Foule, feu, Palestine : chronique d’un Paléo en lutte

Il y a d’abord cette attente.
Ce petit frisson, presque rituel, à la vue du train rouge serpentant vers La Vuarpillière puis l’Asse. Ici, c’est Nyon et ses alentours.

La ville est en fête, elle est bigarrée, le public est en pamoison. On sent ce que veut dire le mot fête, le mot estival, et les deux ensemble : autre synonyme de ce mot-valise, Paléo, bien sûr.

Le corps se réveille, porté par une vitalité joyeusement bénévole. Les bars et restaurants de toute la Côte frémissent, les woks et autres grills du site du festival sont en chaleur intense. Le cri de ralliement fuse : « Bamboulé ! »

Je penserai au burger végétarien du restaurant L’Asse du Burger, plus tard. La gastronomie est variée à Paléo, avec un secteur qui ouvre les vannes aux cuisines du Maghreb… mais je ferai dans l’évidence.

Moictani, Paléo Festival Nyon 2025, par Nicolas Patault

Paléo s’ouvre, et la scène du Club Tent s’embrase comme une vieille feuille de chêne séchée. Moictani y donne de sa voix acidulée, menant son set tambour battant, et le conclut dans un éclat de beauté fiévreuse, heureuse de dire qu’elle reviendra le lendemain avec Tendinites, une extension reggaeton joyeuse et féministe. Mais on sent Tani(a) (Moi, c’est Tani) chez elle ici. On se souvient de son passage à Nox Orae, révélant alors un vrai sens de la scène et un talent certain pour détrousser le public de ses émotions en troussant des chansons avec maestria, tant dans le texte que la mélodie. On a la chance de compter, avec Elie Zoë et quelques autres, des auteurices aux carnets de chansons finement ciselées et fraîches. Moictani chante dans les langues qui lui sont familières – espagnol, français, anglais – avec cette assurance des artistes qui veulent simplement faire et dérouler une poésie brute.

Asma Hamzaoui et Bnat Timbuktu, Paléo 2025 par Anne Colliard

Plus tard, au Dôme, Asma Hamzaoui et son groupe Bnat Timbuktu ensorcellent. Les choristes renforcent le récit de la chanteuse gnawa, et tout ce petit monde installe un groove redoutable. Leur gnawa à elles, c’est une matière en mouvement, patiemment sculptée, hypnotique. Le guembri en bandoulière – image rare chez une femme – Asma fait monter la tension jusqu’à une douce transe. Les chants se propagent dans les premiers rangs, portés par les réponses vibrantes des dames de Tombouctou. Les drapeaux palestiniens flottent, discrets mais puissants, dans ce Village du Monde aux couleurs du Maghreb, qui prend des allures de tribune pour ce qui sera une journée en faveur d’un peuple gazaoui en détresse. Paléo devient une tribune politique. Et si cela faisait avancer plus vite les choses ?

Voix dissonante, antifasciste

Puis viennent les membres de Skunk Anansie sur la grande scène. Pour celles et ceux qui vibrèrent sur Hedonism, Just Because You Feel Good ou I Can Dream, Skin rappelle combien sa voix singulière et son énergie rageuse ont inversé les codes trop mâles du rock des années 90. Avec Garbage, Elastica, PJ Harvey ou Veruca Salt, elle fit entendre une voix dissonante, anti-machiste, antifasciste et résolument inclusive dans un rock souvent très blanc. Pas étonnant que les kids de Londres ou de Manchester aient trouvé, dans Skunk Anansie, une passerelle grand public vers un besoin de reconnaissance. Skin, de sa voix aiguë et un peu dure à saisir quand elle parle entre deux chansons, salue « les peuples en lutte » avant de se jeter dans la foule pour entonner un I Can Dream d’anthologie, fendant la marée. Un moment de revival. Un moment de grâce. Premier chavirement.

Skunk Anansie, Paléo Festival Nyon 2025, par Ludwig Wallendorff

Je retrouve mes amis parisiens Emmanuelle Chupin et Stéphane Ronxin, tous deux fins connaisseurs des musiques dites actuelles et des racines françaises de cette nouvelle pop qui prend beaucoup au hip-hop et musiques apparentées. On parle hip-hop justement, et l’on tombe sous le charme d’un Saïan Supa Crew réinventé, sans Féfé ni KLR (malheureusement décédé), mais avec une énergie scénique intacte, une joie d’être là. Le quintet joue sur les mots, les voix, les origines caribéennes. Sly Johnson (Sly the Mic Buddah) du SSC et de Simple Spirit fait vibrer la soul et le hip-hop US dans les interstices d’un show très France 1998, avec une sensualité maîtrisée et un son bien frappé pour les radios. Le public danse, chante, ne s’y trompe pas. Vicelow, Leeroy Kesiah, Si Samuël, Sly et Specta mettent un putain de bon son. Ils sont propres dans le rendu, inventifs dans le flow, techniques et présents. Les références à la Palestine ne sont pas si nombreuses ; le groupe tisse une toile entre rap conscient et rap de fête, dans laquelle les danseurs ne se prennent jamais les pieds. Les influences caribéennes, africaines et américaines débordent de la Saïan Supa Experience (nom du groupe en tournée). Elles sont tissées dans un set presque parfait avec un naturel total. Angela conclut un show avec des lyrics en créole un peu directs, un peu salaces – mais c’est ça, la France, non ?

Macklemore, Paléo Fetsival 2025, par Lucie Gertsch

Sur la grande scène, Macklemore fait monter quatre danseuses et danseurs nyonnais. Lui aussi évoque la Palestine, sans diplomatie, sans détour : Pas d’occupation. Pas de colonisation. Pas de famine imposée. Pas de massacre sans fin. Le message est clair. Macklemore aime lui aussi son bain de foule, et il traverse les corps pour porter ses mots très haut, très loin. Le natif de Washington State est un showman, accompagné de choristes top-notch, de danseurs, d’un batteur au look de joueur de foot US. L’ensemble est huilé, performant, mais touchant, sincère, sans le cynisme parfois mercantile d’un Sean Paul vu dans un déluge de lumières et de sons ultra cut, préférant le megamix des hits aux interprétations pénétrées pendant 3 minutes 30, montre en main. On joue les tubes aussi chez Ben Haggerty, oui, mais surtout avec le cœur, la générosité, l’envie de faire résonner sa voix colorée, son flow sucré et mitraillette à la fois.
L’homme est un as : on le nomme président de la Plaine sans problème.

Simple Minds, Paléo Festival Nyon 2025, par Ludwig Wallendorff

Simple Minds fait briller le passé. Waterfront ouvre le bal, flamboyant. Puis viennent Promised You a Miracle, Belfast Child, Alive and Kicking… et enfin Don’t You (Forget About Me). Une cascade de souvenirs, menée avec élégance et une tension contenue. On aurait aimé une meilleure répartition des hits pour faire chanter le public, mais le duo James « Jim » Kerr et Charles « Charlie » Burchill sont des royals en goguette. Pas de surprise : Jim est toujours le porteur d’une voix puissante du stadium rock. Il ne parle pas beaucoup de son doux accent écossais entre les morceaux mais il appuie sur le talent de ses acolytes : Erik Ljunggren aux claviers (membre aussi de a-ha), Cherisse Osei, la plus jeune et sans doute la plus impressionnante du groupe par son jeu de batterie puissant, Sarah Brown (au chant), Ged Grimes à la basse et Gordy Goudie à la guitare et aux claviers. Les trois premiers ont rejoint SM en 2017, Ged tenant la moitié de la section rythmique depuis 2010. Un concert très 80’s mais frais, salvateur pour certaines têtes cinquantenaires en manque de rock.

Et pour finir, direction le Club Tent. Sur scène, Les Lambrini Girls, majeurs dressés, hurlent leur rage. Une réincarnation punk au féminin, version 2025 des Sex Pistols, avec la même fureur mais une lucidité nouvelle. On comprend leur besoin de reprendre le contrôle : de leurs corps, de leurs voix, de leur présence – c’est une évidence. Pas de tolérance pour les commentaires débiles sur leurs vêtements ou leur manière de tenir la scène. Mais un certain panache pour allumer la mèche aux premières rangées.
Elles fendent la foule, créent un chaos dansant – un moshpit puissant.

Lambrini Girls, Paléo Festival Nyon 2025, par Lucie Gertsch

Mais je ne saisis pas encore ce qui les rend uniques. Peut-être parce qu’Amyl and the Sniffers sont déjà passés par là, avec un sens du songwriting plus affirmé. Leur musique tient debout. Solide. Vivante.
Je n’ai pas eu le temps de resauter avec mes amis de la musique comme il est possible parfois au Cosmo – juste le temps de retrouver Anya della Croce de Petzi et Arnaud du Festival d’été de Québec. Une artiste nommée Sophie Morand me tire le portrait gratuitement, et je me reconnais.
Paléo 2025 fut une parenthèse enchantée, comme souvent.

Merci à Daniel, Jacques et Mathieu, ainsi qu’à toute l’équipe organisatrice.
Il n’y a rien de mieux en Romandie, really.

Par David Glaser

Photo de couverture par Lucie Guertsch, Paléo 2025

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