MUSIQUES DE CIRCONSTANCE

Mal Armé est une combinaison de plusieurs talentueux musiciens français unis dans le désir de donner vie en musique à des textes très ancrés dans la réalité abîmée d’une nation: la France. Outre cette référence au poète Stéphane Mallarmé difficilement évitable, le groupe de la capitale des Gaules a bien résumé son époque. Dans un contexte étonnant d’une France à la croisée des crises, animée par des débats politiques stériles quand ils ne sont pas surréalistes, polluée par la corruption et révulsée par une incapacité à se redéfinir avec sérénité et confiance, le groupe se positionne par la classe de ses textes et la pertinence de son alliage musicale.


Pour découvrir le premier EP de Mal Armé, allez sur le compte Soundclound du groupe


Le groupe représenté aujourd’hui pour Suississimo par Hugo Benin reflète à merveille ce son venu de France mélangeant des influences venus de la chanson littéraire, du rock incandescent et des nouvelles musiques de l’electro et du hip-hop sous tension. Voici la vidéo d’un titre de ce premier EP d’un nouveau combo tout en nuance, dont les influences se situent quelque part dans un triangle magique composé de Noir Désir, Fauve et Oxmo Puccino pour la justesse sonore du mot, la force musicale d’une rime et la voix clairement affirmée… « Je suis atteint de poésie chronique… » débute le poète-chanteur de Mal Armé dans un clip élégant et sobre qu’on ne résiste pas à partager ici.

Mais avant de rentrer dans l’univers de Mal Armé avec l’interview d’un de ses artisans Hugo Benin, laissez-moi vous raconter une histoire. Elle commence en 1976, année de ma naissance dans le centre de la France à quelques dizaines de kilomètres de la région francilienne. A quelques dizaines de kilomètres de Paris la créative, ville sanctuaire pour les poètes maudits des Lumières, ville vibrante pour les descendants de plume d’André Breton ou de pinceau de Salvador Dali. Les amoureux des mots découvrent qu’ils existent dans les petits cafés-concerts des héros du stylo et de l’arpège tels que Môrice Benin. Mes parents en sont fans, surtout ma mère, j’ai d’ailleurs été très souvent abreuvé des vers issus des vinyles de Môrice Benin, entre deux biberons, sans même m’en rendre compte. C’est resté en moi sans doute.

mal armé 2 (2)

Il n’y a jamais de hasard dans la vie et je me suis lié d’amitié avec Remy Collé, un Genevois drôle et intelligent, passionné par les gens, très ouvert d’esprit. Il me met en relation avec son cousin Hugo qui fait de la musique en France, juste pour que j’écoute ce qu’Hugo et son groupe de l’époque Modam font simplement. Je trouve leurs chansons très biens et note qu’Hugo a le même nom qu’un certain Môrice Benin. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que Remy était en fait l’un des neveux du chanteur préféré de ma mère!

Fin 2016, on prépare activement l’anniversaire de ma chère maman et on invite cet incroyable chanteur qu’est Môrice Benin à venir faire partie de la famille, l’espace d’un week-end dans la Sarthe, entre Sainte-Sabine sur Longève et Mézières-sous-Lavardin. Il chantera pour Viviane, ce sera un cadeau merveilleux et ce sera début juillet 2017. Hugo est le fils de Môrice. Son père lui a transmis le goût des mots et de la musique, il y a eu un passage de témoin, c’est une évidence mais les deux hommes aussi proches soient-ils culturellement présentent des atouts différents. Découvrons Hugo pour commencer, Môrice, ce sera pour une prochaine fois.

Suississimo: Qui êtes-vous Hugo Benin?

Hugo Benin: Du côté scène, je suis chanteur-musicien, qui écrit et chante ses textes. Plus comme une nécessité et une envie de mettre en mouvement ce qui m’anime que comme un plan de carrière. Une petite formation musicale en piano et percussion m’a permis d’acquérir des notions de base pour explorer le rythme et les harmonies. Mais je me suis beaucoup laissé inspirer par les chanteurs à texte dès mon enfance (Ferré, Brassens, Brel..), dans leur manière libre et engagé de chanter et de se servir des mots. Aujourd’hui, je collabore avec de nombreux artistes, en termes d’arrangements, de composition, d’écriture, notamment avec mon père Môrice Benin en ce moment pour la réalisation de son prochain album.

Du côté civil, j’ai 28 ans, je suis diplômé d’un master d’anthropologie, intervenant auprès d’enfants et d’ados principalement autour du langage dans des ateliers que j’ai baptisé «chemin de parole». J’aime transmettre le goût de l’écriture poétique pour se rapprocher de ses émotions et du monde qui nous entoure. Je débute actuellement une formation d’animateur en atelier philosophie avec les enfants. Le leitmotiv de tout ça tourne peut-être autour du même mouvement de parole et de transmission, d’un côté «brut» par l’artistique, et d’un côté social par mon travail et ma réflexion. C’est de cela que je suis fait, j’aime cet équilibre et j’en ai besoin, ces deux espaces s’inspirent mutuellement pour moi.

Qui se cache derrière Mal Armé?

Il y a Simon André à la guitare, c’est avec lui que je compose chaque morceau. C’est un guitariste toujours à la recherche de nouvelles sonorités. Il a dégagé de ses influences le goût des envolées lyriques à la Pink Floyd, autant que le sens de l’efficacité dans le style rock/punk US à la Red Hot Chili Peppers, aussi la sensibilité pour la pop anglaise, ses mélodies et ses riffs de guitare taillés au cordeau. Nous créons en binôme pour ensuite ouvrir les chansons aux arrangements de Morwan Sohier, à la basse et aux claviers, nous explorons alors un peu plus loin le style, la structure, les harmonies… Morwan peaufine et donne une couleur toute particulière à chaque morceau, ouvrant les horizons vers d’autres styles musicaux au service du projet. Par son parcours hétéroclite et ses différentes expériences de scènes, il est aussi à l’aise dans le funk que dans le jazz ou le rock, il apporte beaucoup pour donner le groove et la dynamique à chaque création. Simon et moi, nous composons ensemble depuis dix ans, nous avons toujours gardé cette complicité à travers notre parcours, en trame de fond, mais le projet a été baptisé et a vraiment pris forme il y a deux ans avec Morwan.

Votre précédent projet s’appelait Modam, qu’est-il devenu? Il y avait un mélange chanson, reggae et jazz chez Modam, Retrouve-t-on cette alliage pour Mal Armé?

Modam a pris fin suite à des parcours de vie différents, la saxophoniste est parti en tournée avec le cirque Bouglione, un autre vie à Genève et joue dans une fanfare, l’autre habite à Lyon… Du coup ce fut une fin naturelle. Modam a été pour chacun un projet de révélation, pour ma part, il m’a vraiment confronté à la scène, au chant et m’a donné confiance : grâce aux nombreuses représentations, à la formation au conservatoire de Lyon en musiques actuelles avec le groupe. La musique c’est souvent un mélange d’influence et d’horizons musicaux. Modam était un mélange entre l’influence chanson de mon frère et moi, le style reggae et manouche du guitariste, et la formation jazz du saxo. Une sorte de synthèse heureuse de tout cela. Avec Mal Armé, c’est plus rock, j’explore un espace de liberté plus grand, seul au chant, je me détache moi-même de mes propres influences chansons au sens propre, pour explorer (je la mêle avec le slam, le rap, le jeu sur les voix, le beat-box), même si je reste fidèle à l’influence chanson à texte. On est tous d’accord pour se mettre au service du texte en construisant et en accompagnant ce qui est dit, pour faire une sorte de petit écrin au texte. Pour cela, je me sens porté par Simon et Morwan. Simon vient du rock et a apporté ce côté écorché et organique à l’instrumentation, à l’engagement. Morwan a saisi la rigueur rythmique, le groove avec son jeu de basse précis, et aussi avec l’ouverture vers des sonorités electro par les claviers.

On sent que vous souhaitez faire sonner des textes poétiques en musique, quitte à parfois utiliser un style proche du parler-chanter proche du rap?

Oui, le but est de mettre en mouvement et de suivre un itinéraire quand on écrit une chanson : chez nous les structures et la forme peuvent prendre des directions assez libres. Souvent nous composons les morceaux avec l’idée de nous laisser porter, conduire, de façon chronologique pour arriver jusqu’à la fin du voyage, de façon à être le plus fidèle possible à l’intensité, l’émotion qui traverse le morceau. Voilà comment on ressent les choses, et le fait de faire sonner parfois les textes de façon rappée ou slamée me parle bien dans la manière de déclamer, de jouer sur les sonorités. C’est un relief qui fait maintenant partie intégrante de notre interprétation.

L’écriture semble plus contemporaine avec une voix qui récite, questionne ou scande, la basse souligne cette façon de chanter et parler, il y a même du beat-box, on n’est pas sans penser à des groupes comme Fauve. Avez-vous voulu cette évolution pour sonner plus moderne?

À la base du projet il y a ce désir de mêler des sons électriques avec de la chanson à texte, d’opérer une recherche à partir de sonorités rock en immersion et de porter le texte en première ligne. C’est le cœur du projet et de notre rencontre initiale avec Simon. Après, bien sûr nous sommes influencés par nos contemporains, et notre exploration est grandement enrichie par ces groupes qui font la scène actuelle. Je pense à Fauve, mais surtout à Cabadzi, Feu Chatterton, Ben Mazué… Il y a aussi des gens comme Loïc Lantoine, Laurent Fellot (Des fourmis dans les mains), les frères Volo qui me parlent beaucoup. Ce n’est pas voulu de faire moderne, nous sommes sûrement imprégné de cette nouvelle vague. Pour moi, cela fait partie de l’exploration naturelle d’ouvrir la chanson aux différentes palettes de l’interprétation.

 


Si la musique de Mal Armé est disponible sur Soundcloud , puis en cherchant bien sur des plateformes sociales en ligne, Môrice Benin croit dur comme fer à l’élément physique, le disque compact. Il a lancé une campagne de financement participatif pour son tout dernier disque « L’Inespéré ».  Pour commander le disque, allez sur ce site.


Votre père Môrice Benin est un grand de la chanson française poétique et militante, que lui devez-vous artistiquement? 

Je lui dois une certaine hérédité musicale je pense, le fait que j’ai été baigné dans cet univers de la chanson et de la poésie incarnée très tôt dans mon enfance. Dans nos liens père-fils, la musique nous a aussi beaucoup rapproché. Encore aujourd’hui, nous collaborons beaucoup, en ce moment pour son prochain album. C’est aussi un exemple de carrière et de choix de vie dont je suis imprégné, ce besoin de se mettre au service de ce que l’on porte et de garder au centre cette place pour l’humain, la sincérité, l’intégrité. Il a été à une époque représentant d’un engagement social, de conscience, il l’a toujours été, de manière plus poétique et discrète dans la suite de sa carrière. A ma manière, je me sens imprégné d’un certain engagement dans la musique, que je mêle, certainement avec plus de compromis et dans la marque de mon époque dans un style, une influence, un groupe qui s’appelle Mal Armé.

D’où venez-vous? Où tournez-vous?

Nous sommes basés sur Lyon, nous sommes deux membres à être originaire d’Ardèche, un autre est de Paris. Pour les récentes dates, on a tourné sur Lyon (9 et 23 mars, 1er avril) et on poussera cette semaine jusqu’à Valence (15 avril), en juin nous irons en Isère pour un Festival (4 juin), puis en Ardèche à Aubenas pour la fête de la musique. On tourne sur la région Rhône-Alpes principalement.

Quand allons-nous vous voir en Suisse?

Bientôt je l’espère! La Suisse n’est pas loin de Lyon et nous savons qu’il s’y passe plein de choses en chanson. Le pas sera j’espère vite franchi pour venir partager notre musique par chez vous… Cela dit nous avons remporté le tremplin de Bellegarde-sur-Valserine l’année dernière et avons joué à la Fête de la musique en première partie de Debout-sur-le-zinc,  juste de l’autre côté de la frontière.

Propos recueillis par David Glaser

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