EBONY BONES! EN MODE PUNK

« Allo, quel temps il fait en Suisse? » « Beau et froid, c’est la bise ici… » La question provient d’une voix enjouée, c’est celle d’Ebony Thomas aka Ebony Bones!, la réponse est celle d’un reporter qui joue la carte de l’interview en plein air pour plus de liberté de poser toutes les questions qui se rapportent à l’engagement de l’artiste britannique (Brixton-Londres) auprès des minorités et notamment les communautés afro-caribéennes vivant au pays de Theresa May depuis parfois plus de 75 ans (certains sont venus très jeunes en provenance des colonies de l’empire britannique pour aider à la reconstruction du pays vainqueur mais meurtri).

Mais revenons à Ebony Bones!, l’artiste multiple, la chanteuse qui danse et défile, voyage et compose, prend la scène et dénonce les extrêmes, les mouvements de déviance nationaliste et ségrégationniste, raciste et xénophobe, et en Europe il y a du travail. Née au début des années 80, Ebony Thomas est une mannequin et musisienne née dans la période post punk, une source d’inspiration pour cette amoureuse de la culture alternative de son pays, souvent placée en marge de la nouvelle vague eletropop british qui inspirera le monde entier et remplira les étagères des chambres d’adolescents de disques estampillés

Mute/Virgin/Factory/Rough Trade ou encore 4AD. Fille du punk et de l’indie music, aujourd’hui Ebony Bones! est une petite entreprise en pleine croissance. Affairée entre la réalisation de ses clips pour quelques-unes de ses chansons engagées, toutes issues de « Nephilim », son troisième et dernier album en dix ans, après « Bone of My Bones » et « Behold, a Pale Horse », Ebony Ebones a l’enthousiasme contagieux et l’envie de porter son album vers les cimes des charts qualitatifs et alternatifs du monde entier, le ciel est la limite comme on dit aux Etats-Unis, et elle semble déjà parvenue à se poser sur Mars, Ebony Bones! est une artiste qui construit sur la longueur et qui s’ouvre à tout: mode, politique, production télévisuelle, art, vidéo et bien sûr musique.

Ebony Bones

Il faut dire que son album « Nephilim », signé sur le label 1984, a le mérite de se présenter comme une carte de visite artistique très colorée, un passeport pour le pays des musiques sans frontières. Une sorte de petit chef d’oeuvre d’ouverture musicale entre territoires symphoniques visités à Pékin et dans pas mal d’autres régions du globe. Il faut dire qu’Ebony Thomas est en perpétuelle quête d’infos et d’histoires sur ses ancêtres venus d’Afrique via les Caraïbes. La dance hip-hop chère à toute une génération d’amateurs de soundcloud music qui ne connaissent pas encore l’artiste qui se cache derrière le titre de la bande son du jeu FIFA11 « W.A.R.R.I.O.R » vont savoir qu’ils font affaire avec la plus créative et dynamique des indie-girls de la musique pop. Il y a de l’éthique punk dans la fabrique de la musique du Do it yourself et un refus catégorique de se faire embêter par un directeur artistique d’un label aux ambitions seulement mercantiles.

On parlera de collaboration éventuelle d’Ebony Bones avec un certain Jay-Z, tant leur exigence et leurs univers respectifs pourraient se marier. Mais même si Jigga aime la musique de la Londonienne, un océan les sépare, « j’adore l’attitude de Jay-Z et de sa femme Beyonce. En Angleterre, ils ont choisi de remercier les BRIT Awards pour le prix qu’ils venaient de recevoir pour le meilleur groupe international de l’année, en posant devant un portrait artistique de Meghan Markle, l’épouse du Prince Harry, une femme détestée par une population britannique raciste ». Plus qu’un geste amical, un geste politique pour une acceptation générale des différences et pour la constitution d’une Grande-Bretagne post-raciale qui intégrerait plutôt qu’elle ne séparerait. Pourtant au pays de Morrissey, Boris Johnson et Nigel Farage, de nouvelles têtes émergent dans les rangs de l’extrême droite et font entendre leur discours de haine tactiquement édulcorés. Tommy Robinson ou Anne-Marie Waters, pour n’en citer que deux, deux têtes pensantes d’une nouvelle génération d’activistes et de personnalités politiques qui creusent le sillon du nationalisme à coups de marteau piqueur avec le désormais « world infamous UKIP ». Cela donne envie de pleurer.

Esprit brillant

De l’intelligence, Ebony Bones! en a revendre et de la fierté de faire partie d’une scène alternative. Cette amoureuse de la Suisse, pour y avoir joué de nombreuses fois admet que le pays est un havre pour les personnalités noires de la musique qui ont des opinions fortes et des envies d’ailleurs, elle parle de Miles Davis, Nina Simone ou encore de Quincy Jones . « Je connais bien la Suisse, Fribourg est une jolie ville, j’aime aussi Lausanne où l’on sera le 13 juillet pour le Festival de la Cité. Le Valais aussi car on y a tourné une vidéo… » le Valais, un canton chéri des Anglais pour ses pistes de ski luxueuses de Verbier à Zermatt. « Je sais aussi que la Suisse est une terre d’accueil pour des artistes importants de Londres ou de la diaspora jamaïcaine », Ebony cite Zurich pour la présence des héros Lee Scratch Perry (Ebony est d’origine jamaïcaine comme le résident suisse) et pour Tina Turner, tous les deux mariés à des « locaux ». La Suisse, une terre créative pour le monde entier, « il doit y avoir quelque chose dans l’eau… » dit-elle dans un autre élan souriant, oui « ou encore dans les montagnes » lui réponds-je. Le concert de Fribourg s’annonce délicieux, entre montagnes bernoises et campagne fribourgeoise, un 27 avril particulier car le concert d’Ebony Bones! sera précédé de la prestation de Foreign Beggars, une formation hip-hop anglaise qui fait référence dans le grime et le dub-step entre autres joyeusetés rythmiques made in the UK. Ebony Thomas sait s’entourer.

Le 13 juillet, la musique d’Ebony Bones! sera sans doute spectaculaire à la Cité. Au Royaume Uni, le gouvernement aura reporté de plusieurs semaines-mois le « Brexit », l’absence de deal UK-UE ne fait les affaires personnes in Albion et les manifestations des Britanniques qui réclament un nouveau référendum donnent l’impression que le chaos politique à la sauce anglaise est éternel. Le spectacle est total, l’Italie regarde le Royaume-Uni en se rêvant le prochain grand de l’Union à quitter les technocrates de Bruxelles et Strasbourg pour de bon. Que pense Ebony Thomas de cette sortie démocratiquement votée? Que du mal, mais elle avait senti ce vent mauvais depuis belle lurette. Elle s’explique. « Cela fait trois ans que l’on sent cette situation se tendre de plus en plus, il y a eu un vrai changement de mentalité en 2016 avec une vague de nationalisme en Europe et particulièrement chez nous avec ce vote, sans oublier l’arrivée de Trump. Je ne suis pas surprise que le pays soit bloqué aujourd’hui avec ce « Brexit ». Il faut y ajouter les problématiques raciales. Je suis choquée mais malheureusement peu surprise là encore par l’attaque meurtrière du terroriste de ce raciste australien à Christchurch en Nouvelle-Zélande contre des musulmans qui priaient. Cette résurgence des discours de haine contre les minorités est pathétique. Je me sens blessée. La Nouvelle-Zélande est une nation très proche de nous en Grande-Bretagne, nous y avons d’ailleurs des fans… Je dirais que malheureusement, ces tueries peuvent arriver partout aujourd’hui. »

« L’album « Nephilim » porte justement sur le nationalisme. Vous savez que le Royaume-Uni s’est construit sur le colonialisme? Avec des communautés qui dans les années 50 se sont constituées pour reconstruire le pays, elles venaient du monde entier, de Jamaïque pour le cas de mon grand-père qui a pu trouver du travail à Buckingham Palace. C’est la seule raison pour laquelle je suis née en Grande-Bretagne. Les gouvernements successifs et plusieurs politiciens ont eu des attitudes dégoûtantes envers ces arrivants. Enoch Powell, notamment… » Powell et son discours de haine sur la « repatriation » des immigrés en 1968, le tristement célèbre speech tenu dans l’ouest des Midlands par ce politicien raciste, un brûlot intitulé « Rivers of Blood » parlant de la présence de gens de couleurs en très grande majorité dans une classe d’écoliers britanniques, souhaitant la déportation des populations venues quelques années plus tôt, aider le pays colonisateur à se reconstruire, « le sentiment a été là depuis bien longtemps, qu’avec tous ces gens de couleurs, nous deviendrons une société multiculturelle comme les Etats-Unis… c’est de là que naissent les discours de haine, j’ai utilisé ce texte pour effectuer l’intro de la chanson « No Black in the Union Jack ». La xénophobie est en pleine résurgence et les médias jouent un rôle dans ce phénomène… » Je pose la question classique pour une artiste anglaise qui aime le groupe légendaire The Smiths dont a fait partie Morrissey « que pensez-vous des déclarations multiples en faveur de nationalistes britanniques de Morrissey, vous qui avez repris la chanson « What difference does it make? » écrite par Morrissey? » « Ce qu’un compatriote comme ce chanteur dit politiquement ne me permet pas de juger, je ne le suis que pour sa poésie, pas pour ses idées politiques. Il y a un fait, je suis une fan des Smiths, de l’album « The Queen is Dead » et Johnny Marr est mon guitariste préféré ». On comprend la gêne, elle est commune à tous les fans des Smiths et même de Morrissey en solo qui n’ont qu’une option, garder le talent du Monsieur et ne prêter absolument aucune espèce d’importance à ses propos.

Sentiment d’appartenance

Ebony Thomas a forcément un avis sur ces arrivées plus ou moins lointaines de membres de peuples colonisés en Grande-Bretagne et il est parfaitement argumenté quand elle répond à la question sur l’envie de migrer vers le Royaume Uni. « Les gens veulent venir ici car ils se sentent impliqués, membres de la même entité. C’est l’arrivée des colonisateurs et la transformation de tous ces pays en un Commonwealth qui valide ce sentiment d’appartenance, ils ont contribué au bien de l’Angleterre et de son empire. Je me sens comme une journaliste spécialisée dans la musique en fait et j’analyse. Il y a une forme de conservatisme dans la musique avec ces grands artistes populaires qui n’incluent pas ces problématiques dans leur arts. Dommage. Moi je prends au contraire les problèmes de nationalisme et de la peur de l’autre pour être raccord avec qui je suis. Les poètes peuvent être exclus de cette démarche et ils oublient qu’ils ont un pouvoir exceptionnel pourtant. »

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Ebony Thomas est allée explorer des territoires nouveaux pour elle et sa musique, la Chine, une collaboration avec le Beijing Philharmonic Orchestra a d’ailleurs permis une bien belle parenthèse politico-culturelle, notamment sur « The Coltan Kids », une critique des besoins de l’industrie des fabricants de téléphones portables gourmands en minerais extraits par des petites mains sous-payés en RDC et ailleurs. L’Afrique, ses peuples exploités, la Chine, une « démocratie libérale » très contrôlée, on est géographiquement dans des zones où l’artiste punk peut remettre en cause la censure, l’abus de main d’oeuvre mineure… « oui c’est intéressant de comparer la censure là-bas en Chine et celle d’ici. Il n’y avait pas de censure à mon encontre quand j’y étais mais mon regard s’est posé sur le monde culturel occidental depuis Pékin. C’est donc tout naturellement que je me suis interrogée sur la question de ceux qui ont le droit de voir leur livre publié, sur ceux qui ont le droit d’exposer et le message qui en ressort, c’est que c’est en majorité un homme blanc, occidental… » Et Ebony Thomas de citer le vertueux Empereur Shun (2233, 2184 avant JC) comme exemple de ce que la Chine a pu produire comme figures tutélaires au service des ses concitoyens, une sorte de contre-exemple aux chefs d’Etat contrôlant de ces dernières décennies et critiqués par chez nous, la Chine est tellement plus libre qu’on le pense dans son art plus que dans sa politique, dans ses traditions et ses élans créatifs. « Les artistes chinois sont les vrais porte-paroles de ce qui se passe chez eux en ce moment, des acteurs de la disruption ».

James Baldwin, l’exemple

Ebony Bones! en grande fan de personnages célèbres qui ont voyagé, elle va aussi à la rencontre de figures intellectuelles et cite James Baldwin, un auteur noir-américain homosexuel qui avait tenté l’expérience de vivre dans un petit village valaisan dont la population n’avait sans doute jamais vu de noir dans le village. « Un étranger dans le village » a d’ailleurs été porté à l’écran de la Télévision suisse, sous l’œil du documentariste Pierre Koralnik en 1962. On note cette façon d’illustrer le racisme à travers des exemples concrets, Ebony Bones! aide à comprendre dans ses références politico-littéraires comme dans ses textes.

Ebony Bones!, c’est aussi du style, de l’élégance et beaucoup d’originalité aux côtés de marques de couturiers mondialement connues comme Yves Saint Laurent, « la musique et la haute-couture, les designers, tout ça va bien ensemble, ma mère a travaillé pour Yves Saint Laurent et ça a dû avoir une influence sur moi. Dans mes différents travaux, c’est bien d’avoir pu utiliser des designers avec cette étrangeté vestimentaire ». Cette passion pour l’aspect technique et graphique de ses tenues vestimentaires la placent dans les catégories des musiciennes à 360° sur scène, à la Beyonce ou Santigold, là pour galvaniser le monde et lui donner à voir quelque chose de stimulant. Le spectacle est aussi visuel que sonore, une parfaite harmonie comme Björk ou Lady Gaga dans un autre genre. Ebony Bones! dresse un pont entre les communautés, les genres musicaux, le « Do It Yourself » et les orchestrations extrêmement professionnelles. Et elle joue le jeu de la fête, des valeurs positives et de l’union. Les années à poser un regard amoureux sur cette culture musicale british foisonnante à Brixton et dans les rues bondées de Notting Hill pour le Carnival sont passées par là. Les voyages en Inde puis en Chine, en Suisse puis aux Etats-Unis aussi. L’égérie de Alexander Wang et d’YSL incarne ce Royaume-Uni de l’inclusion, du respect des minorités et de l’affirmation de soi, rien que pour ça on a envie de protester avec les Britanniques dans les rues pour refuser le « Brexit » et dire « please Britain, stay with me and listen to Ebony Bones! ».

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Par David Glaser

La première partie sera assurée par le groupe Foreign Beggars. Infos pratiques ici. Merci à Djenan de Diapazona.

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