albums. On a ouvert nos yeux sur la possibilité d’ouvrir nos chansons à d’autres personnes cette fois.

C’était bien Lucy Rose qui a beaucoup chanté pour vous par le passé, je me souviens de « Lights Out, Words Gone » ?

Oui, elle avait chanté sur sept ou huit chansons d’un album. Cette approche a changé, maintenant nous allons vers une association avec autant d’artistes que de chansons.

Avoir Damon Albarn sur l’album avec la chanson « Heaven », ça vous a donné beaucoup de fierté, ça doit vous donner des envies d’aller plus loin ?

C’est un rêve qui se réalise, c’est un héros anglais et global. J’ai grandi avec Blur et Gorillaz, on est tous soufflé. Jack a joué nos démos à Damon et au lieu de donner un avis, Damon a simplement dit : « J’ai une idée pour être cette chanson ». Il a écrit cette partie de la chanson alors que nous voulions un avis. Le regarder écrire sur cette chanson alors qu’il était aussi en phase de relance de Blur et pas mal d’autres choses. Comment fait-il pour faire tout ça ? Quand nous mettons tout ce qu’on a pour faire un album, Damon en fait quatre. C’était très intéressant de vivre ça. Je pense que Damon est le plus gros bosseur qui soit.

A-t-il aimé vos productions avec Bombay Bicycle Club ou Toothless ?

Je ne l’ai jamais entendu dire quelque chose sur notre musique avant. Je pense que c’est la relation de travail avec Jack qui a permis ça.

Donc, il y a six collaborations, notamment une chanson qui a été présentée au public assez tôt est Holly Humberstone, la chanson « Diving »?

C’est une chanson intéressante car elle résume assez bien ce qu’il y a sur cet album. De temps en temps, les gens font ces collaborations pour avoir plus de streams. On pense qu’une association avec un artiste est due simplement au fait que c’est la bonne personne pour la chanson. Ça nous a élevé pour la chanson d’avoir Holly. Jack avait fait une chanson pour l’album de Holly. Et il y avait « Diving » qui n’était pas finie, on la jouait depuis deux ans mais on ne savait pas si elle allait finir sur l’album. Elle n’était pas finie, ce n’était pas clair. Et on s’est dit, essayons de la faire avec Holly Humberstone. Et tout à coup c’est une chanson très légère, pleine d’espace qui nous est apparue. Sans elle, ça ne sonnait pas aussi bien. C’était assez magique en réalité.

Comment ça a marché ce casting en fait ? Quels ont été les critères pour aller vers tel ou tel artiste?

En fait ça varie d’une chanson à l’autre. Dans le cadre de Damon et Holly, il s’agissait déjà d’une relation de travail. Pour notre chanson « Medidate » avce Nilüfer Yanya, on a joué dans un festival et on était à côté de sa loge. Elle était fan de Bombay Bicycle Club, on s’est rappelé de tout ça en faisant « Medidate ». Et de l’autre côté du spectre, on a quelqu’un comme Jay Some, et cette chanson « Sleepless ». Elle a ecrit cette chanson de son côté et nous l’a envoyée, on l’a edité et on lui a renvoyée, une façon assez bizarre de collaborer en ligne car on ne la connaissait pas. On ne l’a jamais rencontrée. Elle était aussi fan du groupe. Il y a donc plusieurs critères, des fans du groupe, des gens qu’on a rencontrés par hasard backstage ou des personnes avec qui nous avons travaillé.

La pochette de l’album… j’aime beaucoup mais qu’avez-vous voulu faire avec ce choix quand même singulier ?

En effet pour « My Big Day », il y a un côté un peu ridicule dans le choix de la photo. On a divisé le public en deux ! Certains l’admirent et d’autres la détestent. On a essayé de pousser la limite. On a trouvé une image des années 90 dans un stock, deux œufs-au-plat sur la tête d’un homme qui sourit, c’est très 90’s et c’est aussi très différent de ce qu’on a fait par le passé. On est plutôt un guitar-band sérieux avec des pochettes sérieuses. Ce n’est donc pas une œuvre d’art qu’on accrocherait au mur. C’est rigolo, jouissif et c’est ce qu’on a voulu faire, quelque chose d’un peu « silly », ridicule et très direct.

Le style de l’album, c’est aussi très différent de votre précédent album « Everything else has gone wrong », quelques critiques ont été dures avec vous sur les paroles mais aussi la musique du précédent album. Penses-tu qu’inconsciememnt vous avez, avec « My Big Day », répondu avec un album plus fort ?

Je pense que ce disque est plus fort que le precedent. Ce n’était pas une réponse particulière à des critiques, des gens disent de bonnes choses et de moins bonnes choses tout le temps. Je ne pense pas que cet album soit ainsi une réponse destinée aux gens critiques. Nous voulions « répondre » d’une certaine manière à ce que nous avions fait. Cet album est plus ouvert, plus direct- Et c’est vrai que ça peut être en ligne avec ce que certains observateurs pensaient dans le milieu de la presse. Pour nos fans, il y aura sans doute un plus gros impact. C’est important de faire ce que tu penses juste de faire et de l’assumer.

Qu’est-ce que cet album a de si 1990’s?

Le style hip-hop, les breakbeats et samples à la « Tribe Called Quest », le côté brit-poppy aussi. Ce n’est pas un pastiche des années 90 mais on a vraiment pensé à la musique de cette génération. On a découvert le shogazing sur le tard, on avait mis ce genre de côté quand on était plus jeune. J’écoute « Souvlaki » de Slowdive, Ride et j’écoute aussi My Bloody Valentine. Il y a de la très bonne musique de ces années-là. Le hip-hop était particulièrement bon avec tous les groupes autour de « A Tribe Called Quest ».

Et le grime aujourd’hui, ça t’inspire ?

Oui le grime, le RnB, un mix d’influences. J’écoute et je cherche à rester intéressé par la nouvelle musique. Tu t’arrêtes sur Dave et Central Cee et tous ces artistes du grime comme Stormzy, ils sont incroyables. On ne peut pas arrêter la nouvelle musique du Royaume-Uni. Le hip-hop est la musique la plus diffusée aujourd’hui et ça concerne l’Angleterre. Il y a toujours de la guitar-music, représentante de la contre-culture aujourd’hui.

Comment travailles-tu ta basse avant de reprendre la route ?

Je sui un peu passé à côté de toutes les choses que j’aurais dû faire. Il y a une fondation mais je continue à faire des gammes et des scales et des exercices pour pratiquement les changements des accords, ça a l’air chiant mais je pense que c’est gratifiant de le faire. Ma technique, c’est simple, je joue tous les jours- Il me faut pratiquer l’énergie de la main droite. Tu dois jouer sans t’arrêter, c’est la clé.

Les sons de basse venus des différents plug-ins des logiciels, t’en penses quoi ?

Je pense que je n’ai pas de probleme si quelqu’un fait quelque chose d’intéressant avec, mais si c’est quelque chose de nouveau pour faire quelque chose de fou que tu ne peux pas faire en temps normal. Après toit, toutes ces basses sont dans le hip-hop.

Ed, on a parlé de tes parents au tout début de cet entretien, quelle est ta relation avec eux ?

(Ed rigole). J’ai eu une bonne relation avec eux. Je pense qu’ils aiment la musique que je fais et que nous faisons. Ils sont supporters en quelque sorte.

Ma dernière question concerne la Suisse, quelle est ta relation au pays ?

Avec Bombay Bicycle Club, on est venu plusieurs fois. On a joué à Zurich et c’est en 2013 à Zurich que j’ai l’un de mes plus beaux souvenirs. C’est un des meilleurs concerts qu’on ait eu la chance de faire ici. On est arrivé le matin et on a nagé assez loin, pour moi c’était un peu froid mais ensuite tout s’est bien passé avec cette première partie de Noel Gallagher.

Je me souviens, c’était très bien, mon seul et unique concert de vous pour ma part. J’ai adoré. Bonne tournée.

Merci et viens nous voir après le concert de Lausanne.

Propos recueillis par David Glaser

Merci à Alexandra Duvanel (les Docks), Hen Ewbak and Tafara M (AWAL)

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