Ces belles histoires de rock and roll qui finissent mal en général, cela ne concerne pas Garbage ni Fontaines D.C., nos deux « Invités » de première classe sur Suississimo.com. Commençons avec les Américains. Garbage est une référence dans le monde du rock. Une sorte de phare tout rose dans la nuit. Ce groupe de producteurs-réalisateurs de rock a oeuvré pour le bien de nos oreilles jours et nuits. Une histoire de la musique US qui sort d’un bois d’enceintes de précision, des accords et des arrangements en forme de trouvailles géniales qui fleurent bon l’intelligence naturelle, avec un peu (parfois beaucoup) de technologie pour rendre la sauce fluide. Belle soirée de rythmes et de scènes d’échanges avec un public en amour avec la formation, connaissant les paroles des différents titres quasi par coeur.

L’Ecossaise Shirley Manson a montré de l’amour, de la classe, un franc parler rassurant à l’heure où le monde va mal et la violence se place tout en haut dans les débats houleux sur les médias sociaux et les réseaux d' »info » en continu. La veille ce furent les cousins de l’ouest de l’Ecosse, les Irlandais de Fontaines D.C. qui donnaient à la salle de Lausanne des airs de mini-Glastonbury. Les Indie-kids romands sont venus en masse pour applaudir la gouaille parfaite de Grian Chatten, une assurance, une nonchalance, mais aussi un peu de détachement pour ce faux-ami de Liam Gallagher.
Harangueurs des temps modernes… en berne
Fontaines D.C., en descendants classieux de Stone Roses, en slackers majeurs de la côte est d’Irlande (côté république), en harangueurs des temps modernes qui ne s’embarrassent pas de forfanterie, se sont posés là (las?). Leurs chansons sont de pures merveilles de pop et de mélodie post-punk. Mais voilà, ils pilotent leur barque en automatique, comme si on mettrait un « Bez » ou un « Milli Vanilli » à la barre, ça danse bien et ça chante peut-être dans les clous, mais il y a comme un truc qui manque. En effet, le capitaine Carlos O’Connell à la guitare avait comme rendu les armes en faisant juste le job, en enchaînant les bombinettes de leur discographie déjà bien fournie. On désirait ardemment et secrétement une présence humaine qui sortirait de ce clan un peu désuni, une âme qui progresserait d’un cran à chaque morceau, on rêvait d’une aspérité nouvelle pour un Fontaines D.C. qu’on place tout là-haut sur l’échelle de Richter des groupes post-punks UK/IE. Cela n’est pas venu mais ce n’est pas grave car les chansons restent là, le groupe a pondu de superbes pièces qui resteront, on y reviendra plus tard dans cette chronique.

Les deux groupes anglosaxons ont donc rempli coup sur coup la salle des Docks les 26 (Fontaines D.C.) et 27 (Garbage), pour un public plutôt aux anges. Mais Garbage a joué une partition vraiment parfaite en rassembleur intergénérationnel. Le groupe de Madison (WI) a montré que l’âge n’avait rien à voir dans le fait de rendre un peu plus les spectateurs heureux un soir d’été retrouvé. Attention, on a transpiré dur pour Garbage et les retrouvailles ont été délicieuses de bout en bout. L’histoire aurait pu bien continuer pour Garbage dans les médias et les bacs virtuels de disques, mais faute d’un soutien de l’industrie musical ferme et fidèle, l’histoire a plutôt failli tourner court dès l’arrivée du numérique. Un peu plus de trente ans après leur formation, Garbage vit encore et respire toujours plus la liberté, l’envie de redonner vie à des chansons magistrales, de véritables hits, des chefs d’oeuvre de composition (« Milk » ou « Cherry Lips » pour ne nommer que ces superbes confiseries pop). Shirley Manson, la chanteuse recrutée sur CV et entretien dans les studios de Butch Vig et de Steve Marker à Madison, a gardé ce franc-parler sur cette scène des Docks qui permet le contact direct. Pour bien resituer la position du groupe « modern rock » (c’est ce qu’on disait du rock alternatif radiodiffusé sur KROQ, 91X ou INDIE 103.1 à l’époque), un groupe qui va inspirer des dizaines d’autres comme CHVRCHES, METRONOMY ou PARAMORE pour ne citer que des rejetons intelligents des années 2010. Dans les années 1990 et 2000, il y avait beaucoup de grunge sur les ondes US, mais aussi beaucoup de britpop, de trip-hop et Alanis Morrissette sur les ondes européennes. Quelle fraicheur de voir Garbage débarquer en 1995. Ce son un peu pompier, gentiment manufacturé, mélodiquement malin, siglé et signé Garbage très distinctif. Les maisons de disque y ont cru et n’ont pas eu de mal à se disputer le petit joyau. Garbage a d’abord eu le soutien d’Almo (le label des fondateurs de A&M Records), puis un relais très puissant de BMG en Europe. Une maison de disques allemande qui via sa filiale RCA me permettra de partir à leur rencontre aux Etats-Unis. La rencontre ne put avoir lieu, le groupe étant bloqué sur la tournée des Smashing Pumpkins quelque part dans le sud-est, moi étant à Richmond-Virginie en attente d’une interview avec Shirley dans le Jefferson Hotel d’ « Autant en emporte le Vent »… A la place de Shirley, un groupe de grand-daughters of the Confederacy réunies pour célébrer leur Amérique déchue, incontestablement des proches de Bush pour les plus modérés, du KKK pour les plus dures d’entre elles, chouette…

Garbage est une proposition hybride faite de talents multiples, un groupe de créatifs avec une femme qui joue les premiers rôles et pour qui cela n’allait pas de soi au départ. Shirley Manson souffrait de ne pas avoir les premiers rôles dans les « beauty pageant » de ses premières années scolaires en Ecosse, et tant mieux car Shirley a fait très fort pour trouver sa place plus tard dans Goodbye Mr. Mackenzie et dans Garbage. C’est 30 ans après son recrutement une voix qui compte dans le paysage pop mondial, une femme qui s’exprime sur l’empowerment, le travail nécessaire pour faire connaître les deux aspects de la vie d’une femme dans un groupe en tournée, le fait d’être toujours placé sur un podium particulier sur scène et dans les médias, mais traitée de manière condescendante dans les couloirs et bureaux fermées d’une industrie musicale cynique. Mais on est aux Etats-Unis et le combat pour le respect des femmes est encore très vivace malgré #MeToo. Le discours de Shirley Manson frappe dans le plexus, les Docks n’entendent que très rarement des groupes de cette trempe parler librement de ce qui se trame encore. Shirley Manson fait référence à l’actualité de nos voisins français, « il n’y a plus de place pour le RN et ses idées d’exclusion » dit-elle. Donald Trump, qu’elle ne nomme pas, son statut de rescapé et d’envoyé spécial de(s) (fous de) Dieu des sectes évangélistes puissantes, renvoit une image de l’Amérique décadente et souffrante. C’est dans cette critique d’une société macho (des maisons de disques à MAGA en passant par le Hollywood de Harry Weinstein), que Garbage propose une alternative faite de bonnes idées pour combattre les idées populistes. Garbage recycle tout ce qui se fait de bien dans les mouvements alternatifs européens, ça fait du bien car c’est une autre image de l’Amérique.
« Cities in dust » de Siouxsie comme un symbole
La voix de Shirley a une force, un craquement qui magnifie la chanson. Garbage magnifie ses chansons, les réorchestre et leur donne une patine tellement plus belle sur scène que l’on découvre avec excitation chaque nouvelle interprétation. La reprise de Siouxsie Sioux, cette chanteuse importante que Shirley écoutait et vénérait en revenant de classe arrive comme un symbole. The Banshees et Siouxsie ont poussé loin l’originalité, la fraîcheur du son dans cette new-wave parfois répétitive. C’est un vent de fraicheur et de chaleur qui emporte les Docks. Le batteur Butch Vig utilise toutes ses munitions (pad de drum machine, effets, voix préenregistrées) ont une place centrale. Butch Vig travaille chaque son comme on forgerait une lance prête au combat, la compression sur les beats sur la grosse caisse, l’effet maximal sur les fûts organiques du drum-kit du parfait rocker. Vig place son talent de sorcier du son dans une expression live puissante, originale, élaborée, il y a du gros gros talent. Garbage est une valeur très sûre avec sa mixture rock emphatique et belle, technique et généreuse, gourmande aussi mais jamais boursouflée. Le son est agréable aux oreilles et quasi impossible à imiter pour un groupe de reprises qui s’y aventurerait. Duke Erikson, à la guitare apporte cette dimension essentielle, ce supplément d’âme à cette musique efficace qui se construit solidement autour d’idées simples, cette fluidité « qui liquéfie » des riffs puissants et les fait se promener dans un alliage particulièrement magnifique, un compost prolifique. J’aime Garbage comme au premier jour et chéris la chance de pouvoir les voir 28 ans après les avoir attendus dans cet hôtel de Richmond. Si les Smashing Pumpkins ont empêché bien malgré eux ma rencontre avec Garbage, la Route du Rock de 1996 me permettra de réparer l’occasion manquée. Une interview à Saint-Malo avec Butch Vig était venue confirmer tout le bien que l’on pouvait penser du groupe.

La passion est intacte pour Garbage, elle est toujours bien là chez les quadras et quinquas présents dans la fosse et au balcon des Docks. La famille est réunie, toujours au rendez-vous et j’aimerais bien les revoir bientôt tellement ce concert ressemblait à une forme de reprise de contact salavatrice. Merci aux Docks d’avoir suspendu le temps pour laisser un boulevard à Garbage et ses reinterprétations de tubes comme #1 Crush, Milk, Stupid Girl… toutes trouvent une allure nouvelle sur scène. Mention spéciale pour « Only happy when it rains » en version très originale avec intro quasi a capella, dans un moment de proximité avec la jeune nouvelle recrue de la bande americano-ecossaise, la bassiste Ginger Pooley.

La veille du concert de Garbage, le groupe tant attendu qu’est Fontaines D.C. a pris la scène avec autorité, leur logo éclairé de manière originale, la salle en fusion, pleine à craquer, une bonne soirée avec des potes du pub du coin en somme, le son en plus. Sauf que ça ne prend pas comme on aimerait (enfin je parle pour moi car à voir la ganache de pas mal de voisins, ça marche très bien pour eux). Mais le 26 juin, ce fut comme un petit tour de chauffe pour ces cousins dublinois d’un autre groupe adulé sur scène « The Murder Capital » ou pour « ces neveux » du groupe pop-punk qui a marqué mes années 1990 Compulsion. Bref, il y a chez ces Irlandais de Fontaines D.C. un label Made in Eire qui fonctionne bien, des références et des noms d’influences biens sous tous rapports, ces rockeurs de la terre tourbée prennent leurs chansons par le bon bout, ces chantres de la scène rock dublinoise ouvrent leur caquet avec un verbe bien perché, des lyrics qui font mouche, un swag désarmant, prenant le mors aux dents et pas qu’à minuit à la sortie du pub, après 12 Guinness dans le sang… et quelques postillons de bouches à peine familière sur le col de la chemise. Dublin évolue avec cette force de tranquille de produire des groupes du rock par dizaines, des groupes qui savent chanter, avec coeur, avec force et dans un élan, un groove, une justesse, C’est ce que l’on ressent dès l’entrée du show avec « Jackie Down the Line », une proposition féérique pour une chanson un peu glauque sur un homme qui visiblement n’a pas envie d’aimer une femme. Oh well, les mots de Grian Chatten tapent dans le mille, écriture ciselée, scansion ciblée. Bien !

Carlos O’Connell a le public dans son (sa?) manche. La guitare caresse des escourdes de spectatrices et spectateurs en liesse, ou en laisse. On sent Fontaines D.C. en garder sous la pédale, on dirait un échauffement, Lausanne est en attente de quelque chose de plus grand mais voila les Fontaine D.C. semblent ailleurs, ou à sec. Le régime de tournée, le tour bus et son catering de fortune, son rider à l’arrivée, son souncheck à l’arrache et son support-band ou pas, le merchandising en rupture de stock sur les Tish XL pour quinquas buveurs de lager, et le stage time à respecter sous peine de dérégler une magnifique entreprise. Tout doit être un peu trop lourd pafois et peser sur le moral des gars. On les sent très en places pourtant, la musique est expédiée sans trop de transition et la magie ne peine pas à revenir sur ce « hammer » qu’est « Too Real » (extrait de l’album du début Dogrel), une de leurs tout meilleurs morceaux de tous temps. Il y a de la densité et de l’électricité, de l’intensité et des éclats riffesques absolument magiques. Mais je me sens comme pris dans une parenthèse enchantée, le temps de « Too Real » et les trois minutes sont vite passées, le soufflet retombe un peu , les équipiers de Carlos O’Connell ne sont pas des porteurs d’eau, plutôt des solistes, en bande désorganisée, au Tour de France, ce serait l’équipe « Vista Lease a Bike » ou « Astana », on aime la performance mais on joue la sécurité en bas de la côte qui mène à Sauvabelin. Pas grave je vous dis.
On espère une ouverture. Elle viendra un petit peu plus tard, un groupe qui fonctionne en tant que headliner à Glastonbury quelques jours plus tard ne peut pas avoir tout faux et c’est une chance de les voir aux Docks, ces gars remplissent des stades au Royaume-Uni. L’adrénaline est à fond, on a appris à apprécier la voix geignante de Chatten, tellement reconnaissable. Arrive la fin du show et le tube monstrueux qu’est « Starburster » met tout le monde à terre, son refrain à vous retourner le coeur, je note aussi le morceau « Big » (extrait de Dogrel) plus tôt dans la soirée – un texte qui parle de Dublin comme une ville séminale où la graine devient bourgeon et éclot par la force des choses -, son énergie, son aspect petit cocktail Molotov racontant l’écart entre l’enfance et l’actualité, entre les petites détresses locales et les rêves d’émancipation, le lyrisme de Big est simple mais efficace. La chanson « Favourite » est une proposition pop classieuse qui n’a rien à envier aux tubes indie d’Oasis, Kasabian, Blur, Kooks, Vaccines ou Kaiser Chiefs) et elle sert le rappel avec justesse. Le nouvel album ROMANCE est un vent de fraicheur, pour ce qu’on connaît déjà des morceaux sortis de l’embargo. Fontaines a arrosé ses idées et ils ont pris le temps de s’ancrer un peu plus eu Europe et aux USA, notamment avec les Arctic Monkeys pour une tournée de 20 dates qui les a un peu plus fixés dans le paysage américain. Ils ont appris que tu peux faire encore plus avec les expérimentés Arctic Monkeys et rester intact dans ta qualité de songwriting.

Sheffield, ville des Monkeys et Dublin, ville des Fontaines D.C. semblent les mêmes, terre à terre, prodigieuses d’énergie. Sheffield ville aussi de la distinction avec Pulp, Dublin, ville de My Bloody Valentine, sans doute les deux groupes les plus épatants de ces 30 dernières années, l’axe entre les deux cités est évident. Le 23 août prochain, l’album ROMANCE sera dans les bacs, le producteur James Ford a assuré, étant aux manettes pour donner un son encore plus assuré, plus aventureux à Fontaines D.C., le groupe a demenagé de Dublin à Londres pour assumer cette continuelle montée en puissance. Skinty Fia (3e album) a été numéro un en Grande Bretagne et en Irlande, en 2023, le prix du « groupe international de l’année » a été remis à Fontaines D.C. aux Brit Awards. Souhaitons que ce premier album pour cette major des indépendants qu’est XL recordings (le label de Richard Russel qui a signé Tyler the Creator, the XX, White Stripes et Adele entre autres), soit un cap de plus pour ce groupe qui ne demande qu’à décoller une fois pour toutes. Reading et Leeds sont aussi au programme estival de Fontaines D.C., il fait beau sur ce groupe et la ROMANCE ne fait que commencer.
David Glaser