H129H est le premier collectif de Slam français né en 2001 à Paris. Le show des membres de ce groupe de poètes Lyor, Neobled et Rouda « Slameurs Publics, lettres sur mesure » joué à Lausanne samedi 29 novembre 2014 au 2.21 a montré que le Slam se mariait parfaitement aux traditions d’écrivains français fans de correspondances enflammées. Assemblage réussi aussi avec la culture Hip-Hop, le rapport des francophones à l’écriture de lettres et l’art de déclamer ses textes sur lit musical à la manière d’un troubadour. Quand on y ajoute un décors foutraque de micro-entreprise des années 80 avec l’ordinateur en guise de machine à écrire et une imprimante pour faire office d’encreur, on se plaît à attendre impatiemment le spectateur qui courageusement va venir sur scène proposer son thème de lettre à écrire. Une fois le spectateur sondé, l’écriture économique (peu de mots) et automatique (peu de temps) de ces trois scripts rappeurs fait mouche. Le spectacle « Slameurs publics, lettres sur mesure » est un réjouissant patchwork et il donne envie de rencontrer ses auteurs. Voici donc l’interview de ceux qui ont œuvré avec Grand Corps Malade et d’autres slameurs prestigieux dans les rades de Paris remplis d’ « Epistol-Héros » de 2001 à aujourd’hui. Neobled et Lyor du collectif 129H ont pris place près de l’entrée du Théâtre 2.21 pour me parler, après un débat sur le Slam comme moyen de guérir… Deux heures plus tôt, Rouda, le troisième activiste du mot au sein de 129H avait l’air peu emballé par la thématique du débat choisi par l’organisation du festival sur laquelle il devait intervenir. Ses deux compères qui n’ont pas assisté au débat avaient une mine beaucoup plus réjouit. Contrairement à Rouda, ils n’ont pas eu le sentiment que la rumeur du pavé parisien condamnait le Slam à aujourd’hui rester en marge du grand public. Ils sont au contraire revenus sur les débuts flamboyants du Collectif 129H au lendemain d’une soirée magnifique qui les a sacrés non-officiellement révélations du festival international de Slam de Lausanne, troisième édition.
SUISSISSIMO : 129H est le premier collectif de Slam à Paris depuis 2001, comment vous êtes-vous réunis?
Lyor : Il y avait deux scènes dans le même quartier parisien, à Ménilmontant. On s’est rencontré là et on est devenu amis. On s’est rendu compte qu’on faisait ça tout le temps, donc on s’est structuré pour pouvoir en vivre décemment. On s’est professionnalisé et on a commencé en parallèle à organiser des scènes, développer des ateliers d’écritures et des projets de performances artistiques. Tout ça a pris de l’ampleur avec le travail d’autres artistes. Le Slam s’est répandu un peu partout en France et dans le monde. Il y a eu des initiatives plus ou moins abouties comme la création de la fédération, de tournois qui se montaient, des collectifs en province… On a décidé de monter notre propre scène ouverte parce qu’on trouvait qu’on était mal reçu sur l’une des deux où l’on se produisait. Ce n’était pas si compliqué à faire.

Neobled : Cette scène, on l’a faite dans un squat place Clichy qui était tenu par le groupe Macaq (Mouvement d’animation culturel et artistique de quartier) et la première session Slam organisée dans un bar par nous-mêmes avec nos flyers, c’était à La Chaumière des Quatre Coins du Monde, un bar qui n’existe plus qui était installé à Belleville. Ce jour-là, on a pris concience du potentiel qu’on avait. A cette époque-là, animer une session Slam, c’était une montagne colossale à escalader. On se demandait toujours si les gens allaient venir. Finalement, c’était blindé. A partir de là, on n’a jamais arrêté de faire du Slam. A l’époque, on n’était pas rémunéré. On ne pensait pas à l’argent. Que quelqu’un nous donne l’opportunité de monter sur scène et nous donne la parole, c’était un cadeau qui n’avait pas de prix. Après on a continué d’animer des sessions Slam en changeant de bar. On a commencé à se faire un petit nom, une petite crédibilité. On a eu notre première programmation à Blois et on nous a payés le billet de train, l’hôtel… Notre premier chèque, on l’a eue à Blois la deuxième année. On a eu l’impression de voler cet argent. On ne pensait pas qu’on était des artistes.
A quel moment avez-vous compris que faire du Slam était une activité artistique? Quels ont été les ancêtres du Slam?
Lyor : Le regard des autres a changé et nous a fait prendre conscience qu’on était des artistes. C’est aussi grâce au temps qu’on passait à travailler sur les textes, le Slam. Ça nous a fait réfléchir. L’épisode de Blois… on en est revenu tout chamboulé. On se disait « peut-être qu’on est un groupe et on ne le sait même pas ». Le nom de Collectif 129H a été trouvé à cette époque. En France, on avait des “Monsieur Jourdain” du Slam qui ne savaient pas qu’ils faisaient du Slam, des oiseaux de nuit qui se retrouvaient dans un bar à entraineuses à Pigalle dans les années 90 et qui fréquentaient quasiment tous les narcotiques anonymes. Ils avaient tous décidés de reprendre le mode de prise de paroles des narcotiques anonymes où chacun venait avec un surnom de façon anonyme pour se confier aux autres a capella. C’est une journaliste de Radio Nova qui revenait de New York et qui les a vus et qui leur a dit que c’était du Slam. Un des membres de ce groupe Pilote le Hot a déposé le mot Slam à l’INPI, l’institut national de la propriété intellectuelle… Il en a fait une marque déposée même s’il ne s’en ait jamais servi contre les autres. Il a vérouillé le truc et l’a institutionnalisé. Nada, son copain slameur, s’est d’ailleurs engueulé avec lui et est allé fonder sa propre scène Slam.
Neobled : En fait Pilote le Hot a été le premier à avoir autonomisé tous les slameurs et activistes aujourd’hui. On est tous passé par lui. C’est un personnage.

Quelle est la différence entre le Slam à l’américaine et le Slam à la française?
Neobled : Aux Etats-Unis, le Slam passe par des tournois avec des notations. En France, avec notre passé littéraire et poétique, ça a pris une autre forme où il n’y avait pas de jugement de valeur sur les textes. Tu as trois minutes et tu es un slameur entre le début et la fin de ton texte. Une fois que tu as fini ton texte, tu descends de scène et là tu n’es plus un slameur, tu redeviens spectateur. T’es à l’écoute du prochain qui passe.
Lyor : On n’a jamais participé aux tournois avec notation… sauf certains comme dit Rouda car on savait qu’ils étaient truqués.
La mécanique est très huilée dans votre spectacle. On y mélange l’art français de la littérature, l’art épistolaire développé par Ronsard, Montesquieu et des tas d’autres avec un patchwork de références culturelles franco-américaines venues du hip-hop?
Lyor : C’est un melting pot de ce qu’on est. on est la deuxième génération de fans de hip-hop, on a des grands frères qui nous ont fait écouter des trucs. Le truc du Slam est plus ou moins déjà installé. Il y a déjà eu des succès commerciaux. Il faut dire qu’on a commencé à écrire au milieu des années 90 et le Slam n’existait pas encore. En 1998, le film “Slam” de Marc Levine avec Saul Williams a été Caméra d’or cette année-là à Cannes. Ça a tourné dans les MJC en France.
Neobled : Mon arrivée dans le Slam s’est faite de manière assez bizarre. Je rappais. C’est un ami à moi qui est slameur et activiste qui m’a invité à cette soirée qu’animait Nada. Je ne comprenais pas le concept. J’ai dit mon texte sans musique. Donc c’était un peu chelou. Première tarte, je me rends compte que je n’ai rien à dire. C’était vide. Je descends de scène et quelqu’un vient me dire : “ce que tu as dit à la huitième mesure, ça m’a interpellé”. Deuxième tarte, on m’écoute…
Lyor : On n’avait pas l’habitude à être écouté dans les soirées rap…
Neobled : Le truc du rappeur, c’est qu’il attend toujours que le rappeur qui est en train de rapper finisse pour pouvoir rapper à son tour. On ne s’écoute jamais. Troisième tarte, il y avait des gens de tous âges, de toutes les couches sociales, des conteurs, des poètes… on m’offre un verre et je me suis dit que c’était génial. Ça m’a sauvé artistiquement.
Lyor : Moi dans les années 90, je savais déjà… on m’avait déjà initié au Slam à Toulouse. Je suis parisien d’origine et quand j’ai quitté Toulouse pour retourner à Paris à l’âge de 20 ans, dès le lendemain, j’étais aux “Lucioles” pour faire du Slam.
Le spectacle d’hier rend les gens heureux car ils sont impliqués. Comment est venue l’idée?
Lyor : Ça vient d’un spectacle qui s’appelle le “Souk de la Parole”. C’était une production invendable qui coûtait 50’000 euros la journée. Il y avait une énorme structure avec des échoppes où l’on trouvait un conteur québécois, puis un français, un musicien qui jouait avec des bambous, des babels sonores avec des casques pour écouter des sons du monde entier et des slameurs.
Neobled : C’est là qu’est née l’idée d’écrivain public. On a quitté le bateau en route car on était noyé dans le truc. On a laissé l’idée d’échoppes dans un coin puis on est revenu dessus en se disant que c’était vraiment dommage de ne pas l’utiliser. On a ajouté une mise en scène, des temps de jeu théâtraux… mais sinon c’est l’essence même du spectacle de l’époque qu’on retrouve avec l’ordinateur, l’imprimante et la lettre.
Lyor : Ecrivain public, c’est un métier qui existe toujours mais souvent, ce sont des lettres pas marrantes, essentiellement administratives, des gens qui sont dans l’illétrisme et qui ont besoin de lettres de base pour écrire à l’ANPE, la CAF…
Neobled : On peut communiquer en envoyant des textos, des emails de façon gratuite aujourd’hui mais on pose la question aux gens qui montent sur scène : “Quand est-ce que tu as envoyé une lettre à quelqu’un?”… Il y a l’attente pour recevoir une lettre, la sensation de toucher le papier… C’est magique quand tu envoies une lettre et que tu reçois une réponse. C’est plus impersonnel aujourd’hui avec l’email. Dans le spectacle, on a quatre minutes pour faire le texte et on remet cette enveloppe prête à être envoyée, timbrée à la fin de la lecture publique de cette lettre.
On trouve les thèmes de lettres choisis par les spectateurs souvent très drôles. Comme on reçoit la demande du spectateur monté sur scène, au même moment que tous les autres spectateurs, on utilise l’humour pendant ces moments-là de découverte du thème avant de travailler sur la lettre. Avec ce spectacle, ce qui est bien, c’est que ce n’est jamais la même chose. Ça dépend du public, de l’humeur du soir. On a coutume de dire qu’une session Slam réussi, c’est une session diversifiée. Musicalement, on est justement assez large avec deux morceaux chacun qu’on joue sur scène. C’est trop peu finalement pour voir l’éventail de nos possibilités. Rouda pose sur des sons épurés, Lyor plus inspirés du cabaret et moi je suis dans un registre « dark Hip-hop ». On travaille avec des producteurs de sons pour obtenir ces compositions instrumentales.

Le débat tout-à-l’heure au 2.21 (dimanche 30 novembre à 14h) a un moment porté sur la mode du Slam dans les mass-médias, les maisons de disques, chez les tourneurs… le Slam est-il has been? Rouda nous a informés de certains commentaires désagréables de professionnels du spectacle qui vont dans ce sens.
Néobled : Tout dépend de comment on voit le Slam. A chaque session de slam animée par des gens qui ne sont pas connus. Il y aura toujours quelqu’un qui sera présent pour prendre la parole et dire un texte. La seule vocation qu’a le Slam, c’est de donner la parole à ceux qui veulent la prendre. On se rappelle qu’à l’époque de nos débuts, il n’y avait que deux sessions Slam sur Paris, à raison de deux fois par an. A l’heure actuelle, trois fois par semaine, tu peux aller partager ton texte à Paris.
Lyor : Ce que voulait dire Rouda, c’est qu’en effet c’est has been dans les yeux de certains… ça met, en effet, mal à l’aise d’entendre ça. Nous, on considère que c’est notre quotidien, donc ce n’est pas has been, ça se renouvelle, chaque fois que quelqu’un monte sur scène. Le Slam est toujours vivant. En France, comme on aime bien ranger les gens dans des cases, effectivement, si ce qui marchait bien dans la case perd de la crédibilité, eh bien tout le reste de la case en souffre. C’est comme ceux qui disent que le rap est agressif. Ils ne sont pas allés chercher autre chose que le rap qui leur a été proposé sur certaines radios. Il faut apprendre à gratter, faire des recherches pour connaître une discipline artistique.
Marc Smith, le créateur du Slam, est présent à Lausanne ce weekend. Est-il un mentor du collectif 129H?
Neobled : Rencontrer Marc Smith, ça nous fait chaud au coeur. Son art a changé nos vies. Il est dans un travail de transmission… il est militant de la cause du mot. Si tu ne possèdes que 500 mots, tu ne peux pas te défendre par rapport à quelqu’un qui en possède 2000. C’est ça qu’il nous a fait comprendre à travers le Slam.
Propos recueillis par David Glaser.
Discographie/spectacle :
« Slameurs publics, lettres sur mesure » : http://youtu.be/k3pAPjgkYCM
Rouda – « La Musique des Lettres » 2008, « A l’Ombre des Brindilles », 2010
Lyor – « No Mad Land » (spectacle)
Neobled – « Homme de paroles ! » (album téléchargeable gratuitement)