Electron libéré

La musique n’est pas une question de vie ou de mort, c’est beaucoup plus important que ça, ce petit dicton réarrangé par mes soins aurait pu être dit par le précepteur de l’electro de tous les flux et DJ, Laurent Garnier, le respect de la musique — toutes les musiques — est une règle primordiale. Le célèbre DJ français s’est produit à Electron Festival, dans un Palladium survolté à Genève et j’y étais. Pendant les trois heures de son set, son approche est restée fidèle à elle-même : ressentir l’énergie du public, « écouter le parquet » et composer un véritable voyage sonore. Un périple fait de raccourcis surprenants, de grands détours et d’une volonté constante de repousser les frontières musicales.

Anciennement connu sous le pseudonyme de DJ Pedro, Laurent Garnier est une légende mondiale, de Tokyo à Buenos Aires, en passant par Detroit — berceau de la techno — ou Paris, où il a marqué l’histoire du Rex Club avec des sets mémorables. Doté d’une collection de disques impressionnante tant par son éclectisme que par son exhaustivité, Garnier écoute quotidiennement entre 300 et 500 nouveautés. Lors de cette soirée genevoise, il a offert au public un moment magique en fin de nuit, de quatre à sept heures du matin, en enchaînant les morceaux avec une maîtrise incroyable, ajustant chaque fréquence d’un doigt expert sur les potards.

Laurent Garnier est un passeur. À la radio, il a laissé une empreinte durable, d’abord sur Couleur 3 avec It Is What It Is, puis sur FIP, où il continue d’élargir les horizons de ses auditeurs. À l’image de John Peel, il incarne une culture du « digging » acharné, une quête insatiable de pépites musicales qu’il partage dans des clubs mythiques : Le Sucre ou le Grelle Forelle, le Palladium qui n’est pas un club mais qui en avait tout l’air avec cet espace immense. Garnier est un DJ oecuménique au sens britannique du sens, il a également son show, ses attributs de journaliste musical, il a d’ailleurs marqué les ondes françaises, de Maxximum à Nova, tissant des ponts entre des scènes musicales diverses, à travers ses prises d’antenne, mémorables pour moi. Radio France avait compris l’ampleur du talent du Monsieur, France Info lui avait consacré une série, Le Mouv’ lui avait ouvert un créneau.

En tant que cofondateur du label F Communications, il a révélé des artistes emblématiques ou juste pertinents, tels que DJ Cam, Avril ou Les Clones, qu’il a notamment poussés à Berlin lors d’une soirée mémorable du Festival Francophonic. C’était il y a vingt ans mais c’était hier pour moi. Garnier incarne une vision : pour lui, la musique est une appellation d’origine contrôlée, un art à protéger et à sublimer. De son passage à Label Suisse en 2008 dont je pense que les murs du D! se souviennent encore au Polaris de ce samedi, il reste un homme qu’on suit les yeux fermés, fidèle à son approche éclectique, distinctive et universelle, séduisant les danseurs avec des références à ses propres productions légendaires, comme Crispy Bacon ou The Man With The Red Face ouvert à la créativité des autres. Sans discrimination. A partir du moment où il a le crush.

Aujourd’hui à Genève, demain à Verbier, Garnier réaffirme son statut d’icône intemporelle. Toujours prêt à illuminer les scènes, il a marqué les esprits et continue en mariant le jazz, le rock avec des musiques électroniques variées. Lors de cette soirée genevoise, il a su fusionner avec son public, adaptant son mix à chaque instant. Avec des éléments techno introductifs légers puis des sons plus lourds, obsédants, déroutants très vite. Il a peu à peu fait monter la température du Palladium en fusion, enchaînant beats, kicks et tricks dans une foule vibrante, comme une marmite à l’Escalade, prête à exploser.

Un voyage sonore inoubliable. Le set de Laurent Garnier est une expérience sensorielle : des vagues sonores aux montées en puissance, des chutes aux moments de grâce, il emmène le public dans un état second. Les transitions sont maîtrisées, les morceaux choisis avec soin, et l’énergie palpable. Ses influences, allant du jazz au punk en passant par la techno futuriste, se ressentent dans chaque note. Lorsqu’il a joué The Man With The Red Face, le saxophone délirant transcende l’assistance, témoignage de sa volonté de repousser les limites de l’expérience musicale. Même Athletissima utilise sa musique pour accompagner certaines des épreuves de piste (de danse?), le 400 mètres. Garnier est partout.

Au-delà de la musique, Garnier est un perfectionniste. Avant même de commencer son set, il échange avec l’ingénieur du son, ajustant chaque détail. Pendant son set, il travaille la connexion avec le public en jetant des regards discrets, il y aussi de la pudeur chez lui. Cherchant à capter leur énergie à travers les regards et les mouvements, les danseurs et danseuses se sentent respecté.e.s. Qui d’autre fait ça de manière aussi claire? Ce n’est pas un simple DJ : c’est un guide, un architecte sonore qui bâtit un univers où chaque danseur trouve sa place.

Une fin magistrale. Après trois heures d’un voyage intense, Garnier conclut avec quelques notes deep et une touche cinématographique, rappelant son influence et sa maîtrise. Le public, en transe, le suit jusqu’à la dernière note, galvanisé par ce mélange unique de passion, de trouvailles sonores, scultpées à la force du poignet, de toucher et de technique. Laurent Garnier, tel un Saint Nicolas électronique, distribue ses cadeaux sonores avec générosité, faisant vibrer le Palladium comme rarement. Samedi 30 novembre, ce sera au tour de Polaris.

Une icône intemporelle. Laurent Garnier prouve une fois de plus qu’il est bien plus qu’un DJ. C’est un passeur de culture, un explorateur sonore comme il y eut des explorateurs du Pôle nord, et surtout, un artiste profondément dévoué à son art. Qu’il soit à Genève, à Lausanne, à Verbier, ou ailleurs dans le monde, il continue de marquer son monde. Je me souviens de l’avoir entendu placer à un moment de la soirée un titre de Mike Skinner et son projet The Streets, remixé et adapté à un moment culminant de la soirée. J’adore The Streets, ce son brut et pop, grime et punk, réaliste et ladish en même, c’est l’Angleterre des Fish and Ships et des matchs de Tottenham Hotspurs un soir de pluie à White Hart Lane. Merci Laurent, j’aime cette Angleterre pas trop riche mais très festive, celle de l’Haçienda ou du Rivermead Center un soir de Reading Festival. A samedi avec Carl Craig et Mirko Loko.

Photos et texte par David Glaser

Merci à toute l’équipe d’Electron pour sa magnifique organisation, notamment Danièle McClellan. Et merci à Claudio Walzer pour la passion incroyable.

Laisser un commentaire