SKYWALKER

Luke est une référence de la scène rock populaire et engagée à la française comme Noir Désir ou No One is Innocent. Le groupe a cette culture du message très clair de protestation contre la montée des extrêmes et l’exclusion des plus pauvres. Thomas Boulard, autrefois présenté comme artisan de la relève de l’indie-rock en français, a commis cinq albums en presque 15 ans. « Pornographie », le tout dernier est certainement celui qui fait franchir à Luke une barre encore plus haute sans retombé la queue entre les jambes. Un saut en hauteur dans le son et les textes qu’on a pu apprécié au Metropop Festival à Lausanne ce vendredi 6. Luke aime la Suisse et la Suisse le lui a bien rendu. 

Vous avez l’habitude de venir en Suisse. Pour un groupe à gauche proche du prolétariat et à l’écoute des démunis comme il semble que ce soit le cas avec votre dernier album « Pornographie », la Suisse ça doit vous paraître un peu éloignée des problèmes français?

On arrive dans un pays riche, c’est frappant! Mais il faut faire attention, les révolutions dont je parle sont invisibles. Les superbes paysages français d’il y a trente ans en Picardie, Normandie, au Pays-Basque, la Gironde… tout cela contraste avec ce qui passe aujourd’hui dans la réalité française. La conception de notre monde a beaucoup évolué en cent ans. C’est compliqué, on ne s’en rend pas compte mais faire de l’argent, être individualiste en France comme en Suisse, c’est la conséquence de toute cette refonte des notions de dominants et dominés dans notre société. Je l’ai dit par le passé mais ça n’a pas beaucoup changé, la colère est toujours plus froide et teintée de mépris. La guerre et l’argent sont les deux conséquences du néolibéralisme qui nous gouverne.

Quel est votre attitude face à la liberté d’expression que peu de gens utilisent dans les arts ?

 Je ris à la face du monde et constate que les artistes sont désengagés… Je mets en perspective notre liberté de parole, menacée. On a le devoir de dire ce qu’on pense, verbalement, physiquement… Dans le cas des manifestations post-attentats de Charlie Hebdo, c’est une véritable guerre. C’est exceptionnel, la confusion globale fait que certaines couches sociales refusent la morale… Aujourd’hui on a besoin de réfléchir. Avec la perte de ces journalistes à Charlie, je regrette plus particulièrement les analyses de Bernard Maris (économiste et rédacteur en chef adjoint de Charlie tué lors des attentats) comme je regrette de ne plus pouvoir lire les analyses de Bourdieu ou Deleuze.  

Le disque «Pornographie» a ce son beaucoup plus direct que vos précédents. Que s’est-il passé?

C’était une volonté formelle. Je voulais avoir les commandes. Auparavant, on n’avait pas toujours le son qu’on voulait avec les différentes personnes derrière la console. Cette fois je suis dans le cockpit. Pour les textes, j’ai voulu appeler un chat un chat et surtout ne pas me censurer. J’ai voulu arrêter le double langage. Nos vies sont plus rappées, plus saccadées comme nos vies le sont… des vies hachées socialement. On ne sait pas quel métier on fera demain, cette incertitude affecte nos vies, notre intimité. D’où ce rap, ce slam omniprésent. Les mélodies vocales me paraissent anachroniques.

Dans l’esprit de votre disque, il y a des réminiscences de la période punk-hardcore des années 80/90, du groupe Fugazi au label Dischord, vous êtes d’accord que cette période ressurgit dans vos textes ?

Pas vraiment, j’ai admiré la démarche politique et l’attitude « do it yourself », un peu « branleur » de ces musiciens… Mais notre époque est plus radicale, les gens n’avancent plus masqués aujourd’hui. En France, on l’a vu avec Sarkozy et le mépris affiché pour la culture. On ne peut plus être regardé comme des écervelés…

Vous chantez dans « Warrior », « Qui je suis?, Warrior, Je vous baise!, Hardcore… on est dans un registre lexical plus cru, plus grossier. «Pornographie » est un mot qui vous a plu pour définir le concept abrasif, violent de l’album?

Oui, ça définit un système de valeurs, une perception des choses en prenant en compte, l’accélération, la fragmentation de nos sociétés ainsi que l’ordre moral. J’aime ce mot pour son étymologie. « Porno » est dérivé d’un mot qui signifie « prostitué » en grec ancien, le corps qui se vend… J’ai voulu en utilisant ce mot rappeler des notions de dignité et de sens.

 Propos recueillis par David Glaser

L’album « Pornographie » est disponible chez RCA.

Thomas Boulard et son groupe Luke en concert à la salle Métropole de Lausanne ce vendredi 6 novembre.
Thomas Boulard et son groupe Luke en concert à la salle Métropole de Lausanne ce vendredi 6 novembre.
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