L’homme est un trentenaire à l’expérience multiple. Comme l’Islande en produit à la pelle. Ólafur Arnalds porte l’héritage de plusieurs décennies de culture pop profondément trempée dans l’eau chaude des sources souterraines, sucrée comme le skyr aux myrtilles, enrichie à la lumière des lighthouses faisant pousser les légumes toute l’année. La musique de Docteur Arnalds est végétale et fragile, technologique et mobile, elle ne se fait pas en labo, elle sort d’une expérience cérébrale, organique, émotionnelle centrée sur l’inspiration du moment. L’île américano-européenne qui a enfanté Bjork expire des musiques ancrées dans la roche volcanique mais aussi aériennes, flottantes. Le zig-zag entre les éléments est agréable à l’écoute de ce pianiste et multi-instrumentiste curieux de toutes les musiques. Ólafur Arnalds joue des ambiances irréelles de son pays, en musique, avec une touche de piano délicatement posée puis (re)posée encore et encore, puis enfin malaxée à l’aide d’outils numériques. Sa touche personnelle? Une vision de la musique classique ouverte au monde, à la pop, aux mélodies métalliques et froides composées pendant ces longs hivers (la lumière est dans le cœur des islandais, pas dehors…) propices à l’évasion devant le clavier. Sa touche instrumentale? Être à contre-courant des compositeurs comme Yann Tiersen, feu-Hector Zazou ou ses concitoyens de Sigur Rós, Múm voire de Valgeir Sigurðsson, avec cette légèreté naturelle, permettant de prendre toutes les libertés avec les sons, les ambiances, les chansons pop classées dans les charts (il a repris le tube R&B Say my Name. Déjà quatre album « Eulogy for Evolution » en 2007, « And They Have Escaped the Weight of Darkness » en 2010, « Now I Am Winter » en 2013 et « Re:member » en 2018, sans compter les singles/EP/collaborations et les nombreuses bande-sons produites pour l’industrie du cinéma au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis. Nous voici à la découverte de Ólafur Arnalds, un homme encore trop peu connu à travers le monde pour son talent de transporter en douceur et discrètement. Mais il suffit d’un placement dans une production Netflix ou d’un enchantement à chaque passage de sa caravane et la mayonnaise prendra. On va dire que Arnalds est « The best kept secret » venant d’Islande avec Lára Rúnars, pour le moment. L’occasion de l’éventer. Il sera en concert à Pully le 18 octobre. L’Octogone est décidément bien équipé en cette rentrée.
Ólafur, vous connaissez la Suisse?
Oui, on a joué à Lucerne, Zurich et dans d’autres villes. Il y a eu un projet avec le Montreux Jazz. Mais ce sera la première fois pour nous à Pully. Il y a chez vous une organisation spatiale différente de l’Islande. Mais la nature est bien présente autour de la vie des gens et c’est ce qui rapproche je pense la Suisse à mon pays. On vit aussi peut-être un peu plus lentement… quoique on vit tous un peu de manière « addictive » aujourd’hui.
Quatrième tome de la Saga
Parlez-moi de votre quatrième album, « Re-Member », comment est-il accueilli par le public?
Je suis très heureux de voir la réaction des gens. Chaque fois que vous travaillez sur un nouveau projet, vous allez perdre un peu le sens de la perspective, de l’observation critique, vous serez un peu trop prêt du projet. Mais les concerts permettent de mesurer l’effet des chansons. Sur ce quatrième album, je voulais que les titres soient plus rythmées. Alors sur scène, on n’a pas le même rendu que sur disque, bien sûr, mais l’utilisation de la technologique se fait différemment. On vient sans les parties orchestrales. Le logiciel que j’utilise en studio a servi à créer le son de trois pianos comme s’il sortait d’un seul et même piano. Essentiellement, c’est l’idée de pouvoir reproduire le travail de trois musiciens alors qu’il n’y en a qu’un.
Les critiques sont élogieuses, certains auteurs de chroniques de l’album soulignent le côté aquatique de « Re-member », vous le sentez aussi cet aspect?
Non, je n’ai pas senti ça du tout (sourire). Mon interprétation est que cet album prend en compte un nombre important d’éléments d’inspiration du moment mais je suis sûr qu’il n’y a pas de rapport direct avec la nature, les éléments ou les paysages islandais… C’est une expérience qui nourrit la composition de l’album. Il s’agit juste pour moi de placer les sentiments que vous avez, les inspirations que vous saisissez pour contrecarrer les choses abstraites qui restent bloquées en soi. Enfin mon travail consiste à traduire les différentes émotions en sons. La musique pour moi doit servir à traduire des sensations qui ne peuvent être traduites en mots.
Etes-vous plutôt un control-freak quand il s’agit de manipuler la machine ou y a-t-il une place pour l’improvisation… assistée par ordinateur?
Non pas vraiment, les instruments que j’utilise ne sont pas toujours au garde à vous, ça dépend de l’humeur. J’utilise des samplers, des loops et j’improvise en fonction de ce que ça produit. L’humeur va avoir une influence sur la façon de jouer. J’aime aussi jouer avec le public. On peut les amener à se manifester de différentes façons avec du clapping par exemple.
Vous avez beaucoup touché aux autres styles (du metal par exemple) que celui qui est le vôtre aujourd’hui, un genre plus atmosphérique, délicat, à la frontière du classique, racontez-nous comment toutes ces musiques sont parvenues à vous nourrir pour écrire « Re-member ».
Je ne vois pas les différences entre les musiques. Je n’ai jamais aimé classer les musiques dans différentes types de genres. Il y a des mélodies partout. Cela forme un tout.
Vous avez le temps d’écouter d’autres musiciens en ce moment?
Non, malheureusement. il n’y a pas beaucoup d’opportunités avec cette tournée. Je ne suis pas allé une seule fois sur Spotify en une semaine…
Comment travaillez-vous? Dans quel environnement?
Tout est fait en Islande, chez moi à Reykjavík. En fait, on a créé une communauté artistique avec beaucoup de collaborations entre les gens. Je suis dans un endroit où tous les créateurs qui composent cette communauté viennent quasiment tout le temps. Dans un passé récent, j’ai beaucoup travaillé avec des créateurs de séries ou de films qui s’intéressent à mes musiques. C’est un vrai vivier chez nous depuis plusieurs années.
Propos recueillis par David Glaser.
Une réflexion sur “MUSIC FROM A DESERT ICELAND”