GOOD MAN WITH A GOOD HEART

Vous connaissez Eric Beugnot? Non? Eh bien c’est un généreux taille XXL. Généreux de son temps, de ses anecdotes, de sa passion, de sa patience… Eric est arrivé dans ma vie quand on a décidé, Patricia Polisset, Jac Delestre et moi-même de reformer la famille WEST FM le temps d’une petite après-midi. WEST FM? La seule radio qui a marqué les débuts de la FM dans la Sarthe (ouest de la France, capitale Le Mans) avec Radio Alpa (associative) et Radio Maine (commerciale): on était une équipe et on avait de la passion pour cette radio locale qui battait dans les sondages d’audience RTL, NRJ, INTER et Europe 1. Miracle? Non, juste la passion du travail bien fait et l’envie de faire aussi bien que les meilleurs. Je n’arrive pas à décrire ce qui m’a bouleversé le jour de notre conversation avec Eric, ce héros des panneaux en plexiglas de la Rotonde au Mans, ce chef de bande looké presque hippy avec cheveux longs et air cool (à la Rocheteau, à la Renaud… mais c’est l’époque, on est au début des 80’s, qu’est-ce tu veux mon vieux…).

L’ancien pro de la sphère orange a battu les meilleurs avec son escouade en plein Giscardland, il a remis ça en 82 et 83 alors que Mitterrand était dans la place. Des babos du sket-ba placent Le Mans, la « cité-coco » sur la carte de notre douce France, Wam-Bam-Thank you Mam comme le chantait Bowie. Cette musique de champion en short moulant et maillot sans manche dans un chaudron en effervescence avait tout d’une berceuse à mes oreilles. Mais je ne le savais pas en 83. Deux ans plus tard, ma passion pour le basket allait naître grâce à mon père, qui un jour de « 4 Jours du Mans », la foire annuelle, me fit pénétrer sur le parquet en bois de la Rotonde, il n’y avait personne, juste quelques balles énormes posées à même les lamelles. Faire exploser ce cuir était bien gonflé, on n’était pas autorisé. On l’a fait avec une chutzpah d’enfer. Papa avait joué au Maccabi Tel Aviv, section athlé pour jeunes, le basket il connaissait un peu là-bas. Ce fut mon premier grand choc d’enfant. Still goes on…

Mais revenons à Eric, il incarne les valeurs du chic type qui fait s’ériger les talents autour de lui. Un homme à la hauteur, peut-être même une personnalité qui dépasse du cadre. Il n’est pas rare de croiser des gens qui vous marquent dans une vie mais on les laisse passer. Eric est de ceux qui marquent, un héros du quotidien, un as des as de la simplicité mais il ne faut pas le laisser passer trop vite. Il faut l’écouter. Je ne l’ai même pas rencontré en vrai. C’est magnétique. Deuxième appel, toujours dispo, Eric décroche le téléphone. Et on parle de basket mais en fait on parle d’autre chose. De philosophie de vie, ou sans employer de grands mots, de cette envie de laisser passer les bonnes vibrations dans chaque action sur le terrain sportif ou urbain, dans le quotidien et dans le partage du pain et du vin… Cette approche christique et sincère n’a rien à voir avec une carrière passée sur les parquets à servir le collectif. Cela a à voir avec une éducation, un équilibre, une vision, une envie de jouer les coups à fond, avec conviction pour le bien de l’humain et de ce qui l’entoure.

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Eric Beugnot, un soir de titre à la Rotonde avec les supporters du Sporting Club Moderne Le Mans, un club fondé par les créateurs de Stoc, Comod et Suma, les Comptoirs Modernes. (image INA)

Le 22 mars 1955, Eric voit le jour dans les Ardennes, dans le nord-est de la France verdoyant et isolé des grands axes urbains. Eric voyagera à l’ouest car il a le talent pour, tout comme son jeune frangin Gregor qui gagnera le championnat de France avec Chalon en Pro A des années après comme coach. Gregor, à peine plus jeune que lui, aura aussi une carrière internationale comme joueur puis comme coach, que ce soit dans le Final 4 de l’Euroleague avec l’ASVEL ou avec Varese en Italie. Eric marquera à jamais les amoureux de ce sport aimé des villes moyennes françaises, du Mans à Monaco en passant par Villeurbanne, avec Gregor justement. Avec aussi, débordant du sac des valeurs de jeu, de plaisir entre potes dans la recherche de victoires. Cette envie permanente de victoires n’a bien sûr rien d’une quelconque quête pour la gloriole perso. Pas pour dire « j’ai fait ça, regarde comme je suis fort ». Non juste pour se prouver à soi-même que on peut toujours arriver à ses fins.

Le Monsieur a aussi un talent pour amuser la galerie au passage, de l’amour pour les mots et les joutes verbales. Il s’investira dans la vie locale mancelle à fond les ballons, sans jamais montrer de suffisance, le statut de pro du basket-ball dans les années 80 n’était sans doute pas le même qu’aujourd’hui. « Être sérieux sans se prendre au sérieux », une devise mais aussi un art de vivre qu’il reprend à son compte. Un exemple pour l’humanité de 2018, là où les mentalités deviennent plus étroites, là où on pense à surtout serrer les possibilités d’accueillir, que ce soit en Italie, en Allemagne, en France ou en Suède, des lieux qui accueillaient encore à bras ouverts il y a peu. Bannir tout ce qui n’est pas comme soi paraît acceptable dans certaines démocraties, mais sans doute pas dans celle d’Eric, ce fils de basketteur émérite a acquis une aura de passeur et ne va pas la lâcher de sitôt.

L’aventure de femmes cyclistes d’Arménie

Ce n’est donc pas dans la personnalité de l’ancien héros du SCM Le Mans, trois fois « champion de France » avec ce club en 1978, 1979 et 1982, de se mettre en avant. C’est donc avec cet amoureux du partage, de l’amitié et du travail bien fait jusqu’au bout que je converse en toute simplicité parce que je le souhaitais. Quand il emmène une équipe de jeunes femmes arméniennes en selle à travers la France (direction Le Mans), des femmes qui n’avaient pour l’immense majorité jamais enfourché un vélo avant, c’est une petite révolution. Au pays d’Aznavour et de Serj Tankian, on parle de lui. Quand Eric engagera à nouveau son équipe sur des vélos pour faire les « 24 Heures » en août sur le circuit Bugatti de la capitale mancelle, il se changera alors en chef de meute sûr de mettre ses « coachees » sur de bons rails. Voilà la vocation de l’ancien joueur, mener des êtres humains à réaliser des missions de dépassement de soi, en équipe.

Finalement, il faudrait plus d’Eric Beugnot sur cette terre car la vie des hommes et des femmes en société n’a pas fini d’être dure. Elle s’est compliquée on dirait, mais rien n’est perdu tant qu’il y aura des personnes comme Eric pour y remédier à leur petit niveau. Suivons donc son exemple. Adoucir les liens entre les gens, mettre du liant. On s’est donc parlé à cœur ouvert une première fois pour la magnifique réunion des anciens participants à l’aventure de WEST autour de Jac et Pat, en hommage à Didier Ballu et Jean-Paul Ribot. Je chérissais le deuxième échange cette semaine. Car Didier Ballu son « frère-épistolaire », un autre grand de ce monde parti trop tôt, fut encore au centre de notre « chat ». Ballu (de son vrai nom Didier Chamballu) fut un manieur de mots toujours en avance d’une ou deux bonnes idées… Outre le fait qu’Eric et Didier ont tous les deux pris le micro de WEST FM (un peu plus pour Didier cependant car il en a fait un métier), ils ont su nouer une vraie relation amicale, fraternelle et passionnée autour de projets artistiques – bien après leur passage sur les ondes – et ces rêves de grands enfants ne verront bien malheureusement jamais le jour. La plaie de cette disparition est encore ouverte chez pas mal de gens qui connaissaient Ballu. Eric est de ceux-là.

Mais Eric continue son bonhomme de chemin, détaché de la ville de résidence et de travail que fut Grenoble pour cogiter sur ses projets au milieu de la nature, à l’aise loin du stress des grandes villes qu’il a repoussé, dans une dynamique de vie plus saine qu’avant, avec sa compagne, dans ce micro-village de 45 habitants qui se nomme Les Ferres, dans l’arrière-pays niçois. Echange autour des années SCM (1972-1984). Il a joué deuxième arrière au Mans, mais il bougeait volontiers entre un poste de shooter-défenseur infatigable et un marsupilami gobeur de rebonds, capable de bien noircir la colonne « points » de la feuille de stats, cumulant en carrière internationale 212 sélections avec les Bleus pour 2498 points en tout. C’était un Larry Bird-Dirk Nowitzki à la sauce sarthoise. Il avait l’élan des affamés de ballons-esturgeons pour transformer le shot en paniers-caviars. Mais c’était le passé. Alors on a aussi parlé de ce qui l’anime maintenant. Et c’est passionnant.

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Eric Beugnot, au Mans pour les 24 heures vélo en août 2017 (compte Facebook)

Eric, te souviens-tu de tes années SCM?

Tu sais, j’ai 63 ans, alors ma mémoire est moins vivace. Le SCM, j’y ai passé 12 ans de ma vie. Trois titres, trois places de deuxième, alors j’ai une globalité de souvenirs. Mais je n’y ai pas facilement accès. Je sais qu’il y a eu ces deux finales de playoffs, l’une à Nantes contre Tours et l’autre contre Villeurbanne à Coubertin à Paris, deux finales perdues, mais on a été champions sur des phases régulières. Je sais que techniquement ces années là, on n’était pas plus forts que les autres. Mais on avait un fonctionnement de potes.

En 84. les frères Eric et Grégor au top mais sans le tir à trois points! (INA)

Qui étaient ces potes?

Il y avait surtout Bob Wymbs, on occupait tous les deux le poste 3 dans l’équipe. On était deux professeurs l’un pour l’autre. Lui qui me corrigeait constamment mes fautes d’anglais. Je ne me gênais pas pour en faire autant quand il prononçait mal un mot en français. constamment en train de se défier en un contre un avec une règle, on ne pouvait refuser la revanche à celui qui venait de perdre un « un contre un ». Un jour, on a commencé un concours après l’entraînement du matin qui s’est éternisé jusqu’à la fin de l’entraînement du soir. Le coach Bob Purkhiser (coach du SCM entre 1979 et 1982) avait demandé au gardien de la salle de couper le courant quand il partait de la salle le matin afin que ça ne se reproduise plus et bien sûr ça ne nous a pas empêchés de continuer. On était une bande de mecs qui en voulaient. Quand Patrice Fresnais, ancien du club manceau la JALT, a rejoint le SCM, il a tout de suite été accueilli dans l’équipe comme un des nôtres, il avait le talent et la mentalité pour se fondre ainsi. Je me souviens que l’on pouvait, lors des repas d’après match au resto, dire à nos compagnes de nous laisser entre nous pour qu’on fasse notre autocritique sur ce qui n’avait pas marché dans le match joué quelques heures plus tôt. On refaisait la rencontre, avec une analyse des combinaisons manquées avec la salière et les couverts… ça nous permettait de digérer la défaite. L’équipe a grandi ensemble ainsi. On avait un coach en 1983, Kenny Grant, qui parlait d’une voix basse, cela nous forçait à nous resserrer debout (on n’avait pas le droit d’être assis à l’époque), il parlait de manière linéaire. On était obligé d’être extrêmement attentifs.

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Eric Beugnot, les cheveux dans l’air iodé d’une mer tranquille (compte Facebook)

As-tu regardé un match de basket dernièrement?

Non, pas depuis que j’ai quitté ce monde. Sauf une fois, c’était un match entre Bourg-en-Bresse et Limoges. J’y ai vu un déluge de choses venues du monde pro et carré. Je n’y ai pas retrouvé mes petits, ce n’est pas de l’aigreur, je ne dis pas que c’était mieux avant. Ce n’était pas mieux avant, c’était très différent. Ayant vécu de l’intérieur Le Mans, de l’extérieur, je n’ai pas retrouvé ce que j’ai aimé dans le basket.

Tu fais du vélo maintenant, un sport plus individualiste que le basket a priori, non?

Eh bien c’est un sport collectif, le peloton, ça fait sa force! Le dépassement de soi est le même que dans un sport comme le basket… En fait le dépassement de soi y est encore plus marqué. Tu te fixes une distance à parcourir en 1h44 et le lendemain t’y retournes pour le faire en 1h43 et c’est une grande satisfaction quand tu y parviens. C’est donc comparable à un sport de haut niveau. Attention, tu es devant 5000 personnes et tu marques le panier de la gagne, c’est très grisant, mais si tu es devant 45 personnes et tu fais gagner l’équipe de championnat départemental dans laquelle tu es, le plaisir est le même, l’adrénaline identique.

On loue ta vision de la vie, ta détermination à faire le bien, à aller au bout des choses, tu penses que c’est un trait important de ta personnalité?

C’est une philosophie de la vie oui. Je suis né comme ça. L’engagement, je n’ai pas à me forcer. Je me suis investi dans des quartiers difficiles de la ville de Grenoble. Et à travers le sport, on permettait à des gens qui vivaient dans un climat difficile d’aller de l’avant et de se sortir de toutes sortes de situations. Le sport n’était qu’un vecteur pour passer du côté positif mais il fallait être là avec ces possibilités collectives. Tu sais, j’avais sept ans quand j’ai mis un pied dans le basket, mon père jouait, on allait le voir, c’était naturel et je pense pas avoir eu à me battre pour être parmi les meilleurs. Comme j’étais orgueilleux, je détestais perdre. Et ça te tractait vers les autres pendant des années. Mais j’aimais le partage, donc je vendais des disques dans ma boutique par passion, je faisais une émission de radio sur WEST FM avec mes potes et là tu fais soudainement profiter à 250 clients ou 3000 auditeurs tout ce que tu aimes dans la vie.

Tu as quitté Grenoble, décris-nous ton lieu de vie?

Je vis à 660 mètres d’altitude dans la commune des Ferres dans l’arrière-pays niçois. On est un petit village de 45 habitants. Il y a des artisans qui font leurs propres produits, de la charcuterie faite à la ferme, une auberge pour se rencontrer. C’est un style de vie pour épicurien.

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Photo de couverture du magazine mensuel Maxi Basket sur ce qu’étaient devenus Eric Beugnot et son acolyte international Richard Dacoury. Maxi Basket était une référence de la presse sportive, une publication éditée au Mans et dirigée par Pierre Texier et Pascal Legendre.

Par David Glaser

4 réflexions sur “GOOD MAN WITH A GOOD HEART

  1. Très bel article sur Éric, son parcours, que j’ai bien connu, vivant au Mans, j’ai souvent été au Match mais aussi à sa boutique de disques, c’est un passionné, je garde en mémoire des bons moments , à l’époque j’étais sa coiffeuse 😁 et fière de l’être… Très belle époque..

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