RETOUR DE SLAM

Lausanne accueillait du 28 au 30 novembre 2014 la 3ème édition du festival international de Slam organisée par la SLAAM (Société lausannoise des amateurs et amatrices de mots). Une occasion unique pour Suississimo de prendre la température d’une forme artistique et littéraire spectaculaire pouvant permettre de parler, scander, chanter, rythmer la poésie surtout a capella mais aussi en musique.

En ce dimanche d’automne gris de fin de mois, de fin de cycle, je me suis assis sur un banc de la cantine du théâtre 2.21 dans le quartier de l’Hôtel de Police à discuter avec Marc Smith, le créateur du Slam. Une conversation dans la plus stricte simplicité avec celui que toute la nation Slam vénère comme tous pères fondateurs. Le Slam est né à Chicago il y a trente ans. L’événement le plus important de la vie de Marc, ce fils de cols bleus de l’Illinois qui travaillait de ses mains plus que de ses mots. L’homme a vu son destin changer à mesure que ce moyen d’expression publique qu’il avait créé devenait un art de vivre, voire une raison de vivre pour des milliers de poètes aux États-Unis comme ailleurs.

La poésie dormait à cette époque, elle végétait même. Elle s’est réveillée sur scène devant trois ou 300 personnes. Yeats, Carver ou Shakespeare… tous les poètes anglophones auraient adoré la voie artistique que le Slam empruntait. Le maître mot a toujours été la « performance », ce qui veut dire la mise en bouche et en voix de textes écrits pour être joués sur scène. Marc Smith est un militant de la poésie de qualité, authentique, qui vient du cœur mais touche aussi à l’intellect, qui prend sa source dans le plus profond des âmes et qui ne triche pas avec le vécu des hommes et des femmes. Il y a trop de “poètes” qui se sont servis du Slam en s’inventant des épisodes de vie dramatiques juste pour épater la galerie ou émouvoir pour obtenir la gloire.

Le Slam a aussi son « étiquette ». N’a-t-il pas commencé comme une compète? Aujourd’hui demandé partout où le Slam vit, Marc savoure la vitalité du genre. Le Slam souffre comme forme d’expression théâtrale et poétique mainstream comme pour Grand Corps Malade – les maisons de disques françaises n’y croient plus. Mais le Slam se transforme et vit des heures passionnantes en se mariant à l’art thérapie, au rap, au beat-boxing, à la musique new age ou encore aux polyphonies bilingues.

Marc Smith a pris le temps de raconter son séjour suisse avec cette magnifique présence dès le premier soir du festival. Il a aussi exploré les parcours poétiques de son home sweet home, sa Windy City, sa ville qui l’a formé : Chicago. J’avais eu le plaisir de visiter pour un reportage le lieu où tout a commencé avec ses soirées open-mic, le célèbre Green-Mill, un Moulin (vert) à paroles…

SUISSISSIMO : Comment avez-vous vécu votre week-end à Lausanne avec cette performance sur scène vendredi mélangeant des artistes de Chicago avec des francophones dans un show complètement bilingue?

MARC SMITH : Ce fut un weekend formidable pour le Chicago Speakeasy Ensemble et les amis francophones suisses et français qui nous ont rejoints pour ce travail collectif. Quand on fait cet exercice de “Performance Interpretation”, on a une matière originale qui mélange la poésie en français et en anglais. On l’a fait plusieurs fois avant de jouer ici à Lausanne. Cette expérience qui a eu lieu vendredi était certainement la plus gratifiante. C’était une aventure ambitieuse mais on y est parvenu. C’est dommage qu’on ne puisse pas faire ce spectacle six ou sept fois supplémentaires. On a beaucoup travaillé et on a posé des jalons. Il y avait un esprit de collectif parfaitement en place entre tout le monde. Grâce à cette expérience, avec la confiance que l’on a accumulé tous ensemble, on a fait un véritable show, comme les français du collectif 129H l’ont fait le lendemain. Faire de véritables shows, c’est mon domaine et ça va avec le slam. La règle de base, à l’origine était de jouer, de scander ou de simplement dire le texte sur scène. Mais il s’agissait aussi de supprimer le mur entre les spectateurs et le « performer ». Ce n’est pas un art passif. Il y avait aussi une dimension collective au Slam qui n’a pas changé depuis. C’est un groupe d’orateurs qui joue, un ensemble. L’auditoire joue aussi un rôle important dans le processus. Ce n’est pas à lui de faire l’effort de comprendre votre texte. C’est à vous de lui faire comprendre le sens de votre poésie.

Quel a été votre parcours culturel avant d’inventer et de populariser le Slam?

Je viens d’une famille prolétaire, il n’y avait pas de livres chez moi. Je ne savais pas bien lire jusqu’en septième. Je n’étais donc pas très doué pour les études. J’ai bien essayé d’être un architecte mais ça n’a pas marché. J’ai rencontré ma femme qui aimait la poésie. Voilà d’où vient ma passion pour la poésie. Mais nous avons divorcé.

Comment le Green-Mill Cocktail Lounge à Chicago a-t-il évolué depuis que vous y avez lancé les soirées Slam?

C’est un lieu très connu pour le jazz. Quand les musiciens de jazz célèbres jouaient là-bas, le lieu était beaucoup plus grand qu’il ne l’est maintenant. Avec une grande salle de danse, deux étages… Le propriétaire du Green-Mill Dave Jemilo m’a donné l’opportunité avec mon premier groupe de poètes de Chicago (The Chicago Poetry Ensemble) de faire des shows dans un autre club de Chicago. Ça avait bien marché. Quand il a racheté le Green-Mill, il a ouvert les dimanches soir au Slam car il programmait du jazz dans un autre club et ne voulait pas s’ « auto-concurrencer ». J’avais fidélisé un public que j’ai amené au Green-Mill. Ce club est un endroit très confortable pour le Slam. C’est grâce à notre philosophie commune que Dave Jemilo et moi-même avons lancé ce concept. Du coup, il n’y avait aucun conflit entre le propriétaire et les artistes. Il était très intéressé par les idées non-conformistes et inhabituelles. Le Slam a marché à Chicago car cette ville voit un tas de nouvelles idées artistiques se concrétiser. Les habitants de la ville soutiennent activement chaque nouvelle idée… New York aime bien dire que tout démarre chez elle mais ce n’est pas toujours le cas. Les gens vont à New York pour gagner de l’argent et monter en grade. Chicago n’est pas très douée pour s’occuper de ses artistes une fois connus. Les gens, si tu es connu, t’oublient à Chicago. Je me suis “battu” pour rétablir la vérité à chaque fois qu’un journal racontait que le Slam venait de New-York. Il est né à Chicago!

Chicago regorge de talents du Slam?

Il y en a plusieurs sortes. On a toujours été bons avec les outsiders. Il y a à Chicago des artistes comme Thax Douglas ou Freddy, des poètes qu’on peut considérer comme différents. Freddy est un artiste schizophrénique qui est dans une institution spécialisée. Pour les deux dernières années, il a débuté chaque soirée avec sa séquence “Freddy with the news you may not want to know!” (« Freddy et ses nouvelles pas bonnes à savoir! »). Freddy et Thax sont des marginaux et j’ai toujours voulu qu’ils aient une place particulière chez nous… On les as pris comme ils sont. Le Slam a aidé Freddy énormément mais le Slam ne concerne que la partie diction/jeu sur scène, l’interprétation… Si tu joues sur scène tes propres textes, ce n’est juste qu’une superposition de l’art de jouer et de l’art d’écrire tes textes. Ce ne sont pas les thèmes ni la forme de ton poème qui définissent le Slam. C’est le fait de jouer ce texte. Ça peut être des haikus, des sonnets…

Le show original au Green-Mill a commencé avec une scène ouverte et j’ai vu beaucoup de gens qui avaient beaucoup de choses à dire sur leur vie, leurs souffrances… Pas pour faire pleurer, juste parce qu’il fallait dire ces choses. Dans la vraie vie, quand quelqu’un doit dire quelque-chose d’intime, sur ses problèmes, on est logiquement ému. Sauf peut-être si tu as un cœur de pierre. Eh bien Samedi soir, je n’ai pas tout compris des mots que disaient les personnes de l’atelier d’art-thérapie de Genève (animé par la psychologue et thérapeute Olivia Lempen, voir les photos des artistes-slameurs de l’atelier d’art-thérapie de l’association Parole à Genève ci-dessous) mais tout était dans l’acte de monter sur scène pour parler de qui ils sont, face à un public qu’ils ne connaissaient pas. Je fus très ému par leur travail. Je me rappelle d’une compétition de slam en Australie, à Brisbane. Un homme qui avait souffert d’anxiété toute sa vie au point de ne pas pouvoir sortir de chez lui a eu le cran de monter sur scène. Non seulement, il a été au bout de sa démarche en remportant beaucoup de succès mais il a aussi été l’un des meilleurs poètes en atteignant les demi-finales.

Le poète chicagoan Thax Douglas, "pur produit du Green-Mill"
Le poète chicagoan Thax Douglas, « pur produit du Green-Mill »

Quel était le but du Slam?

Le but premier était de développer la pratique de la poésie pour atteindre le plus grand nombre possible de gens. L’autre but initial était de me m’imposer en tant qu’écrivain. Comme j’ai atteint ces deux buts, je me suis investi de plus en plus dans le Slam. Je voulais continuer à proposer un art qui répondrait aux envies et aux besoins de l’auditeur. L’art n’est pas pour moi au service de l’artiste. C’est un problème aux États-Unis comme ailleurs, on idéalise ces putains de célébrités, chanteurs, acteurs mais les musiciens de jazz vous le diraient, “beaucoup d’entre eux ne connaissent pas grand chose à la musique… ils ne savent même pas jouer d’un instrument…” mais ils deviennent des produits façonnés par quelqu’un d’autre, un produit qui se vend. J’ai appris à devenir un artiste sur scène et à respecter l’auditoire. Il y a beaucoup de choses que je n’aime pas, qui vont à l’encontre du but initial. Les médias sont aussi responsables en partie de certaines dérives.

Dans une compétition de Slam, quelqu’un va parler du fait qu’il a été violé. Comment un jury va noter cette personne, peut-on lui donner un zéro si son texte est nul? Bien sûr que non. Il y a de la manipulation du jury de la part de certains poètes. Des gens utilisent de manière malhonnête l’art de réciter de la poésie de manière authentique. Au Green-Mill, jusqu’à aujourd’hui, les spectateurs ont le droit de huer les poètes sur scène. C’est parfois agressif. Dans d’autres lieux de Slam, les poètes ont parfois négocié les conditions dans lesquelles ils interprètent leurs textes avec des règles interdisant toutes réactions négatives du public. Quand les poètes deviennent les maîtres de cet art, ce n’est pas productif. Tu devrais toujours laisser les spectateurs dicter leurs règles.

Le Slam est devenu si important. C’est comme des enfants, un petit-fils qui grandit. Certains d’entre eux vont vous rendre très fiers et d’autres deviennent de gros cons. C’est aussi ça le Slam. Pour la plupart des “slameurs”, le travail a été fructueux. Ils ont attiré de plus en plus de jeunes sur scène pour dire de la poésie. De plus en plus de jeunes en écrivent et en lisent sans la transposer pour autant sur scène. Ces jeunes font plus attention à ce qu’ils disent ensuite.

Comment la politique est-elle devenue un sujet prisé des soirées Slam dans certains clubs américains comme le Newyorican dans le Lower East-Side, à Manhattan? A l’époque de l’élection de Barack Obama, le Slam était aussi devenu un très bon moyen de véhiculer des idées politiques?

Ça a cessé de devenir poétique et polyvalent assez vite au Newyorican. Les gens ont eu tendance à devenir des faiseurs de discours là-bas. Je l’ai déconseillé au Green-Mill. Le public de Chicago s’est inscrit en faux contre ce détournement de ce qu’est le Slam. En Amérique, il y a un phénomène que l’on peut constater avec la question raciale. Une race ou une communauté va, au nom d’une souffrance plus grande que les autres, se poser en censeur, se dire dotée d’une morale supérieure. Les gens sont égaux quels qu’ils soient. Obama a joué le jeu comme tout autre homme politique. Il a beaucoup déçu. Certes, je suis un idéaliste et j’espérais beaucoup de choses comme beaucoup. Je pensais que l’approche allait être différente… Comme si nous savions réellement comme individus en dehors du cercle politique comment les choses se font. En fait, de mon point de vue, on ne sait pas grand chose et je pense que c’est plus juste de parler de choses que l’on connaît.

Le Hip-hop et la musique sont-ils liés à l’art de la poésie orale, l’art du Slam?

Le Slam n’est pas lié spécialement au Hip-hop mais il a intégré la musique en général. Le Hip-hop est partout, donc des poètes vont lier les deux. Je ne comprends pas le Hip-hop. Ce n’est pas que je n’aime pas le rap mais c’est un peu répétitif, 35 ans après la création du Hip-hop, cela me lasse. C’est un produit qui colporte sa dose d’hypocrisie. Je pense que l’on doit justement exposer et dénoncer l’hypocrisie à travers le Slam. Quand allons-nous voir de nouveaux courants artistiques? Les poètes français du Collectif 129H utilisent le Hip-hop et d’autres formes artistiques et c’est très réussi (lire l’article Poètes Publics qui leur est consacré). Ils ne se contentent pas de la culture Hip-hop.

Votre français s’est-il amélioré ce weekend?

On me traduit tout généralement, mais avec le temps je me concentre surtout sur la beauté des sons des mots ainsi que sur la performance. Je suis sensible à la façon dont les gens communiquent avec leur corps, leur visage et leur bouche. J’aime ce côté “naturel” du français. Il y a une différence dans la musique des mots et dans le langage corporel d’une culture à l’autre.

Propos recueillis par David Glaser

Olivia Lempen, psychologue et art-thérapeute, animatrice d'un atelier d'écriture
Olivia Lempen, psychologue et art-thérapeute, animatrice de l’atelier d’écriture Parole à Genève

 

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Il est plus tard que tu ne penses

 

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Dominique Massaut, slameur belge
Dominique Massaut, slameur belge

 

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