Les espoirs de la musique romande à l’international se nomment aujourd’hui Sandor et Flexfab. La Lausannoise comme le Neuchâtelois ont déjà eu le loisir de diffuser leurs exploits électroniques à tendance new wave pour l’une, ou hip-hop pour l’autre de l’autre côté des frontières jurassienne et alpestres. La Fondation romande pour la Chanson et les Musiques Actuelles (FCMA) qui fêtait ses vingt ans à l’Usine à Gaz de Nyon, vendredi 29 septembre, les a invités à faire cause commune le temps d’une collaboration live inédite. On notera dans cette soirée rassemblant des personnalités de la musique venues de toute la Suisse un autre alliage heureux de voix. Celles d’Aurélie Emery et de LiA, deux jeunes musiciens doués qui devraient continuer à bien représenter la Romandie dans les festivals hors-sol, il leur reste à faire connaître leur répertoire, explorer des formules originales et faire parler d’eux. La FCMA les conseille, mais il faudra à ces musiciens beaucoup de rencontres et de travail de polissage pour percer le mur du son transfrontalier. La communauté francophone suisse compte bien d’autres prospects exposés. Aliose (dont la chanteuse Alizée était présente à « l’Usine »), groupe valdo-genevois originaire de Nyon et propulsé par le label Warner Music en France, aujourd’hui soutenu par Pascal Amiot, le programmateur musical de la première radio de France RTL, soit environ six millions d’auditeurs cumulés quotidiennement! Evidemment, ça situe le niveau de professionnalisme du groupe qui s’est fait une place entre Indochine, Louane et Calogero en un album. En Romandie, se distinguent aussi Bastian Baker, vaudois tout-terrain de plus en plus connecté avec les Etats-Unis. L’ancien hockeyeur continue son petit bonhomme de chemin à son rythme. The Animen, groupe carougeois aux accents « brit » et « revivalist » sans complexe, est une formation portant haut le drapeau d’une scène genevoise en ébullition depuis plusieurs années – une scène prolifique avec Duck Duck Grey Duck, plusieurs formations du label « Moi J’Connais » dont Adieu Gary Cooper, Hell’s Kitchen ou l’Orchestre Tout Puissant Marchel Duchamp sans oublier les autres Carougeois bien en vue Le Roi Angus et le Genevois Régis, tous deux signés sur « Cheptel Records », label frangin de « Moi j’connais ». Espérons que les Dieux du « musicbiz » mondial, qui ont adoubé depuis longtemps Young Gods, Yello, Stephan Eicher ou plus récemment Mama Rosin, Solange la Frange et Verveine, veilleront sur le sort de notre nouvelle scène franco-helvétique.
Sandor, accompagnée de sa comparse Noémie Mendez au clavier et à la voix.
20 ans de FCMA, Sandor monte sur la scène de l’Usine à Gaz de Nyon. On est le vendredi 29, fin de mois et début d’une nouvelle ère. Marc Ridet, le fondateur historique de la FCMA, a annoncé qu’il passerait la main dans les deux ans. L’atmosphère est gentiment électrique dans la fosse où professionnels de la musique romands et quelques invités politiques romands, organisateurs de concerts et programmateurs de salles se pressent pour (re)découvrir la sensation synthwave lausannoise. Le trio de ce soir composé de Sandor, Noémie Mendez et Jérémie Duciel n’a pas besoin de tour de chauffe pour imposer ses vagues musicales glaciales et ses vers torrides. Pas de discours non plus, à part un franc remerciement pour le soutien de la Fondation pour la chanson et les musiques actuelles, « depuis le début ». Les beats martiaux du pad de Jérémie, les vagues de basse compressée, les rythmes synthétiques en rupture ainsi que les paroles parfois crues de Sandor – chantées en duo mimétique avec Noémie – bercent le public dans une douce euphorie, lente à monter. « Parmi les Miens » rappelle la noirceur d’une élégante scène new-wave française d’un autre âge composée de Kas Produkt, Marquis de Sade ou Taxi Girl. L’espace-temps s’est réduit drastiquement depuis que les rejetons des premiers cités Grand Blanc, Fishbach ou Lescop ont repris le flambeau dans l’Hexagone. Sandor joue dans le même playground. La musique n’a jamais eu aussi peu de frontières.
Premier hit de la chanteuse synthwave Sandor, programmée sur RTS-La 1ère.
Le beat du producteur Jérémie est maintenant sali par d’aléatoires distorsions de fréquences. Ils touchent au plus profond du corps (donc du cœur) et démontre que Sandor en a sous le capot. Les paroles d’ « Ange Gardien » placent la potion-poison du trio très haut sur une échelle de Richter des émotions. La voix posée de Sandor vous caresse d’abord le tympan, comme une invitation, avant de vous triturer les neurones. Rêve agité, rêve tendance psychotique. Sandor se fait brute dans le verbe, compréhensible jusque dans le maelström electro-décadent, délicatement mélodieux malgré les petites souillures cauchemardesques volontaires tout droit sorties du drum-pad et des keyboards à effets. Bel effort, Sandor ne s’endort pas. L’effet choral provoqué par l’apport de la voix de Noémie est incontestablement un renfort astucieux, un dédoublement de personnalité pour les sombres paroles de la « professeure libérée » (Sandor est enseignante quand elle n’est pas sur scène). « Rincer à l’eau » conclut un set savant, laissant beaucoup de place aux instruments, aux trouvailles sonores, à une certaine orthodoxie de la new-wave moderne, avant que de lâcher le lion Flexfab dans un rappel (trop) rapidement expédié. On rêve de match retour entre les deux coureurs de fonds de l’électronique romande. Sandor devrait séduire des Canadiens habitués au genre synthwave et indie en anglais (on pense à Metric par exemple). Le groupe est invité au festival « Coup de Cœur francophone » début novembre. Délicieuse nouvelle.
Flexfab (et son jeu de lumières sur drapeaux) tourne depuis plus de deux ans un set rodé, puissant. Il prend la scène pour récapituler ce qu’il a créé. Il a été apprécié aux Transmusicales de Rennes en 2015 et dans de nombreux lieux de référence. Le beatmaker de Michigang (collectif hip-hop de Neuchâtel) a ouvert une voie où les références world music peuvent se retrouver échantillonnées en un coup de clic dans son séquenceur. Le but? Faire voyager le spectateur, le faire tripper. Je me rappelle d’un accueil de jeunes Bretons ultra-enthousiaste, délirant même le soir du concert Swiss Music Export/FCMA à l’Ubu à Rennes. Flexfab, en terres indie et electropop (Rennes a longtemps accueilli quelques-uns des plus grands noms de la musique indie-pop française). Le revoilà donc ici à Nyon pour exposer ce son electro aux contours hip-hop et bondissants. Flexfab est au début de l’histoire, le chemin est long mais il est diablement dégagé.
Flexfab, un son original et une volonté de casser les frontières de l’electro et du hip-hop.
Par David Glaser, zieggla@gmail.com